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Réforme du Forem : très peu d’évolutions

Le 1er avril, le projet de décret sur l’accompagnement des demandeurs d’emploi a été adopté en troisième lecture par le gouvernement wallon, sans grandes modifications.

En décembre 2020, alors que l’avant-projet de décret « relatif à l’accompagnement orienté coaching et solutions des chercheurs d’emploi » venait d’être adopté en seconde lecture (lire l’encadré) par le gouvernement wallon, nous concluions le dossier consacré à ce projet de réforme par un article qui proposait de remettre le projet à plat et de le réécrire d’une façon réellement concertée avec les acteurs concernés. (1) Après avoir rappelé les caractéristiques les plus problématiques du projet (déshumanisation de l’accompagnement des demandeurs d’emploi (DE), confusion de l’aide et du contrôle, subordination totale du demandeur d’emploi par rapport au Forem, risque d’explosion des sanctions au titre du contrôle de la disponibilité passive, etc.), nous avions tenté de dégager une série de propositions de réorientations fondamentales du projet de nature à protéger les demandeurs d’emploi. Nous terminions cet article en indiquant que les organisations syndicales pouvaient reprendre la main sur ce dossier : « dans la conjoncture présente des rapports de force, nous ne pouvons imaginer que la coalition wallonne actuelle assume de faire passer ce projet de décret si les organisations syndicales y manifestent publiquement leur opposition » (2), indiquions-nous. Après un certain nombre de modifications, le projet de décret a été approuvé en troisième lecture par le gouvernement wallon le 1er avril 2021. Il a ensuite été déposé sous cette forme au Parlement wallon et présenté par la ministre en vue d’y être discuté à partir du mois de septembre, après la tenue d’auditions (3). Deux arrêtés d’application ont également été approuvés en première lecture par le gouvernement wallon le 8 juillet 2021 (4), sur lesquels le Conseil économique, social et environnemental de Wallonie (CESE W) ainsi que le Comité de gestion du Forem ont à remettre un avis (lire ici).

A l’examen, le projet de décret adopté en troisième lecture ne recèle que peu d’évolutions par rapport à la version précédente, sur base de laquelle nous avions publié notre dossier de décembre 2020. La date de l’entrée en vigueur complète du décret a été repoussée à décembre 2023, la disposition qui prévoyait explicitement que le Forem « privilégie l’utilisation des canaux numériques pour toute interaction » avec les demandeurs d’emploi a été supprimée et, enfin, il a été précisé que les conseillers en charge de l’accompagnement n’auraient pas à émettre des avis défavorables sur la disponibilité active des demandeurs d’emploi.

Le déluge, mais après moi

Le fait que la date d’entrée en vigueur pleine et entière du décret soit repoussée au 31 décembre 2023 est plutôt une bonne nouvelle. En effet, fixer par décret une date d’entrée en vigueur trop rapprochée et irréaliste, ce serait imposer au Forem de le mettre en œuvre « coûte que coûte » dans la précipitation et les demandeurs d’emploi seraient les premiers à en faire les frais. Cette modification mérite néanmoins d’être pointée pour ce qu’elle nous révèle, d’une part sur la façon dont la date d’entrée en vigueur annoncée d’abord a été instrumentalisée pour réduire au minimum la concertation sociale préalable et, d’autre part sur la façon dont la ministre et le gouvernement s’organisent pour ne pas devoir assumer les conséquences sociales de ce décret devant leurs électeurs.

Le gouvernement s’est organisé pour ne pas devoir assumer devant les électeurs les conséquences sociales du décret

La version du projet de décret adoptée en première lecture par le gouvernement wallon le 25 juin 2020 prévoyait son entrée en vigueur au… 1er janvier 2021. C’est donc sur la base de cette date prévue que la concertation sociale au sein du CESE W et du Comité de gestion du Forem sur ce projet s’est déroulée, ce qui a permis de prétexter de « l’urgence » de sa mise en œuvre rapide pour mener cette concertation tambour battant en juillet – août 2020, en pleine période de vacances et de crise sanitaire. Le Comité de gestion du Forem avait à cet égard explicitement « regretté les conditions dans lesquelles son avis est sollicité, soit dans un délai très court et en pleine période estivale » (5). Il s’avère aujourd’hui que ce n’est que trois ans plus tard que l’application intégrale du projet de décret est prévue. La date de l’entrée en vigueur initialement annoncée semble donc avoir eu pour seul motif d’empêcher le déroulement normal de la concertation sociale et l’organisation en temps utile d’un débat sur ce projet au sein des organisations syndicales et dans la société civile.

