social / santé

« La crise renforce la pertinence de l’investissement dans la santé et le social »

Le gouvernement bruxellois a dû revoir ses projets en matière de social et de santé à l’aune de la crise Covid. Nous avons rencontré Alain Maron, ministre de l’Action sociale et de la Santé, pour faire le point après cette année chahutée.

Alain Maron : « La capacité Housing First a presque été doublée en un an, en plus des hébergements temporaires dans les hôtels ».

En décembre 2019, nous avions rencontré le ministre Alain Maron (Ecolo), membre du Collège de la commission communautaire française (COCOF), chargé de l’Action sociale et de la Santé et membre du Collège réuni de la commission communautaire commune (COCOM), chargé de la Santé et de l’Action sociale. (Lire Ensemble ! n° 101 p. 76) En ce début de législature, il nous avait fait part des projets du gouvernement dans les matières sociales et de santé. C’est peu de dire que ces domaines ont été plus que prévu encore à la Une des préoccupations suite à la crise sanitaire sans précédent que nous avons connue. Alain Maron, comme les autres ministres de la Santé du pays, et de façon globale les responsables politiques, a dû affronter une situation inédite.

Ensemble ! : La crise sanitaire a évidemment chamboulé les projets que vous nous annonciez l’an dernier…

Alain Maron : La crise du Covid nous a plongés dans un autre monde. Il a fallu mettre une énergie et des moyens jamais vus pour gérer la crise épidémique : matériel de protection, testing, suivi de contacts, vaccination, etc. Cela a mobilisé les ressources humaines de mon cabinet mais aussi de la COCOM, de la COCOF et d’Iriscare. En dehors de la gestion même de l’épidémie, nous avons réagi également très vite sur le plan social car nous avons perçu immédiatement l’impact qu’aurait cette crise pour les plus précarisés. En commençant par les sans-abri identifiés directement comme un public particulièrement à risque, a fortiori en période de confinement. Ce qui a accéléré les actions prévues de relogement et de sortie de rue mais en a aussi amené d’autres qui n’étaient pas planifiées, en concertation avec les pouvoirs locaux et l’associatif. On a par exemple profité du fait que les hôtels étaient vides pour accueillir jusqu’à neuf cents personnes, soit une augmentation jamais vue. Outre cette augmentation quantitative, nous avons voulu poursuivre la démarche qualitative en veillant à leurs droits sociaux, à la qualité d’accueil et aux conditions d’exercice des travailleurs sociaux. Nous travaillons aussi à trouver des solutions plus pérennes pour que la sortie des hôtels ne signifie pas le retour à la rue. Il faut souligner que beaucoup de communes et de CPAS ont joué le jeu et ont relayé sur le terrain la volonté de la COCOM qui coordonne et finance les actions.

Ce qui a frappé aussi, c’est que les premières demandes dans cette crise ont surtout concerné l’aide alimentaire ?

En effet. Du fait du confinement, beaucoup de personnes ont perdu leurs moyens de subsistance : des petits jobs dont bien sûr l’Horeca, des intérims qui ont chuté, du travail au noir qui a disparu, etc. J’ai été voir sur le terrain les associations et les CPAS qui délivrent de l’aide alimentaire : les files étaient impressionnantes et la diversité des personnes dans les files était aussi frappante. Y compris des familles avec des enfants. Nous avons tenté d’instaurer avec le fédéral un système de cartes mais ça n’a pas (encore) réussi. Certains CPAS avancent dans cette voie.

Le gouvernement a décidé de soutenir les CPAS de manière inédite et importante justement…

Exact. Nous avons massivement soutenu les CPAS en les dotant de trente millions d’euros alors même que ce n’est normalement pas le rôle de la Région. Une part de 3/5ème (donc 18 millions) permet aux CPAS de faire face aux dépenses supplémentaires, par exemple pour soutenir le public qui n’est pas dans les conditions habituelles des CPAS mais qui subissent une perte de revenu (30%) mais aussi pour soutenir les CPAS dans leurs frais découlant de la crise : le matériel de protection, les locaux, etc.) et le renforcement du personnel (70 %). Cela doit permettre aux CPAS de faire face à cette crise, y compris à son impact sur leur fonctionnement. L’autre tranche de 2/5ème (donc 12 millions) vise des actions spécifiques : 35 % pour la lutte contre la sous-protection sociale et le non-accès aux droits et 65 % pour différentes thématiques : l’aide alimentaire, la guidance sociale, la médiation de dettes, la prévention de la perte de logement, le renforcement des coordinations sociales, des projets de santé en lien avec les « Contrats locaux social/santé » (lire l’encadré p. 7), le soutien aux familles monoparentales, la pauvreté infantile et la fracture numérique. Ce sont des thématiques que nous voulions déjà soutenir avant la crise Covid et qui ont pris une pertinence plus forte encore avec la crise.

