dossier justice de la jeunesse

Juge de la jeunesse, au quotidien

Le quotidien d’un ou d’une juge de la jeunesse est rythmé par les entretiens de cabinet, les audiences publiques, les contacts avec l’administration de l’Aide à la jeunesse, les institutions et autres intervenants de terrain, ainsi que par la rédaction de ses jugements. Coup de projecteur sur un métier aux multiples facettes.

Juge de la jeunesse : un boulot aux confins du droit, de la psychologie et de la sociologie. Et un parent pauvre (de plus) de la Justice.
Juge de la jeunesse : un boulot aux confins du droit, de la psychologie et de la sociologie. Et un parent pauvre (de plus) de la Justice.

Le juge de la jeunesse remplit deux fonctions principales. Un : il doit protection et assistance aux mineurs en danger. L’enfant peut être placé en famille d’accueil ou en foyer, ou encore être maintenu dans son milieu de vie moyennant un accompagnement « éducatif ». Les parents dont les actes mettent en péril la sécurité, la santé ou la moralité de leurs enfants peuvent être totalement ou en partie déchus de leurs droits parentaux. Deux : il sanctionne – même si le seul mot officiellement admis dans le lexique de la justice de la jeunesse est celui de « protection » – les mineurs qui commettent des actes délictueux. Le jeune peut être placé dans un centre ouvert ou fermé, condamné à des travaux d’intérêt général ou redirigé vers une alternative dans un service social chargé de veiller à l’application des conditions fixées par le juge. Un quotidien jalonné de moments denses et délicats.

Les entretiens de cabinet

Il s’agit là de la grosse occupation du juge de la jeunesse : le/la juge convoque le jeune, son avocat.e (l’Etat lui en désigne un d’office, via le bureau d’aide juridique – BAJ), les parents ou les titulaires de l’autorité parentale, et les différentes personnes qui interviennent dans le processus d’aide : délégué.e du SPJ (Service de protection de la jeunesse), membre d’une Ema (Equipe mobile d’accompagnement en famille), des services et institutions, etc. « C’est autour des entretiens de cabinet que l’on construit le dossier du jeune, explique Michèle Meganck, juge de la jeunesse à Bruxelles : la vie du dossier est ponctuée par ces entretiens, qui permettent de baliser les objectifs et les étapes du projet de vie du jeune. »
Notons que les entretiens de cabinet sont davantage prenants pour les juges bruxellois que pour leurs homologues wallons car, à Bruxelles, les magistrats gèrent aussi la situation des mineurs en danger, contrairement à ce qui se passe en Wallonie.

Les audiences publiques

Les audiences, annuelles, sont plus formelles, et imposées par la loi. Toutes les mesures décidées par le juge ont une durée de vie maximale d’un an. « Chaque année, il faut se reposer la question de savoir si le jeune évolue bien, si la mesure est appropriée, et s’il est toujours en danger, témoigne Michèle Meganck. Cela garantit qu’aucun dossier ne soit ‘‘oublié’’ dans un placard. » Le versant négatif de cette remise en question annuelle, c’est que « l’on remet régulièrement toujours tout en question – comme par exemple le placement en famille d’accueil : pour certaines jeunes fragiles sur leurs bases, cela peut s’avérer insécurisant. »

Mineurs en danger

Dans tous les cas, et ce aussi bien en Wallonie qu’à Bruxelles, lorsqu’un mineur est considéré comme étant en danger – et la grande majorité des dossiers concerne des jeunes en danger et non des jeunes délinquants -, c’est d’abord le Service d’aide à la jeunesse (SAJ) qui entre en scène et propose une aide « consentie ». Si le SAJ constate que l’aide ne suffit pas à garantir le bien-être et la sécurité de l’enfant, ou que la famille n’est pas « réceptive » à l’aide volontaire, alors le Service s’adresse au procureur du roi, qui adresse un réquisitoire écrit au juge, lui demandant de prendre des mesures protectionnelles. Celui-ci n’intervient donc qu’en deuxième lieu, en cas d’échec du SAJ.

