Forem

Beaucoup de mots, peu de faits

Les réponses écrites données par la ministre Christie Morreale à nos questions concernant le projet de décret réformant l’accompagnement du Forem méritaient une analyse et une réplique. Les voici.

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Nous remercions Christie Morreale (PS), la ministre wallonne de l’Emploi, d’avoir accepté de répondre à nos questions et d’ainsi communiquer son point de vue sur le projet de décret et de réforme qu’elle porte (lire ici). A la lecture de ses réponses, nous nous sentons néanmoins frustrés de n’avoir pu mener cet échange de vive voix, car la forme écrite (qu’elle a choisie, dans un contexte d’agenda fort chargé) nous a privés de la possibilité de réagir immédiatement à ses réponses. C’est donc sous la forme d’une réplique écrite, qui ne porte que sur un nombre de points forcément limité, que nous réagissons à ses propos.

Contrôle, je te nomme « accompagnement »

L’une des affirmations (répétée) les plus étonnantes de sa réponse est que « le projet de réforme de l’accompagnement ne fusionne pas les missions d’accompagnement et de contrôle » et que « l’évaluation [de la disponibilité active des demandeurs d’emploi qui devrait être réalisée par les conseillers référents] ne s’inscrit en aucun cas dans une logique de contrôle » . En effet, il faut constater que la ministre n’a pas toujours écrit cela. Son communiqué de presse du 26 juin 2020 présentait sur ce point le projet de réforme d’une toute autre manière : « Un.e conseiller.ère Forem unique par personne : jusqu’à présent, deux conseillers distincts s’occupaient des dossiers des chercheurs d’emploi. Le premier accompagnait la personne dans sa recherche d’emploi tandis que le second contrôlait l’effectivité de ses démarches de recherche active d’emploi et pouvait sanctionner sur la base de rapports négatifs. La dualité de ce modèle est aujourd’hui révolue, un.e conseiller.re. Forem unique accompagnera chaque personne. » (1). La note de la ministre au gouvernement présentant l’avant-projet soumis en première lecture évoquait parallèlement cette nouvelle fonction de conseiller référent en ces termes : « un allié [du demandeur d’emploi] dans sa recherche d’emploi, qui l’aide à trouver des solutions […], voire le/la secoue quand il/elle baisse les bras ou ne s’investit pas suffisamment. » (2). Le commentaire de l’article 15 de l’avant-projet de décret présente en ces termes cet aspect de la fonction du conseiller référent : « concernant le demandeur d’emploi inscrit obligatoirement, le conseiller référent évalue sa disponibilité active sur le marché du travail, à savoir ce qu’il met en œuvre, notamment dans le cadre de son accompagnement avec le Forem, pour rechercher activement un emploi (…). Si au terme du processus formalisé, le conseiller référent constate que le chercheur d’emploi n’a pas respecté son plan d’action formalisé, il transmet son dossier au service à gestion distincte (SGD) Contrôle (…) ». (3). La note au gouvernement du 12/11/20 précise la nature de cette articulation entre les conseillers référents et le service Contrôle : « le dossier est transmis au SGD cContrôle, chargé de gérer les litiges. Lorsqu’un dossier est transmis, le SGD cContrôle analysera la recevabilité de la proposition d’évaluation négative qu’il a reçue et invitera, le cas échéant le/la chercheur.euse d’emploi, à une audition (…) lLe SDG cContrôle prendra une décision d’évaluation positive ou négative de la disponibilité du/de la chercheur.euse d’emploi dont le dossier lui a été transmis. » (4). La ministre peut formellement nous répondre, comme elle l’a fait, que « aucun conseiller du Forem ne prendra jamais, à la suite de la réforme, une décision d’évaluation négative d’un demandeur d’emploi ». Mais il nous semble que c’est jouer sur les mots et que l’un des axes majeurs de la réforme est bien de confier aux conseillers référents une fonction mixte d’aide et de contrôle. En effet, ce sont bien les conseillers référents qui seront chargés d’évaluer le respect des obligations de disponibilité active des demandeurs d’emploi (fonction qui est actuellement assumée par les évaluateurs du service Contrôle), de contractualiser au besoin l’octroi des allocations en fonction de ces obligations et de transmettre, le cas échéant, au service Contrôle des « propositions d’évaluation négative ». La mission du service Contrôle n’étant plus à ce stade, concernant le contrôle de la disponibilité de ces demandeurs d’emploi, que de vérifier la recevabilité de cette proposition d’évaluation négative, de convoquer les demandeurs d’emploi dans le cadre cadre d’une « d’auditions litige » pour leur permettre de présenter leurs « moyens de défense », de confirmer ou d’infirmer la proposition d’évaluation négative initiale, de fixer la sanction et, enfin, de motiver la décision. Bref, on brouille les rôles pour le principal intéressé…

