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« Cette réforme n’emporte pas notre adhésion »

Selon Vincent Pestieau, Secrétaire régional de la FGTB Charleroi Sud-Hainaut, l’avant-projet de décret sur l’accompagnement des demandeurs d’emploi recèle de sérieux problèmes et son dépôt au Parlement serait aujourd’hui « totalement prématuré ».

Vincent Pestieau (Secrétaire régional de la FGTB Charleroi Sud-Hainaut) : « Nous sommes opposés aux chasses aux chômeurs ».

Dans l’entretien qu’il nous avait accordé fin septembre 2020 (1), Jean-François Tamellini, Secrétaire général de la FGTB wallonne, nous avait présenté le positionnement de son organisation par rapport à l’avant-projet de décret réformant l’accompagnement des demandeurs d’emploi par le Forem, dont la version adoptée en première lecture par le gouvernement wallon en juin avait été soumise pour avis aux interlocuteurs sociaux au sein du Conseil économique, social et environnemental de Wallonie (CESE–W). Le patron de la FGTB-W nous avait expliqué que l’avis remis le 14 septembre dans ce cadre (2) n’était « unanimement favorable » (et donc FGTB-W et CSC-W inclus) que « moyennant la prise en compte » d’une série de demandes listées et qui en faisaient partie intégrante. Certaines de ces requêtes remettaient fondamentalement en cause le principe même de la réforme s’il y était donné suite, d’autres nous paraissaient n’avoir que très peu de chances d’être acceptées par le MR au sein du gouvernement wallon. J-F. Tamellini nous avait cependant indiqué que ces demandes par rapport au projet de décret initial n’étaient pas des « vœux pieux » mais constituaient autant de balises pour la FGTB-W, dont elle évaluerait la prise en compte, en prenant date pour nous annoncer la mobilisation de son organisation pour obtenir satisfaction s’il devait s’avérer qu’elles soient ignorées.

Le 12 novembre 2020, le gouvernement a adopté en seconde lecture une nouvelle version de l’avant-projet de décret, censée tenir compte notamment de l’avis du CESE-W. A l’analyse, il est manifeste que celui-ci a seulement retenu de l’avis du CESE-W sont caractère favorable, considéré comme un blanc-seing syndical pour la réforme, et qu’il n’a presque pas donné suite aux demandes et craintes qui y étaient exprimées. Depuis lors, l’heure est aux discussions sur ce sujet à la FGTB wallonne. Aujourd’hui, Vincent Pestieau, Secrétaire régional de la FGTB Charleroi Sud-Hainaut, un bassin industriel encore durement frappé par le chômage, nous livre son appréciation du projet de réforme, tel qu’il se dessine après l’approbation de l’avant-projet de décret adopté en seconde lecture. Il met en avant, dans le contexte de la crise sociale ouverte par la crise sanitaire, le caractère prioritaire d’autres réformes de l’assurance chômage. Faisant part de ses critiques par rapport à certaines dimensions fondamentales de la réforme, il estime qu’à ce stade le dépôt d’un projet de décret au pParlement wallon serait « totalement prématuré ».

Ensemble !: Percevez-vous le projet de décret réformant l’accompagnement des demandeurs d’emploi en cours d’adoption comme une avancée ou un danger ?

Vincent Pestieau (FGTB Charleroi – Sud-Hainaut) : Pour porter un jugement , il me semble important de fonder notre réflexion non à partir des documents du gouvernement et de la façon dont ils abordent le sujet mais en se référant aux positions que nous avons reçu le mandat de défendre, notamment lors de notre dernier congrès de la FGTB Wwallonne. Nous sommes opposés aux chasses aux chômeurs, au contrôle de la « disponibilité active » et à la multiplication des sanctions et des exclusions. De même, nous sommes opposés à ce qu’il y ait au sein du Forem une confusion entre le contrôle et l’accompagnement des demandeurs d’emploi. Ce sont ces éléments-là qui doivent déterminer notre position. En outre, il faudrait pour aborder correctement le sujet commencer par faire un bilan de la façon le Forem fonctionne aujourd’hui et de ses résultats en matière en matière d’accompagnement, de contrôle et de sanctions des chômeurs. Or, le fonctionnement du Forem dans sa mission de contrôle de la disponibilité active, qui lui a été transférée en 2016 dans le cadre de la VIe réforme de l’État, n’est pas du tout satisfaisant adu point de vue des demandeurs d’emploi wallons. Le Forem sanctionne beaucoup plus dans ce registre que ses homologues de las régions flamande et de la région bruxelloise. Il faudrait comprendre précisément pourquoi et où se situent les responsabilités en la matière. Si on ne pose pas les bons objectifs et diagnostics, on risque de se tromper sur les solutions. Plus globalement, avec la crise sanitaire et ses impacts sur le marché du travail, c’est aujourd’hui le principe même du contrôle de la disponibilité active qui doit être remis en cause, et ce à tous les niveaux de pouvoirs. Les partis qui forment la majorité au niveau wallon sont également au pouvoir au niveau fédéral, il faut agir aux différents niveauxéchelons pour améliorer la situation.