Ce report prévu aura aussi une certaine importance politique. Les sanctions des demandeurs d’emploi générées par ce décret ne seront progressivement visibles qu’un an ou deux après sa mise en œuvre. Si la réforme n’est pleinement appliquée qu’en décembre 2023, ses effets ne seront donc manifestes qu’en décembre 2024 et on ne pourra en tirer un premier bilan global qu’en juin 2025 voire en juin 2026. Or les prochaines élections régionales sont fixées à mai 2024. Vu la période choisie pour la pleine entrée en vigueur de la réforme, la ministre de l’Emploi, Mme Christie Morreale, et l’ensemble du gouvernement actuel ne devraient dès lors pas être confrontés durant la période électorale aux conséquences de leur réforme. Lorsque les effets concrets seront patents, ce sera une nouvelle coalition et d’autres ministres qui seront aux responsabilités. C’est sur le même type de timing qu’avaient été organisées les exclusions des allocataires d’insertion. Décidée par le gouvernement fédéral d’Elio Di Rupo (2011-2014), cette réforme-là avait elle aussi été conçue pour ne produire ses effets que juste après les élections (à partir de janvier 2015).

Une, deux, trois lectures... puis au parlement

En Wallonie, lorsqu’un.e ministre souhaite faire adopter une nouvelle législation, il.elle présente à ses collègues du gouvernement un avant-projet de décret. Le cas échéant, après discussion en réunion intercabinets (c’est-à-dire entre les représentants des différents ministres du gouvernement), puis accord du gouvernement en première lecture, ce texte est transmis pour avis à des organismes consultatifs (par exemple, le Conseil économique, social et environnemental de Wallonie). Après que ces avis ont été transmis au ministre compétent, celui-ci présente au gouvernement (après un nouvel intercabinets) une version modifiée du décret (censée tenir compte des avis) en vue d’une approbation en seconde lecture. A la suite de quoi, le ministre transmet ce projet de décret à la section de législation du Conseil d’État qui remet un avis sur sa qualité juridique ainsi que sur sa compatibilité avec d’autres normes de niveau égal ou supérieur dans la hiérarchie des normes. Une fois cet avis recueilli par le ministre, celui-ci modifie le texte en tenant compte des remarques du Conseil d’État et le soumet (après un nouvel intercabinets), au gouvernement en vue d’une approbation en troisième lecture. Une fois que celle-ci est intervenue, le ministre est chargé de déposer le texte au Parlement wallon, où il est transmis à la commission parlementaire compétente. In fine, après l’examen du texte par la commission, celui-ci est mis à l’agenda d’une séance plénière du parlement où il sera adopté, amendé ou rejeté par un vote sur chacun de ses articles puis par un vote sur le texte dans son ensemble (1).

(1) D’après CRISP, « Vocabulaire politique, projet de décret ».

Privilégier ou non l’inscription et l’accompagnement à distance ?

Le décret adopté en seconde lecture disposait que « le Forem privilégie l’inscription à distance tout en garantissant (…) la possibilité de se présenter auprès de ses services afin de bénéficier d’une assistance pour son inscription. » (art 4) et que « le Forem privilégie l’utilisation des canaux numériques pour toute interaction, découlant de l’exécution du présent décret, avec le chercheur d’emploi dont l’autonomie numérique, objectivée et soutenue par le Forem (…) permet un accompagnement à distance. / Le Forem assure un accompagnement en présentiel pour les chercheurs d’emploi dont l’autonomie numérique ne permet pas un accompagnement à distance ou lorsque le chercheur d’emploi nécessite ou sollicite un accompagnement en présentiel. » (art 11). Nous avons, dans nos numéros précédents, déjà souligné combien cette stratégie « digital first » (sic) serait catastrophique pour les demandeurs d’emploi. L’inscription au Forem, surtout s’il s’agit de la première inscription, est en effet une démarche très importante, tant par rapport aux informations transmises par le demandeur d’emploi à cette occasion (sur son parcours antérieur, sur le type d’emploi qu’il recherche, etc.), qui vont avoir des conséquences importantes pour la suite de son parcours administratif et sur les conditions de maintien de ses allocations, que par rapport aux informations à transmettre au demandeur d’emploi par le Forem (notamment par rapport à ses « droits et devoirs »). L’inscription à distance des demandeurs d’emplois (hormis sans doute des réinscriptions simples, comme par exemple après un intérim) est donc très dangereuse pour les demandeurs d’emploi, qui gagnent à ce que ce processus soit réalisé par un agent compétent du Forem susceptible de les informer précisément sur les conséquences des choix opérés et des informations transmises ainsi que de vérifier qu’ils les ont bien comprises. Il ne suffit pas que le demandeur d’emploi parvienne techniquement à réaliser son inscription en ligne pour que l’on puisse supposer qu’il maîtrise tous les aspects de cette inscription. De même la digitalisation des accompagnements (par un ordinateur, ou par un humain à distance via Teams, etc.) risque de les déshumaniser et de leur faire perdre leur qualité. Nous avions donc été particulièrement critiques par rapport à ces dispositions, comme la plupart des acteurs concernés (Interfédé, organisations syndicales, etc .)… sauf la direction du Forem.