Imposition, je te nomme « participation »

Dans sa réponse, la ministre répète également des formules qui donnent à penser que le demandeur d’emploi aura le droit de décider du contenu du « plan d’action » (, c’est-à-dire des engagements qu’il pourra être amené à devoir prendre en termes de recherches d’emploi, qui seront soumis à une évaluation susceptible de donner lieu à des sanctions dans le cadre du contrôle de la disponibilité active). A cet égard, le Conseil économique, social et environnemental de Wallonie (CESE W) avait, sur proposition des organisations syndicales, explicitement demandé dans l’avis remis sur l’avant- projet de décret que celui-ci précise « que toute démarche inscrite dans le plan d’action doit avoir reçu l’assentiment du chercheur d’emploi » (5). A lire la réponse de Mme Morreale, on pourrait croire que le gouvernement a donné une suite favorable à cette demande, tant elle invoque « l’étroite association du demandeur d’emploi à l’élaboration, la mise en œuvre et à l’évolution de son parcours d’insertion » ou la mobilisation et la « pleine participation du demandeur d’emploi » en tant qu’objectifs qui doivent être rencontrés par le nouvel accompagnement. Malheureusement, le commentaire de l’article 7 de l’avant-projet de décret est limpide sur ce point : au-delà de formules trompeuses, du point de vue des droits qu’elles garantissent, sur la « participation » des demandeurs d’emploi, « le conseiller Forem reste toutefois le garant que le plan d’action est cohérent et correspond aux réalités du marché du travail. » (6). En dernier ressort ce sera donc au seul conseiller référent de décider du contenu de ce plan d’action, qui pourra être imposé au demandeur d’emploi. Balayant la demande unanime et explicite du CESE W sur ce point, la ministre indiquait ainsi dans sa seconde note au gouvernement que « la participation du/de la chercheur.euse d’emploi ne se décrète pas. Elle s’organise sur la base d’objectifs clairement définis dans le décret et qui font référence à la pleine participation du/de la chercheur.euse d’emploi. » (7). Entendons donc que, contrairement aux nombreuses obligations que ce projet de décret fait aux chômeurs, celui-ci ne prévoit pas que les demandeurs d’emploi aient un droit reconnu et garanti à décider eux-mêmes du contenu de leur « propre » plan d’action. Qui plus est, ce projet de décret ne prévoit à ce stade aucune possibilité de défense syndicale des demandeurs d’emploi au moment où un « plan d’action formalisé » peut être imposé au demandeur d’emploi, pas plus qu’il ne prévoit de possibilité de recours interne contre l’imposition de ce plan ou contre son contenu.

Réformer sans chiffrer

Un autre élément frappant des réponses de la ministre de l’Emploi, c’est qu’elles évitent à peu près systématiquement de répondre aux questions qui portent sur des éléments quantitatifs. Qu’il s’agisse de la situation passée, actuelle ou de celle prévue en application du projet de réforme : – « Quel est le nombre de demandeurs d’emploi actuellement accompagnés par le Forem chaque année, et par exemple en 2019 ? » Pas de réponse. – « Quel serait le nombre prévu de demandeurs d’emploi qui devront être annuellement accompagnés par le Forem lorsque cette réforme serait pleinement mise en place, en 2023 ? ». Réponse « L’objectif est d’accompagner tous les travailleurs sans emploi. »… mais à combien ce nombre est-il estimé d’ici 2023 ? – « Quel est le temps moyen annuel qu’un conseiller peut consacrer à chaque demandeur d’emploi en général et pour des accompagnements en vis-à-vis en particulier? ». Pas de réponse : « L’accompagnement n’est pas un exercice chronométré. ».- « Combien de demandeurs d’emploi prévoyez-vous que le Forem accompagnera en vis-à-vis et combien à distance en 2023? ». Pas de réponse : « Il n’y a pas d’objectifs à atteindre en termes de nombre de demandeurs d’emploi accompagnés à distance », etc. Ainsi donc, le projet entend accompagner 100 % des demandeurs d’emploi d’ici 2023, alors qu’il n’en accompagne actuellement qu’environ 38 % (selon nos calculs), mais la ministre semble ne pas se soucier si elle disposera du personnel nécessaire pour mettre en œuvre le projet de décret qu’elle veut soumettre au parlement… Ce qui ne l’empêche pas de promettre de développer non seulement un accompagnement de tous mais encore « sur mesure », « adapté à la situation propre à chaque demandeur d’emploi », qui « veille à mobiliser et susciter la pleine participation du demandeur d’emploi », etc. Quant à savoir si les moyens prévus permettront aux conseillers d’avoir le temps nécessaire pour développer un tel travail avec chaque demandeur d’emploi, sans lui imposer un diagnostic et des actions standardisées, la ministre ne répond pas et déclare que « l’accompagnement n’est pas un exercice chronométré » ! A cet égard, une seule chose paraît assurée : le cadre organique du personnel du Forem ne sera pas modifié.

