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Titres-services versus aide familiale

En Belgique, les pouvoirs publics subventionnent deux dispositifs d’aides-ménagères. Leur organisation est très différente et la qualité des emplois offerts également.

Le mécanisme fonctionne à l’aide de titres de paiement. Comme il a été régionalisé en 2014, il y a depuis des chèques propres à chaque région.
Le mécanisme fonctionne à l’aide de titres de paiement. Comme il a été régionalisé en 2014, il y a depuis des chèques propres à chaque région.

En vue d’éclairer les problématiques liées au système des titres-services, nous avons réalisé, sur base de la littérature scientifique existante et d’entretiens avec des travailleuses, une étude (à paraître) comparant l’emploi et le travail dans ce dispositif et dans celui de l’aide familiale. Nous en présentons ici les premiers résultats.

Le dispositif des « titres-services » est un système belge instauré par la loi du 20 juillet 2001 visant à favoriser le développement de services et d’emplois de proximité avec pour objectif d’organiser l’emploi dans le secteur de l’aide au ménage, relevant traditionnellement en partie du travail au noir. Ce dispositif a été mis en place avec trois principaux objectifs officiels : 1) créer des emplois dans le secteur des travaux ou services de proximité, surtout à destination des femmes peu qualifiées ; 2) lutter contre le travail au noir dans le secteur ; 3) favoriser les besoins non ou imparfaitement rencontrés chez les utilisateurs, et les aider à concilier leurs vies privée et professionnelle. De manière générale, le dispositif est aussi perçu comme soutenant la croissance économique par la création de nouvelles activités (voir le même projet de loi). À ces objectifs officiels, sont associés d’autres objectifs non officiels, comme le maintien de l’autonomie des personnes âgées ou la recherche d’effet tremplin vers d’autres emplois. Organisé effectivement au niveau fédéral à partir de 2004, le mécanisme des titres-services a ensuite été régionalisé en 2014. Il fonctionne à l’aide de titres de paiement (les titres-services), émis par une société désignée par les pouvoirs publics (il s’agit actuellement de Sodexo). Ces titres sont achetés par les utilisateurs du dispositif et chacun de ces chèques leur permet de payer une prestation d’une heure de travaux ou services de proximité (principalement de l’aide au ménage). Chaque utilisateur peut acheter jusqu’à 500 titres par an (1.000 par ménage) : leur prix ne varie pas selon les revenus de l’utilisateur et coûte 9 euros pour les 400 (ou 800) premiers de l’année, et 10 euros pour les suivants. Ce prix ne couvre pas le coût plein du service, car les pouvoirs publics le subventionnent de manière importante – et variable selon les Régions – (Voir le tableau ci-dessous). En plus de ces subventions publiques, les utilisateurs peuvent bénéficier de déductions fiscales disponibles pour une partie de leurs titres-services (Voir le tableau ci-dessous). Du fait de ces diverses interventions, il est estimé qu’entre 70 et 80% du coût total du système est financé publiquement.

Le système des titres-services est financé publiquement à plus de 70 %

Les services d’aide-ménagère sont prestés par des travailleuses (1) (aucun diplôme nécessaire) sous contrat d’emploi avec une entreprise agréée. Pour chaque heure prestée, ces aides-ménagères reçoivent un titre-service de la part des utilisateurs, qu’elles remettent ensuite à l’entreprise qui les emploie. Cette entreprise restitue alors les titres reçus à l’entreprise émettrice, qui lui verse en contrepartie un montant équivalent au prix des titres auquel est ajoutée l’intervention publique. Ce montant permet évidemment, entre autres, à l’entreprise de payer les salaires des travailleuses qu’elle emploie. La présence d’entreprises (qui peuvent être de formes juridiques diverses et doivent respecter des conditions d’agrément assez larges) est imposée par les pouvoirs publics afin d’encadrer la relation entre les travailleuses et les utilisateurs. L’État intervient donc dans la demande de service, en la subventionnant, et dans l’offre, en imposant des conditions d’agrément.

Le dispositif, subventionné massivement par les pouvoirs publics, fonctionne à l’aide de chèques émis par une société désignée par les pouvoirs publics et qui sont achetés par les utilisateurs, chaque chèque leur permettant de payer une heure de travail d’une aide-ménagère engagée par une entreprise agréée.
Le dispositif, subventionné massivement par les pouvoirs publics, fonctionne à l’aide de chèques émis par une société désignée par les pouvoirs publics et qui sont achetés par les utilisateurs, chaque chèque leur permettant de payer une heure de travail d’une aide-ménagère engagée par une entreprise agréée.