Par ailleurs, la question de l’accès à l’emploi, et donc de l’accompagnement des chômeurs, ne peut pas être abordée sans poser la question déterminante de l’existence ou non d’offres d’emplois en nombre suffisant par rapport à la demande d’emploi. Il n’est pas acceptable de se focaliser sur le contrôle des « efforts de recherche » des chômeurs alors que le problème se situe du côté du manque d’offres d’emplois. J’ajoute que la question du niveau des allocations devrait également être abordée. Certaines allocations de chômage sont devenues tellement basses qu’elles ne permettent plus aux allocataires de faire face à leurs besoins de base : payer leur loyer, la nourriture, le chauffage, les soins, les frais scolaires, etc…. Dans ces conditions, est-il réaliste d’attendre de ceux qui sont dans ces situations qu’ils soient hyperactifs en matière de recherche d’emploi, de formation, etc. ? La question d’une réforme de l’accompagnement des chômeurs devrait donc s’inscrire dans d’un débat beaucoup plus global sur l’emploi et la revalorisation de l’assurance chômage. Aujourd’hui, dans notre région, des délégations syndicales de la FGTB Charleroi en sont à organiser des collectes au bénéfice des « restos du cœur » afin d’assurer une distribution de colis alimentaires à des bénéficiaires qui ne cessent de croître en cette période de fin d’année. Nous faisons face à une crise sociale manifeste. C’est de ce point de vue-là que cette réforme doit être évaluée, et à ce stade elle n’emporte pas notre adhésion. En outre, le fait qu’elle ait pour principe de confier aux conseillers en charge de l’accompagnement des chômeurs des tâches d’évaluation de leur disponibilité active est en contradiction flagrante avec la position que la FGTB-W a toujours défendue, c’est-à-dire de maintenir au sein du Forem une distinction stricte entre l’aide et le contrôle.

La version du projet de décret adoptée en seconde lecture par le gouvernement wallon donne-t-elle suffisamment suite aux attentes syndicales, dont certaines avaient été intégrées dans l’avis du CESE-W, pour que vous puissiez la soutenir ?

Outre sa logique globale et ce que j’ai déjà dit concernant le débat plus général dans lequel il faut le replacer, le projet de réforme tel qu’il est dessiné par le projet de décret adopté en seconde lecture pose de très graves problèmes. Tout d’abord, il ne donne aucune suite à la demande de la FGTB-W de permettre aux demandeurs d’emplois d’avoir un droit de « veto » par rapport aux actions inscrites dans son plan d’action en matière de recherche d’emploi (c’est-à-dire aux actions susceptibles d’être contrôlées et de donner lieu à sanction). Or, il s’agit là d’un élément essentiel si l’on entend parler d’un véritable « projet » de recherche d’emploi convenu entre le demandeur d’emploi et le Forem. Le demandeur d’emploi ne peut être réellement impliqué dans un projet de recherche d’emploi si les objectifs et les contours de cette recherche lui ont été imposés, sous peine de perte des allocations, sans qu’il puisse les remettre en cause. La possibilité de défense syndicale des demandeurs d’emploi telle qu’elle semble prévue par le projet de décret est totalement insuffisante, notamment parce qu’elle ne commencerait qu’une fois que le demandeur d’emploi aurait déjà signé son « plan d’action » et que le conseiller qui l’accompagne estime avoir réuni suffisamment d’éléments pour proposer l’adoption d’une sanction. La façon dont le décret prévoit de faire du numérique et du digital les modalités de contact et d’accompagnement privilégiées est également très problématique. Ça ne correspond pas à la situation et aux besoins de 80 % des chômeurs de notre région, et en particulier des plus fragiles. Déjà actuellement, la digitalisation des services du Forem qui a été mise en place dans le cadre de la crise sanitaire pose de nombreux problèmes aux demandeurs d’emploi. Il faudrait commencer par en faire faire le bilan avant de décider de s’engager structurellement dans cette voie. La question des critères d’évaluation des conseillers du Forem est également un problème. On ne peut pas leur faire porter des responsabilités en matière de retour vers l’emploi des personnes qu’ils accompagnent, car ce ne sont pas eux qui décident des engagements, et de plus ce genre de critères d’évaluation pourrait avoir des effets pervers sur leur prise en compte des intérêts des demandeurs d’emplois. Enfin, le projet de réforme prévoit d’étendre l’accompagnement à 100 % des demandeurs d’emploi, mais il est loin d’être établi que le gouvernement soit prêt à augmenter suffisamment les moyens du Forem pour lui permettre de réaliser cette augmentation dans de bonnes conditions tant pour les demandeurs d’emplois que pour le personnel du Forem ou ses partenaires…