En cas d’échec du processus de l’aide consentie et d’entrée en scène du juge de la jeunesse, celui-ci va décider d’une mesure parmi les suivantes :
• soit soumettre l’enfant, sa famille à un accompagnement éducatif;
• soit retirer en urgence l’enfant hors de son milieu familial, et le confier temporairement à une institution ;
• soit permettre au jeune de 16 ans au moins de vivre seul en autonomie.

Après la décision du Tribunal de la Jeunesse, en Wallonie, c’est le Service de la protection de la jeunesse, anciennement Service de Protection Judiciaire, (SPJ) via le directeur ou la directrice de l’aide à la jeunesse, qui interviendra pour mettre en œuvre concrètement la mesure d’aide imposée, choisir et trouver l’institution ou la famille d’accueil, etc. A Bruxelles, c’est le juge qui organise aussi l’exécution concrète de son jugement, et qui mandate les services, le SPJ devant s’assurer de la bonne exécution des décisions.

Placement en urgence : le plus dur

André Donnet : « Le parquet m’appelle, en me disant qu’il n’y a pas eu moyen d’arriver à un accord avec les parents, et qu’il y a lieu de placer l’enfant en urgence, souvent un bébé ou un enfant en bas âge – sous la contrainte, relate André Donnet. Il s’agit là des dossiers les plus durs, les plus douloureux, les plus brutaux aussi. Il s’agit de prendre une décision en urgence, alors qu’on manque souvent d’éléments pour bien comprendre la situation et bien cerner les personnes. Ma décision, je la prends toujours en me posant la question de l’intérêt de l’enfant : il faut qu’au minimum il soit stimulé, nourri, scolarisé, et qu’il ait un toit au-dessus de sa tête. Mais je sais bien que le placement n’est pas la panacée, que l’arrachement aux parents, fussent-ils inadéquats, est traumatisant. Je ressens aussi la souffrance d’une mère, d’un père, que l’on prive de son enfant : ces situations sont très lourdes. »

Si, à Bruxelles, la base légale pour ces situations est différente, le rôle du juge de la jeunesse est similaire : il doit chercher et trouver un lieu de placement d’un enfant dont il sait d’ailleurs peu de choses, dans un réseau d’institutions très carencés.

Jeunes délinquants

Dans le quotidien déjà bien animé du juge de la jeunesse, surgissent régulièrement d’autres urgences, les mises à disposition de « mineurs en conflit avec la loi » présentés détenus au juge de la jeunesse : lorsqu’un jeune est interpellé pour un acte délictueux (dans le jargon judiciaire : des « faits qualifiés infractions »/FQI), le parquet requiert le juge, ce dernier effectue une saisine (NDLR : il ouvre un dossier) provisoire et reçoit le jeune séance tenante.

Le jeune arrive au cabinet du juge menotté, encadré par la police, et accompagné de son avocat (toujours) et de ses parents (parfois). « Ce sont des moments d’une grande intensité, souligne André Donnet, juge de la jeunesse à Nivelles. En un rien de temps, il faut évaluer à qui on a affaire. Si j’estime qu’il n’y a pas de danger, je fais retirer les menottes du jeune, et la police attend à l’extérieur du cabinet. Le jeune est toujours accompagné d’un avocat, commis d’office par le Bureau d’aide juridique – BAJ (sous l’organisation du barreau). J’accueille aussi les parents, s’ils sont là, ce qui est loin d’être toujours de cas : ces jeunes sont le plus souvent assez seuls, dans la vie comme dans mon cabinet. »