Pourtant dans sa première note au gouvernement, Christie Morreale délivrait des éléments chiffrés sur cette question : « Actuellement, chaque conseiller référent prend en charge 199 nouveaux demandeurs d’emploi/an. Compte tenu du flux entre entrées et sorties du marché de l’emploi (taux de rotation de 1,23), le portefeuille de demandeurs d’emploi accompagnés annuellement par un conseiller est de 161 demandeurs d’emploi qui bénéficient en moyenne de 5h30 d’accompagnement par un conseiller référent (entretien de bilan et entretiens de suivi, avec transmissions d’offres individuelles, guidance vers les services ouverts, vers les formations internes ou vers l’offre de services des opérateurs partenaires …). » (8). Par ailleurs, le rapport annuel d’activités annuel 2019 du Forem dénombrait 130.965 demandeurs d’emploi demandeurs d’allocations (DEDA) et 27.998 jeunes en stage d’insertion (9). Ce qui représente un total de 158.963 personnes qui devraient être accompagnées si le projet de réforme était appliqué. Le même rapport indique qu’en 2019 le « nombre de demandeurs d’emploi distincts entrés en accompagnement » a été de 74.870 (ce qui représente un flux et non un « stock » moyen, contrairement au chiffre précédent) en 2019. Accompagner « tous les demandeurs d’emploi » représenterait donc un flux annuel de 158.963 x 1,23 = 195.524 personnes, soit 195.524/74.870 = 2,6 fois plus que le nombre de demandeurs d’emploi actuellement accompagnés. Le Forem disposera-t-il réellement des moyens nécessaires pour assumer une telle croissance (+160%) du nombre d’accompagnements réalisés ? D’autant qu’il faudra encore assumer dans les prochaines années l’impact de la crise sanitaire en termes d’augmentation du nombre de demandeurs d’emploi à accueillir. Ou bien le Forem devra-t-il, pour faire face à des objectifs irréalistes, pousser à outrance les demandeurs d’emploi vers la nouvelle forme d’accompagnement numérique qu’il prépare ? A quel prix pour les demandeurs d’emploi concernés ? La ministre pourrait mettre dans le débat public une quantification d’accompagnement du travail actuellement réalisé ainsi que des moyens mobilisés, du travail que générait l’application du projet de réforme, etc. Si elle ne le fait pas, pourquoi ? Quelle sera la variable d’ajustement du système si les objectifs sont sans rapport avec les moyens, sinon la qualité des accompagnements et du service rendu aux demandeurs d’emploi ?

Il en va de même concernant les sanctions. Nous avons interrogé la ministre : « Comment évaluez-vous l’impact du projet de réforme sur le nombre et le type de sanctions en disponibilité active et passive délivrées par le Forem ? Quels sont les chiffres de nombre de sanctions par type et gravité délivrées par le Forem en 2019 ? Pouvez-vous vous engager par rapport au fait qu’à l’horizon de 2023 cette réforme diminuera le nombre et la gravité des sanctions délivrées par le Forem par rapport à la situation en 2019 ? ». Elle nous a répondu qu’elle avait la « conviction que cette réforme réduira significativement le nombre de sanctions délivrées à l’encontre des demandeurs d’emploi. » et, en n’hésitant pas à marteler, qu’elle était « convaincue que cette philosophie (…) diminuera le nombre de sanctions délivrées dans le cadre du contrôle de la disponibilité ». Elle n’a répondu à aucune de nos questions portant sur les chiffres des sanctions, que celles-ci portent sur le passé ou l’avenir. Pour le passé, la question a été balayée : « Il est question de l’avenir de l’accompagnement et non de son passé. ». Mais comment peut-on avoir une « conviction » fondée que le nombre de sanctions va diminuer après la réforme si l’on se refuse à chiffrer précisément le nombre de sanctions précédent ? Quant à l’avenir, la ministre indique : « Le dimensionnement RH [Ressources Hhumaines] de la réforme, que nous avons déjà évoqué concernant l’accompagnement, prévoit, pour le contrôle, le maintien de 37 ETP [ÉquivalentsEquivalents temps plein] alors qu’ils sont aujourd’hui au nombre de 117. Cela démontre, me semble-il, que la réforme ne s’inscrit pas dans une logique de contrôle et de sanction, bien au contraire. ». Mais en quoi cela constitue-t-il une évaluation fondée sur des faits ? Un raisonnement de ce type reviendrait, dans le domaine sanitaire, à affirmer qu’une maladie ne peut se propager parce que l’on a prévu de diminuer le nombre de médecins chargés de la traiter…