Ces critiques semblent avoir été partiellement entendues par le gouvernement wallon. L’article 4 adopté en troisième lecture dispose désormais que « Le Forem privilégie l’inscription à distance tout en garantissant, à toute personne physique visée à l’alinéa 1er, la possibilité de se présenter directement auprès de ses services pour s’y inscrire. ». La mention « bénéficier d’une assistance pour s’y inscrire » a été remplacée par « s’y inscrire ». Ce qui pourrait laisser entendre que le Forem renoncerait à suivre le modèle désastreux adopté par Pôle emploi (son homologue en France), qui consiste à inviter les demandeurs d’emploi à procéder eux-mêmes à leur inscription sur ordinateur dans les locaux du service de l’emploi, avec la simple aide d’un agent administratif qui passe de poste en poste. Quant à l’article 11, il est libellé comme suit dans la version adoptée en troisième lecture : « Le Forem assure un accompagnement en présentiel pour les chercheurs d’emploi dont l’autonomie numérique ne permet pas un accompagnement à distance ou lorsque le chercheur d’emploi nécessite ou sollicite un accompagnement en présentiel. Dans le respect de l’alinéa 1er, le Forem peut recourir aux canaux numériques pour toute interaction, découlant de l’exécution du présent décret, avec le chercheur d’emploi dont l’autonomie numérique, objectivée et soutenue par le Forem (…) permet un accompagnement à distance. ». L’idée (dangereuse et aberrante du point de vue des demandeurs d’emploi) que le Forem privilégie « l’utilisation des canaux numériques pour toute interaction » a donc été retirée du dispositif même du décret. Ces petites avancées témoignent d’une prise de conscience par la ministre de l’Emploi du caractère problématique de cette mesure, ou du moins de discussions à ce sujet au sein du gouvernement wallon.

« L’approche digital first (…) permettra d’accompagner à moindre coût les demandeurs d’emploi les plus autonomes »

Toutefois, la lecture des commentaires des articles (même s’ils n’ont pas de portée légale directe), rédigés par la ministre et qui accompagnent le texte du projet de décret, n’est pas vraiment rassurante sur ces points. Le commentaire de l’article 3 stipule en effet toujours après la troisième lecture que le Forem « privilégie, lorsque l’autonomie numérique le permet, les canaux numériques pour les interactions avec les demandeurs d’emploi ». Idem, le commentaire de l’article 4 reprend encore la formulation : « le Forem privilégie l’inscription à distance et assure une assistance à tout usager qui la sollicite ». L’avis 20/01 du Comité de gestion du Forem, publié dans la documentation parlementaire, met bien en évidence la pure volonté d’économie budgétaire qui préside à ces mesures, l’attachement qu’y porte la direction du Forem et la façon implacable dont celles-ci risquent d’être appliquées si le décret ne garantit pas mieux le caractère humain de l’inscription et de l’accompagnement des demandeurs d’emploi. On peut en effet lire dans cet avis que : « cette approche digital first contribuera grandement à atteindre l’objectif de cette réforme (…) puisqu’elle permettra d’accompagner à moindre coût les demandeurs d’emploi les plus autonomes (…)». Concernant l’article 4 du décret, cet avis poursuit : « le Forem entend privilégier au maximum l’inscription en ligne en permettant à l’usager de s’inscrire à distance aux services du Forem ou en aidant l’usager qui se présente auprès de ses services à réaliser son inscription en accédant à un PC mis à sa disposition par l’Office dans ses services ouverts. L’usager y sera assisté par un membre du personnel du Forem pendant tout le processus d’inscription en ligne et ce, si l’usager le souhaite, jusqu’à l’impression de l’attestation d’inscription. (…) le Forem exerce sa mission d’inscription en orientant au maximum tous les chercheurs d’emploi vers l’application en ligne de l’inscription tout en veillant à garantir aux personnes éloignées numériquement, qui ne disposent pas de matériel informatique ou qui le sollicitent, une assistance présentielle chaque fois que nécessaire. Toutefois le Forem maintiendra un système d’inscription entièrement assisté pour les personnes éloignées numériquement et qui ne sont pas en mesure de s’inscrire en ligne avec une assistance partielle du Forem. Dans la mesure où ce cas doit rester l’exception, le Comité de gestion insiste pour que « la possibilité de se présenter directement » telle que prévue (…) soit entendue comme la possibilité de disposer d’un support nécessaire auprès des services du Forem pour s’inscrire en ligne et non, pour se voir délivrer directement à un guichet, une attestation d’inscription, inscription réalisée entièrement par le conseiller. Le Comité de gestion craint que le terme « directement » prête à confusion sur la manière dont le service d’inscription doit être délivré et de ce fait que le Forem soit tenu d’assurer une inscription complètement assistée pour toute personne qui le solliciterait. » (6).