L’an dernier, vous nous aviez expliqué que le dispositif Housing First allait être renforcé.

Cela a été fait et nous allons poursuivre dans ce sens. (Lire l’encadré ci-contre.) Un plan d’urgence logement a été développé par ma collègue Nawal Ben Hamou (PS). Ce plan comprend toute une partie articulation avec la politique de lutte contre le sans-abrisme. Il s’agit notamment de disposer pour le Housing First de logements publics, semi-publics et des Agences immobilières sociales (AIS). La coopération avec les AIS est celle qui est la plus fructueuse et donc le plan permet de l’étendre encore.

Le développement du Housing First

Situation 2019 : une capacité de 104 logements pour un budget de 1,34 million

Situation 2020 : une capacité de 200 logements pour un budget de 2,31 millions.

Quatre opérateurs : Infirmiers de rue, SMES, New Samusocial et Diogenes.

La capacité a presque été doublée en un an.

Perspectives 2021 : augmentation substantielle, en lien avec la mesure de relance soit 5,75 millions dégagés pour augmenter le nombre de logements accessibles aux personnes sans abri.

Par ailleurs, un opérateur logistique centralisé a été désigné depuis novembre 2020 qui permet de soutenir les opérateurs Housing First : organisation des entrées en logement, des sorties du logement et des déménagements, gestion des stocks et achats liés à l’ameublement des logements, petits travaux. Un budget de 139.000 € HTVA a été dégagé pour cette plateforme logistique.

On a beaucoup glosé sur le nombre de ministres de la Santé dont la Belgique dispose. Or l’an dernier vous nous aviez expliqué que Bruxelles avait décidé une gestion intégrée du social et de la santé, ce qui fait qu’il y a un ministre (vous) et un cabinet là où il y en avait quatre auparavant…

Il y avait même cinq cabinets dans le gouvernement précédent : deux « Santé » en COCOM, deux « Social » en COCOM et un « Social » en COCOF. Heureusement que cette crise a été gérée par un seul cabinet. Cette gestion a été très difficile et n’a sûrement pas été parfaite mais je n’ose imaginer ce que cela aurait été sans cette intégration. La coopération entre les administrations a aussi transcendé ces frontières institutionnelles qui n’ont aucun sens. C’est le cas par exemple de la ligne d’urgence sociale (0800 35 243). La personne en difficulté, elle s’en fiche de savoir si tel soutien est de la compétence de la COCOF ou de la COCOM, elle a besoin d’un soutien efficace, un point c’est tout.

Toutes ces urgences ont dû pénaliser les projets initialement prévus ?

Cela dépend. Dans certains cas, la crise a donné un coup d’accélérateur à des projets prévus dans un autre contexte. Les « Contrats locaux social/santé » (lire l’encadré p. 7) ont été lancés. Les états généraux aussi. Le travail en virtuel ne facilite pas les choses, notamment sur le plan participatif mais ça avance. Nous espérons que le plan intégré social/santé, comprenant le plan de lutte contre la pauvreté, sera prêt à la rentrée de septembre. L’aide aux personnes âgées (APA) est dorénavant de notre compétence et elle a été élargie aux personnes de nationalité étrangère, ce qui dans une région comme Bruxelles est essentiel. Nous avons aussi simplifié les procédures pour lutter contre le non-recours : les tiers (CPAS, maison de repos, etc.) peuvent introduire la demande pour les personnes qui ne seraient pas en mesure de le faire. Toujours pour les personnes âgées, des moyens du plan de relance sont utilisés pour améliorer la politique de maintien à domicile. Et pour les homes, on poursuit la transformation de lits « maison de repos » en lits « maison de repos et de soins », ce qui améliore la prise en charge des résidents et les conditions de travail du personnel.

Qu’en est-il de l’énergie ?

Il y a eu des avancées au niveau fédéral dont la revalorisation du fonds. A la région, nous préparons une nouvelle ordonnance (lire l’article p. 20). L’une des lignes est de renforcer les droits des consommateurs, dont les plus fragiles. Une nouvelle ordonnance eau est aussi à l’étude. C’est encore plus complexe qu’en gaz élec, notamment parce que plus de la moitié des ménages bruxellois n’a pas de compteur individuel, ce qui rend difficile notamment l’instauration d’un tarif social.

Un mot de conclusion ?

La crise sanitaire que nous vivons renforce la pertinence de l’investissement dans la santé et le social, d’autant qu’elle entraîne une crise économique. C’est pourquoi le plan de relance intègre les dimensions du social et de la santé, c’est primordial.

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