« Le projet de décret ne donne aux demandeurs d’emplois aucun un droit de veto par rapport aux actions inscrites dans son plan d’action »

Le projet de réforme prévoit non seulement d’étendre l’accompagnement des chômeurs à tous et sans limite dans le temps, mais il prévoit également qu’il soit plus « intensif » pour les chômeurs les plus « éloignés du marché de l’emploi ». Beaucoup de professionnels en contact avec ce public sont sceptiques par rapport à la pertinence d’une telle mesure et inquiets quant à la multiplication des sanctions que cela risque de générer…

Que les pouvoirs publics dégagent des moyens pour aider les demandeurs d’emploi les plus éloignés du marché du travail est positif. Ceci dit, tout cela perd son sens s’il n’y a pas d’offres d’emploisd’emplois convenabless en nombre suffisant et réellement disponibles et accessibles à leur proposer. En outre, convoquer tous les trois ou six mois ces demandeurs d’emplois au Forem pour faire le point sur leurs démarches de recherches d’emploi ne leur sera pas en soi d’une grande aide et pourra être une source de tensions et de sanctions. La situation du marché de l’emploi dans les bassins industriels wallons n’est pas comparable à ce qu’elle est dans certaines régions de Flandre. Quels emplois, quelles formations, quelles aides vont pouvoir leur proposer les conseillers du Forem ? Pour remonter sur le marché de l’emploi, une bonne partie de ces personnes auraient notamment besoin d’un soutien social approfondit ou de l’accès à des formations, etc. Or dans notre région, les CISP partenaires du Forem sont bien souvent saturées. Le gouvernement prévoit-il des moyens pour doubler l’offre de places de formations et de soutien social ? Si ce n’est pas le cas, il est contradictoire de prévoir une extension et une intensification des accompagnements pour ce type de public.

Au vu de ce qui précède, estimez-vous que le projet de décret a été suffisamment concerté avec les interlocuteurs sociaux et est mûr pour être déposé au Parlement wallon ?

A l’heure actuelle, ce projet n’a manifestement pas encore été suffisamment concerté et son dépôt au Parlement est totalement prématuré. Vu l’impact de la crise sanitaire sur le marché de l’emploi wallon, qui ne se révélera pleinement que lorsque les mesures de chômage temporaire auront pris fin, il me semble qu’il y a d’autres urgences sociales en termes de chômage qui devraient être traitées en priorité pour répondre aux besoins criants de la population. Les partis au pouvoir au niveau de la région wallonne le sont également au niveau fédéral, il me semble qu’il est plus urgent de parler du niveau des allocations de chômage nécessaire pour éviter la pauvreté ou de l’octroi et du maintien des allocations d’insertion pour les jeunes, en particulier dans le contexte des difficultés qu’ils rencontrent aujourd’hui pour accéder à l’emploi.

La mise en place du projet de réforme est actuellement en préparation au sein du Forem et l’adoption du décret en troisième lecture au sein du gouvernement, en vue de son dépôt au pParlement wallon, a failli être décidée en décembre 2020. Or, la FGTB -W ne semble faire aucune communication publique de ses critiques par rapport au projet de décret ni d’une opposition à son adoption rapide au Parlement. Sa mobilisation éventuelle ne risque-t-elle pas d’être trop tardive pour peser sur la décision ?

A la FGTB Wwallonne, nous travaillons en priorité à obtenir satisfaction par le biais de négociations sur base de notre propre évaluation avant d’en venir à la mobilisation d’un rapport de forces. Le report de l’adoption du projet de décret, initialement prévue en décembre, ainsi que l’annonce de nouvelles concertations indiquent que la voie de la négociation n’est pas fermée. Encore récemment, en 2018 – 2019, la FGTB Wwallonne a démontré, concernant un projet de décret réformant les aides à la promotion de l’emploi (APE), qu’elle pouvait créer, avec d’autres organisations, une mobilisation sociale et politique capable d’imposer au gouvernement wallon la prise en considération du point de vue des organisations syndicales sur des matières qui les touchent directement.

Particulièrement dans une période de crise Covid-19 où plus d’un millions de travailleurs se sont retrouvés dans une situation de chômage temporaire, le débat sur l’accès aux allocations de chômage est crucial pour la protection des travailleurs (avec ou sans emploi) en temps de crise. La façon dont le Forem contrôle les demandeurs d’emploi doit donc être évaluée et réformée, mais surtout pas de façon précipitée, pas n’importe comment et pas sans garanties suffisantes pourde casser le cercle vicieux des sanctions et de l’exclusion sociale.

(1) « Nous évaluerons l’évolution du projet », Ensemble ! n° 103, p. 15, octobre 2020.

(2) CESE W – Avis 1446 sur l’avant-projet de décret relatif à l’accompagnement orienté coaching et solutions des chercheurs d’emploi.

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