De l’émotion, de la sueur, de la chair

« Il s’agit de réfléchir aux mesures les plus adéquates, compte tenu de la gravité des faits, mais aussi du contexte familial dans lequel évolue le jeune, et de son parcours de vie, insiste Frédéric Hourdiaux. En Flandre, l’œil des juges est davantage rivé sur les faits délictueux et la réponse qu’il faut y apporter. En Fédération Wallonie-Bruxelles, on tente davantage d’avoir une vue d’ensemble. J’essaie de me faire une image la plus précise possible de l’environnement du jeune, de son parcours scolaire, de son apprentissage professionnel, du fonctionnement systémique de la famille, des règles qui y prévalent, etc. Je pose beaucoup de questions au jeune, et aussi à ses parents : mon objectif est de faire réfléchir le jeune à la portée de ce qu’il a fait, et aussi de faire réfléchir tout le monde à la dynamique familiale. »

« Il s’agit de réfléchir aux mesures les plus adéquates, compte tenu de la gravité des faits, mais aussi du contexte familial dans lequel évolue le jeune, et de son parcours de vie. »

« Il s’agit de sonder ses compétences, ses faiblesses, pour identifier le bouton sur lequel il convient d’appuyer pour le faire évoluer », abonde le juge nivellois André Donnet. Qui ajoute : « Cet entretien est fait de sueur, de chair, d’émotions, de mots qui touchent, de non-dits éloquents : il serait impensable de faire cela par visioconférence comme on a voulu nous l’imposer au début de la crise sanitaire. »

Les mesures possibles pour les mineurs délinquants

L’enjeu, pour le mineur délinquant, est important, puisqu’à l’issue de l’entretien avec le jeune, le juge pourra décider de son placement en IPPJ (Institution publique de protection de la jeunesse, une sorte de « prison » pour mineurs) ou, au contraire, de le relaxer, en assortissant éventuellement sa remise en liberté d’une autre mesure protectionnelle.
Voici les principales mesures – provisoires et renouvelables annuellement – parmi lesquelles le juge devra opérer son choix, de la plus légère à la plus lourde :
1/ Le jeune reçoit un simple « savon » : « J’ai un jour eu affaire à un gamin qui avait tiré à la carabine à billes sur une passante, depuis la fenêtre de sa chambre. Il s’avérait que ce jeune était sur une pente savonneuse, à la maison comme à l’école. Je lui ai fait peur, j’ai suivi la situation d’entretien en entretien, en lui demandant à chaque fois de respecter des engagements, et le jeune s’est ressaisi », témoigne Frédéric Hourdiaux, juge de la jeunesse à Charleroi.
2/ Le jeune est remis en liberté dans sa famille, mais sous conditions : il ne peut plus commettre d’infraction ; il doit suivre une scolarité régulière ; il doit respecter ses parents et les autres adultes de son environnement ; le cas échéant, le jeune et sa famille doivent être accompagnés par une équipe mobile d’accompagnement (Ema), qui se rendra régulièrement au domicile familial. D’autres mesures – formation à la gestion de l’agressivité, suivi auprès d’un service spécialisé dans les problèmes d’ordre sexuel, etc. – peuvent également être décidées.
Le respect des conditions ordonnées par le juge doit être contrôlé par le SPJ : en cas de défaillance du jeune, celui-ci risque le placement dans une Institution publique de protection de la jeunesse (IPPJ), une sorte de prison pour jeune. 
3/ Le jeune doit prester des travaux d’intérêt général (trente heures maximum) : « Il s’agit souvent d’une bonne mesure, à laquelle le jeune accroche : c’est d’ailleurs, le plus souvent, son premier job », souligne une juge.
4/ Le juge ordonne le placement du jeune en IPPJ. Ce placement doit être effectif… en théorie du moins, car dans les faits, « je suis limité par le nombre de places disponibles en IPPJ. En l’absence de places, je dois assigner le jeune à résidence avec obligation de se présenter chaque jour au commissariat jusqu’à ce qu’une place se libère. Ce n’est évidemment pas l’idéal », témoigne André Donnet.

L’idéal : un… idéal rarement atteint dans le quotidien des magistrats de la jeunesse, et dans le vécu de toutes les parties prenantes de l’aide et de la protection des mineurs…

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