« Le Comité de gestion craint (…) que le Forem soit tenu d’assurer une inscription complètement assistée pour toute personne qui le solliciterait »

On le voit, la prétendue volonté « d’accompagner tous les demandeurs d’emploi » n’est prévue (vu notamment l’absence d’octroi des moyens humains nécessaires) que d’une façon qui sera déshumanisée et qualitativement médiocre. En particulier concernant l’inscription en ligne des demandeurs d’emploi, la direction du Forem considère que cette voie doit être absolument privilégiée sauf si elle est totalement impossible (analphabètes…), sans apparemment prendre en compte l’importance d’une prise en charge de cette inscription par des humains dûment qualifiés.

Pas de présomption de faute

Une autre évolution significative du projet de décret entre sa version adoptée en deuxième lecture et celle adoptée en troisième lecture concerne les avis sur la disponibilité active des demandeurs d’emploi transmis par les conseillers chargés de l’accompagnement au service contrôle. L’article 15 §3 du projet était libellé ainsi dans la version adoptée en seconde lecture : « Si, lors de l’accompagnement orienté coaching et solutions, à la suite d’un processus formalisé dont les modalités sont déterminées par le gouvernement, la disponibilité active du chercheur d’emploi inscrit obligatoirement ne peut être évaluée positivement car il ne satisfait pas à son obligation de recherche active d’emploi (…), le dossier du chercheur d’emploi inscrit obligatoirement est transmis au service à gestion distincte (…) ». Dans la version adoptée en troisième lecture, les mots « car il ne satisfait pas à son obligation de recherche active d’emploi » ont été supprimés. Cela signifie que le décret ne prévoit plus que la transmission par le conseiller chargé de l’accompagnement du dossier du demandeur d’emploi préjuge de son non-respect de ses obligations de « disponibilité active ». Le service contrôle devra donc examiner le dossier du demandeur d’emploi sur la base d’une absence d’avis positif émanant du conseiller chargé de l’accompagnement et non pour vérifier un premier jugement qui aurait affirmé que « le demandeur d’emploi ne satisfait pas à son obligation de recherche active d’emploi ». La nuance est mince, mais elle est néanmoins importante pour le demandeur d’emploi. D’autant plus importante que le demandeur d’emploi est, en vertu du projet de décret, privé de toute défense syndicale lorsque les évaluations de sa disponibilité active sont réalisées par les conseillers chargés de l’accompagnement.

La suite au parlement

On l’a vu, l’approbation par le gouvernement du projet de décret en troisième lecture aura été plus loin qu’une simple prise en compte de l’avis légal rendu par le Conseil d’État. Toutefois, le projet de décret est resté inchangé quant à ses orientations fondamentales. Tout au plus y a-t-il eu une inflexion favorable par rapport à l’idée initiale, désastreuse, de privilégier les inscriptions et les accompagnements à distance. Même à cet égard, d’importantes zones de flou existent. C’est désormais seulement à travers le sort réservé aux amendements parlementaires éventuellement présentés sur ce sujet que l’on pourra juger de l’évolution réelle sur ce point de la position du gouvernement et du contenu du décret.

Le projet de décret est resté inchangé quant à ses orientations fondamentales

(1) Arnaud Lismond-Mertes et Yves Martens (CSCE), « Faire une pause et améliorer le Forem », Ensemble ! n° 104, décembre 2020, p. 117.

(2) Ibid.

(3) Parlement wallon, « Projet de décret relatif à l’accompagnement orienté coaching et solutions des chercheurs d’emploi », Doc 544 (2020-2021) – n° 1, 19 avril 2021; P.W., C.R.I.C. N° 213 (2020-2021), Mardi 22 juin 2021.

(4) Projet d’arrêté portant exécution du décret relatif à l’accompagnement orienté coaching et solutions des chercheurs d’emploi; Projet d’arrêté du Gouvernement wallon portant exécution de l’article 35 du décret du 6 mai 1999 relatif à l’Office wallon de la Formation professionnelle et de l’Emploi .

(5) Avis du Comité de gestion du Forem 20/01 du 28 septembre 2020, publié in Parlement wallon, Projet de décret relatif à l’accompagnement orienté coaching et solutions des chercheurs d’emploi, Doc 544 (2020-2021) – n° 1bis, 19 avril 2021.

(6) Ibid.

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