L’aide familiale

L’existence des services d’aide familiale, organisés par des CPAS et des associations, est largement antérieure à celle des titres-services. Ceux-ci constituent une compétence communautaire, attribuée à la Région wallonne et, en Région bruxelloise, à la Cocof ou à la Cocom.
Son objectif est de permettre le maintien de l’autonomie et le retour à domicile des personnes isolées, âgées, handicapées, malades ou en difficulté, et de leur famille. Il ne s’agit donc pas d’un dispositif tourné vers la création d’emplois, mais vers l’aide et l’accompagnement de personnes en situation de dépendance. À cette fin, des tâches d’aide-ménagère sont réalisées, mais l’aide à domicile ne s’y limite pas et comprend aussi des tâches d’aide sociale, sanitaire, relationnelle, éducative ou à la vie quotidienne. Différentes travailleuses prestent ces services : des aides-familiales (ou seniors) qui peuvent prester l’ensemble des tâches et des aides-ménagères qui ne peuvent prester que de l’aide au ménage. Les premières doivent être titulaires d’un diplôme correspondant ou suivre une formation qui leur octroie une attestation de capacité.

La prestation de service est supervisée et encadrée par un travailleur social et par le service spécifique de l’association ou du CPAS. De manière générale, en aide familiale, l’organisation encadrante ne peut pas être à but lucratif et doit répondre à des conditions d’agrément relatives à la qualité du service presté et imposant des normes d’encadrement et de qualification. Le prix du service est adapté aux revenus des bénéficiaires et varie globalement entre 0,8 euro et un peu moins de 8 euros par heure. Ce prix est inférieur au coût réel du service, et est rendu possible, comme en titres-services, par une intervention publique des pouvoirs régionaux par heure prestée. Celle-ci est supérieure à 21 euros en Wallonie (ce montant augmente selon l’ancienneté et l’âge de l’aide à domicile, le moment de la prestation, le type d’organisation encadrante, etc. ) (2) et varie entre 27,45 euros et 29,56 euros à Bruxelles selon qu’il s’agit d’une aide-ménagère ou d’une aide familiale ou senior (3).

Deux services subventionnés aux ménages

Les dispositifs de titres-services et d’aide familiale partagent plusieurs caractéristiques. Ils concernent des prestations réalisées à domicile et (entre autres pour l’aide familiale) le nettoyage. Les emplois sont principalement féminins (97% de femmes pour le premier contre 96% pour le second) et exercés en grande partie à temps partiel. Le système des titres-services compte un nombre beaucoup plus important de postes de travail : pour le troisième trimestre de 2021, l’ONSS rend compte de 149.435 postes de travail en titres-services en Belgique. En 2020, 14,12% de ces postes se situaient à Bruxelles et 24,07% en Wallonie. Ces emplois ne correspondent toutefois qu’à 77.053 emplois équivalents temps plein, ce qui démontre la fréquence et l’importance du temps partiel dans le secteur. Les services d’aide familiale (sans se limiter à ceux des CPAS) comptent beaucoup moins de postes de travail : pour la commission paritaire 318 (spécifique à ces services), 41.141 postes de travail sont dénombrés (ceux-ci comprennent plus que les seuls postes d’aides-familiales ou d’aides-ménagères).

Ce nombre plus élevé d’emplois en titres-services s’accompagne d’un financement public global beaucoup plus conséquent : les budgets bruxellois et wallon pour le subventionnement des titres-services pour l’année 2022 sont respectivement de 240 et de 478 millions d’euros, auxquels s’ajoutent non seulement les coûts des déductions fiscales et des frais d’encadrement de la mesure, mais aussi des mesures d’aide à l’emploi bénéficiant aux entreprises agréées. Les services d’aide familiale bénéficient de subventions moins importantes. Pour Bruxelles, les budgets associés à ces services sont en 2022 de 9 millions pour la Cocom et de 34 millions d’euros pour la Cocof (en comptant les subventions auprès des centres de formation). Pour la Wallonie, le budget des services d’aide aux familles et aînés était de l’ordre de 233 millions d’euros en 2020.

