La dérive de Kairos

Une ligne éditoriale réactionnaire

Non, Kairos n’est pas de gauche. En tout cas pas son rédacteur en chef, qui imprime la ligne éditoriale…

Etre de gauche, en principe du moins, cela suggère, nous semble-t-il, d’être solidaire, orienté vers la défense des plus vulnérables et la lutte contre les différentes formes d’exclusion.Tel n’est pas le positionnement d’Alexandre Penasse, le rédac’ chef de Kairos. Il est, au contraire, à maints égards, clairement réactionnaire.

On l’a vu avec le positionnement adopté par Kairos durant la crise sanitaire : en donnant du crédit aux thèses les plus farfelues, en qualifiant les mesures sanitaires – que l’on peut certes critiquer abondamment, mais avec des nuances – comme étant « criminelles », en dissuadant ses lecteurs de se faire vacciner et de porter le masque, Kairos a attiré dans ses rets les citoyens les plus insécurisés, et en quête de réponses simples et univoques. En donnant à penser que le virus était moins grave que les mesures prises pour tenter de le contrer, il a aussi mis en danger ses lecteurs les plus vulnérables.

Dans la foulée de cette crise Covid, Penasse s’est rapproché de groupuscules d’extrême droite dont il a même accueilli dans ses pages certains de leurs responsables (lire l’article Confusion, conspirationnisme et déplacement latéral) On songe ainsi à l’interview accordée à Alain Escada, le président du mouvement catholique intégriste Civitas qui, outre ses diatribes anti-immigrés et anti-homosexuels, clame partout – et sur le site de Kairos, le 2 juin 2022- que le Vatican est contrôlé par la franc-maçonnerie, que les évêques et les cardinaux sont sponsorisés par les milliardaires Georges Soros et Bill Gates, et que le pape est un agent du « Nouvel Ordre Mondial », un projet de domination planétaire dont les desseins ont été servis par le Covid (lire l’article Ce que Kairos ne savait pas au sujet de Civitas, vraiment ? ).

Du Lacan premier degré dans le texte

Mais déjà bien avant, le rédacteur en chef du bimestriel avait montré un visage nettement réactionnaire(lire l’interview de Gérald Hanotiaux  Kairos, le journal dont le rédac chef est le héros). Prenons par exemple le numéro spécial « Illimitations. Transhumanisme, capitalisme numérique, déni de la différence des sexes, nucléaire… ». Ce supplément, paru en octobre 2018 dans Kairos et republié sur le site quelques années plus tard, comportait un article intitulé « La différence sexuelle comme fondement », signé par Alexandre Penasse. Dans un « style » littéraire obscur, manifestement imprégné de Lacan (lequel n’était pas d’une limpidité évidente, mais ne collaborait heureusement pas à des revues destinées au grand public), il résume la démarche des transgenres à de« nouveaux délires qui agitent notre société ne sont pas sans résonance avec un monde qui ne veut et ne peut plus mettre de limites ». Il présente la différenciation sexuelle comme le fondement de la société, voit dans le féminisme la volonté de nier la réalité biologie, y fait l’apologie du rôle du père, et assimile les personnes transgenres à des apprentis sorciers comparables aux transhumanistes : à lire si l’on veut se replonger dans la première moitié du XXè Siècle et les débats qui agitaient alors le petit monde de la psychanalyse…

Le lâchage d’un partenaire de poids

Cet article, illisible, est probablement largement passé inaperçu par nombre de lecteurs de Kairos, peu soucieux de s’embarquer dans une lecture aussi laborieuse… Mais il n’est pas passé inaperçu auprès des associations de défense des personnes LBGTQIA+ (1), des organisations féministes, des organisations de défense des personnes homosexuelles, intersexuelles, transgenres, etc. Il a choqué, aussi, le Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM Belgique), qui entretenait jusque-là une collaboration avec Kairos. « Le CADTM collabore positivement avec Kairos depuis plusieurs années, sur les sujets liés à la décroissance, à la finance et à la dette. Mais pour le CADTM, adopter de telles positions, surtout qu’elles sont signées par le rédacteur en chef du journal, est inacceptable à de nombreux égards (…). Le CADTM est une organisation dont les textes fondateurs et les luttes se veulent anticapitalistes, écologistes, antiracistes et féministes : toutes ces luttes sont pour nous imbriquées et ne peuvent donc être hiérarchisées, encore moins opposées.

Le rédacteur en chef de Kairos avait montré son visage réactionnaire déjà bien avant la crise sanitaire

Après plusieurs discussions au sein de notre organisation, nous décidons d’arrêter notre collaboration avec le journal Kairos tant qu’il continuera de défendre et de publier de telles positions », lit-on dans un article baptisé « Transphobie sous couvert d’écologisme », publié sur le site du CADTM (2). Perdre un partenaire tel que le CADTM, pour un journal anti-productiviste, c’est un comble…

(1) L’acronyme LGBTQIA+ renvoie à des identités de genres et des orientations sexuelles variées : Lesbiennes, Gays, Bisexuels, Transgenres, Queers, Intersexes, Asexuels, … Le « + » signifie que ces identités sexuelles sont plus larges encore.

(2) « Transphobie sous couvert d’écologisme », par Jérémie Cravatte, Chiara Filoni, Anouk Renaud, NoëmieCravatte, Camille Bruneau, Mats Lucia Bayer, paru sur le site du CADTM le 30 septembre 2020.

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