justice

Un avocat en colère

« Quand une famille précarisée met le doigt dans l’engrenage de l’Aide à la jeunesse, on ne la lâche plus ! » Le coup de gueule d’un avocat spécialisé dans l’Aide à la jeunesse.

Les statistiques en disent long : les enfants pris en charge par les services de l’aide à la jeunesse sont le plus souvent issus de familles précaires. Le lien de cause à effet est donc évident : la précarité augmente le risque de négligence, de mauvais traitement à l’égard des enfants. Et le raccourci s’impose : les pauvres sont de mauvais parents. Une étiquette battue en brèche par tous ceux – tels le mouvement d’éducation permanente LST, Vie féminine, ATD Quart-Monde, etc. – qui, au quotidien, soutiennent ces familles en situation précaire. Un avocat – il préfère garder l’anonymat – qui épaule, au quotidien, des mineurs ayant affaire à la justice de la jeunesse, abonde en ce sens : « Les familles qui ont besoin d’aide se trouvent souvent en situation socio-économique précaire, c’est une évidence. Mais c’est la précarité vécue par les parents qui les empêchent de donner tout ce qu’ils voudraient à leurs enfants ; ce n’est pas qu’ils soient de ‘‘mauvais’’ parents. »

Vous avez dit « aide » …

Et l’aide dont les parents ont besoin se mue souvent en arme que l’on retourne contre eux : « J’observe que lorsque les parents mettent le doigt dans le collimateur, on ne les lâche plus : dès qu’ils rentrent dans le radar de l’aide à la jeunesse, ils n’en sortent plus. Alors oui, parfois les enfants sont réellement en danger – il peut y avoir de la violence, de l’inceste, etc. dans ces familles-là, comme dans les familles bourgeoises -, et il faut alors les retirer de leur milieu familial. Mais souvent, c’est la pauvreté qui justifie le placement des enfants, et cela n’est pas normal. »
Anormales aussi, les attentes de la société vis-à-vis de ces familles pauvres, souvent irréalisables, inaccessibles : « Pour éviter le placement d’un enfant ou, plus dur encore, pour le récupérer après un placement, les parents doivent véritablement montrer patte blanche, à tous les niveaux. On attend d’eux d’être exemplaires, alors qu’on n’attend pas cela des familles ‘‘normales’’. Ces parents-là doivent en faire plus que les autres, car la pauvreté les stigmatise en tant que parents, mais aussi comme citoyens. Et ça, ça me met en colère ! »
A la violence sociale génératrice de pauvreté s’ajoute donc la violence institutionnelle : « Les institutions de l’aide à la jeunesse fondent sur les pauvres comme un rapace sur sa proie. Et au plus la proie se débat, au moins elle a de chances de s’en sortir. »

… et « partenariat » ?

Le bien-être de l’enfant et de sa famille passe au contraire par un partenariat entre les institutions, le mineur et ses parents, rappelle l’avocat. Mais il est difficile, pour les parents précarisés, de vivre l’intervention des institutions comme une collaboration, et non dans un mouvement de confrontation et d’affrontement. Une part du rejet incombe certes aux familles, dont la méfiance est parfois injustifiée. Mais les institutions portent aussi une bonne part de responsabilité : « Il faudrait partir du principe que tout le monde est dans le même bateau, et qu’il va arriver à bon port, parce que tout le monde va ramer dans la même direction et en rythme. Si les institutions partaient de ce principe, ils se mettraient davantage à la place des ménages qu’ils aident, et feraient ‘‘avec eux’’ plutôt que ‘‘contre eux’’ ou ‘‘malgré eux’’. Mais cela suppose de l’empathie, du temps, des compétences, des moyens… »
Des moyens et du temps ? C’est précisément ce qui fait le plus défaut à l’administration de l’aide à la jeunesse.
Quant à l’empathie et aux compétences, elles existent mais, faute de moyens et de temps, ne trouvent que trop rarement à se déployer…

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