Un déni du risque d’explosion des sanctions

Enfin, nous avons interpellé plus particulièrement la ministre par rapport au fait que ce projet de décret présente « des caractéristiques fondamentales qui, additionnées et combinées, conduiront à une explosion du nombre de sanctions, en particulier dans lae cadre du contrôle de la disponibilité passive : emprise du contrôle sur l’ensemble de la relation entre le Forem et le demandeur d’emploi, accompagnement de l’ensemble des demandeurs d’emploi, accompagnement plus intensif pour le public le plus éloigné du marché de l’emploi, organisation de transferts d’informations automatisés entre le Forem et le demandeur d’emploi, les partenaires du Forem, certains employeurs, promotion de la digitalisation, etc. ». A lire sa réponse, la ministre semble être restée dans le déni de ces risques, indiquant essentiellement que « quant à la disponibilité passive, la réforme n’en modifie pas le fonctionnement. »… Celle-ci ne semble pas voir, ou refuse de voir, que l’application beaucoup plus extensive des mêmes principes de contrôle de la disponibilité passive devrait générer une extension au moins similaire des sanctions. Or l’extension du champ d’application du contrôle de la disponibilité passive organisé par le projet de décret est indubitable : application de l’accompagnement de 100 % des demandeurs d’emploi indemnisés ou en stage d’insertion (plutôt qu’à environ 38 % d’entre eux actuellement), nouveaux rendez-vous fixés à distance liés à la digitalisation, nouveaux transferts d’informations vers le Forem (liés notamment au développement du dossier unique du demandeur d’emploi), multiplication des transmissions d’offres d’emploi, organisation de retours systématiques d’informations en provenance des partenaires du Forem ou de certains employeurs… La ministre a beau signaler que « le conseiller doit tenir compte et sensibiliser le demandeur d’emploi aux obligations que la disponibilité passive imposele conseiller doit tenir compte des obligations que la disponibilité passive impose et y sensibiliser le demandeur d’emploi », cela ne constitue en rien une solution au problème posé, vu que les conseillers font déjà aujourd’hui ce travail de sensibilisation et que les sanctions au titre de la disponibilité passive sont essentiellement motivées par des absences aux rendez-vous fixés au Forem. Pour faire face à ce problème, il faudrait revoir certains principes mêmes du projet de réforme et prévoir d’adopter des mesures organisationnelles et réglementaires pour alléger considérablement le niveau et l’application de ce type de sanctions, socialement désastreuses, injustes et ineptes. Encore pour cela faudrait-il identifier le risque, le reconnaître et avoir l’ambition d’y pallier. A cet égard, la réponse de la ministre ne nous rassure pas.

Qui n’a pas compris ?

Le fil rouge de la réponse de la ministre consiste à répéter que les critiques adressées à l’avant-projet de décret qu’elle a fait adopter en première et deuxième lectures au sein du gouvernement wallon sont le fruit d’une mécompréhension. A lire ses réponses, parfois longues, nous avons le sentiment que celles-ci manquent de fondements dans les faits, qu’il s’agisse de la réalité du marché de l’emploi etou de la pratique actuelle du Forem, du chiffrage des effets de l’organisation ou des effets du projet qu’elle porte ou encore du texte même de l’avant-projet déposé et de sa portée juridique. Le débat argumenté sur les faits semble être évité. On sait que l’origine du projet de décret et de réforme n’est pas issu du programme du parti socialiste. La paternité de cette réforme et de son contenu peut, de façon non certaine, être attribuée à la direction générale du Forem, qui l’a préparée sous le gouvernement précédent et en a formellement proposé, en juin 2019, les grandes lignes aux négociateurs des partis de la majorité, bien avant que le gouvernement wallon actuel ne soit formé (10). A la lecture des réponses de la ministre, qui nous semblent peu fondées dans les faits et peu en rapport avec l’avant-projet de décret en discussion, nous sommes tentés de lui retourner l’allégation de « mécompréhension » : est-elle elle-même certaine de ne pas se tromper sur la nature et la portée du projet de décret et de réforme qu’elle défend ?

(1) Communiqué de presse de la ministre Morreale, 26.06.20

(2) Christie Morreale, Note au Gouvernement wallon, 25.6.20

(3) Avant-projet de décret relatif à l’accompagnement orienté coaching et solutions des chercheurs d’emploi adopté en deuxième lecture, Commentaires,12.11.20.

(4) Christie Morreale, Note au Gouvernement wallon, 25 .6.20

(5) CESE W, avis 1446, 17.09.20

(6) Avant-projet de décret… deuxième lecture,12.11.20.

(7) Note au GW, 25.6.20, ibid.

(8) Ibid.

(9) Forem, Rapport annuel 2019.

(10) Note au GW, 25.6.20, ibid.

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