Dans le secteur des titres-services, le secteur privé commercial est largement dominant

Une différence notable entre les deux dispositifs est que, dans le secteur des titres-services, c’est le secteur privé commercial qui est largement dominant, tandis que celui de l’aide aux familles est réservé au secteur public ou à but non lucratif. Par ailleurs, dans le premier secteur, chaque ménage peut de plein droit accéder au service et le prix de celui-ci ne varie pas en fonction de ses revenus ; dans le second, l’accès au service est soumis à une enquête sociale et le prix payé par l’utilisateur est fortement modulé selon sa situation sociale. Le cœur des publics visés n’est pas le même : les titres-services s’adressent majoritairement à des ménages actifs qui ont des revenus élevés, tandis que les dispositifs d’aide familiale sont centrés sur un public âgé et/ou dépendant ayant des revenus modestes.

Des conditions de travail différentes

Mais qu’en est-il des conditions de travail des travailleuses de ces deux secteurs ? Le temps partiel est courant dans les deux dispositifs mais est plus important en titres-services que dans le secteur de l’aide familiale. En 2019, le temps de travail moyen hebdomadaire d’une travailleuse en titres-services wallonne était de 18 heures (4), tandis que dans les services d’aide aux familles et aînés, le temps de travail moyen était de 28 heures par semaine. (5)

Le salaire des aides-ménagères travaillant dans le secteur de l’aide familiale est plus élevé

Dans le secteur des titres-services, les salaires horaires bruts sont extrêmement bas et évoluent très peu dans le temps (Voir tableau ci-dessous). Cette faiblesse salariale et cette évolution barémique limitée (à quatre degrés seulement !) et liée à l’entreprise (c-à-d que la valorisation barémique de l’ancienneté n’est pas garantie en cas de changement d’employeur, même pour des personnes qui restent dans le même secteur) contrastent avec le salaire en aide familiale, qui est significativement plus élevé et est associé à une échelle barémique complète. À titre de comparaison, le salaire horaire minimum le plus élevé en titres-services (12,55 € après trois ans d’ancienneté) est inférieur aux salaires à l’embauche des aides_familiales à Bruxelles (13,11 €) ou en Wallonie (14,14 €), ainsi que des aides-ménagères en service d’aide familiale en Wallonie (12,89 €). Notons que les conditions salariales sont meilleures en titres-services pour les aides-ménagères prestant en service d’aide familiale en Wallonie.

Le temps de déplacement entre des clients titres-services différents n’est pas considéré comme du temps de travail

En outre, le temps de déplacement entre des prestations successives réalisées chez des clients différents n’est pas considéré comme du temps de travail dans le cadre des titres-services (et n’est donc pas rémunéré), alors qu’il l’est dans le cadre de l’aide familiale. Les travailleuses actives dans le cadre de l’aide familiale bénéficient également d’un certain nombre de congés rémunérés supplémentaires en fonction de leur ancienneté, ce qui n’est pas le cas pour les travailleuses en titre service. Cette faiblesse salariale (couplée au temps partiel) en titres-services conduit les aides-ménagères à dépendre de ressources complémentaires pour assurer la survie de leur ménage. Elles sont donc dépendantes du salaire de leur conjoint ou du droit à une allocation de garantie de revenu (Lire ici), et leur inscription dans un emploi ne leur assure aucune condition de sécurité. Cette installation dans la précarité ne se retrouve pas du côté des aides-familiales (elle se retrouve partiellement pour les aides-ménagères en CPAS), bien que certaines s’appuient malgré tout sur les revenus de leur conjoint pour régler leurs dépenses. À cette insécurité économique et sociale plus ou moins importante selon le système, s’ajoute une pénibilité physique et psychologique très forte dans les deux dispositifs. Celle-ci est toutefois largement plus marquée en titres-services : les travailleuses ont un risque beaucoup plus élevé de développer des maladies ostéoarticulaires (risque 35 fois plus élevé que la moyenne des travailleurs.euses), mais aussi des maladies pulmonaires ou cardiaques. Le risque de mortalité augmente par ailleurs avec l’entrée dans le dispositif. En titres-services, cette pénibilité oblige en outre les aides-ménagères à opérer des arbitrages entre santé et salaire, et à souvent privilégier le second sur la première. De nombreuses aides-ménagères en titres-services retardent ainsi le plus possible leurs arrêts de travail et continuent à travailler malgré des problèmes de santé, ou repoussent à plusieurs reprises des visites médicales ou l’achat de médicaments du fait de difficultés financières. L’emploi en titres-services se caractérise donc par sa faible qualité de travail et sa faible durabilité, davantage que celui en aide familiale (malgré tout pénible). En Wallonie, après 14 ans dans le dispositif des titres-services, une travailleuse sur quatre est en incapacité de travail .(6) Des aménagements partiels du temps de travail sont proposés dans ce second système (des subventions spécifiques sont allouées aux organisations encadrantes pour financer des dispositifs de réduction de temps de travail à Bruxelles ou des jours de congé supplémentaires pour les travailleuses âgées en Wallonie) (7), mais aucun n’existe dans le premier. Au contraire un système d’avenants répétés aux contrats organise une flexibilité de l’horaire selon les besoins de l’employeur, au détriment de la stabilité des revenus des travailleuses et de leurs droits dérivés (pension, chômage…).

Quel encadrement ? Quelles perspectives ?

L’encadrement des travailleuses en titres-services est très limité et bien moins important qu’en aide familiale. Alors que, dans ce dernier dispositif, des réunions d’équipe et des formations sont proposées de manière fréquente, les activités de service sont supervisées et les travailleuses bénéficient du soutien et de l’accompagnement d’assistants sociaux, la plupart de ces activités ne sont pas organisées en titres-services. Les services d’aide familiale et notamment les CPAS comptent en outre les déplacements comme du temps de travail et mettent en place des pauses entre les usagers, ce qui n’est à nouveau que très rarement réalisé en titres-services. Le manque d’encadrement est particulièrement marqué dans le cas des entreprises à but lucratif et des entreprises intérimaires, qui, au contraire, favorisent parfois des pratiques visant à maximiser leurs profits au détriment de la qualité d’emploi ou de travail des aides-ménagères.

Le système des titres-services ne s’accompagne d’aucun effet tremplin (d’insertion dans un emploi non subsidié), mais « enferme » au contraire les travailleuses, qui voient leur probabilité de trouver un emploi hors des titres-services diminuer fortement. Les services d’aide familiale (en CPAS ou non) n’offrent également que peu de perspectives de sortie par le haut, mais ils offrent des conditions de travail sensiblement meilleures.

Les variations entre les deux dispositifs sont principalement dues à leur mode de régulation spécifique, aux conditions de financement et d’agrément des entreprises actives dans le secteur. Alors que les services d’aide familiale sont limités aux services publics (CPAS) ou aux entreprises à but non lucratif et s’accompagnent de conditions strictes d’agrément, les titres-services se caractérisent par un mode de régulation qui accepte des entreprises à but lucratif et qui demande des conditions d’agrément limitées et peu contrôlées. De ce fait, par exemple, une partie des entreprises en titres-services limite leur encadrement, au détriment de la qualité d’emploi et de travail, afin de maximiser leurs profits. L’ouverture du système des titres-services aux entreprises privées à but lucratif et la faiblesse des normes d’encadrement sectorielles entraînent une pression concurrentielle à la baisse en termes de conditions d’emploi et de travail, dont les travailleuses sont les grandes perdantes. Le dispositif des titres-services, qui visait à sortir des femmes de la précarité, a certes créé des emplois, mais dans des conditions qui les laissent dans une situation de précarité.

(1) Le terme est employé au féminin pour refléter la réalité sociale dans le secteur, qui compte 97% de femmes.

(2) Cf. Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé – Partie réglementaire (CRWASS), art. 341-348

(3) Cf. Arrêté ministériel (Cocom) du 28 décembre 2018 déterminant le forfait horaire subventionné pour les aides familiaux ou senior et les aides ménagers des services d’aide à domicile, art. 1er et 2.

(4) Brolis et alii (2022), p. 146. Pour les titres-services, on peut aussi ajouter la moyenne belge (en divisant le nombre de postes de travail par les ETP au niveau belge sur base des données ONSS) : ça donnerait un rapport de 0,5156 ce qui correspond à 19,6h par semaine en moyenne.

(5) Agence pour une Vie de Qualité (AVIQ), Rapport annuel 2019, p. 30.

(6) Brolis et al., 2022, p.130.

(7) ACRCC du 25 octobre 2007 relatif à l’agrément et au mode de subventionnement des services d’aide aux personnes, art. 39, alinéa 5 ; CRWASS, art.341, § 1er, 3°

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