Forem 2021

« Nous évaluerons l’évolution du projet »

Le nouveau Secrétaire général de la FGTB wallonne, Jean-François Tamellini, nous explique la position de son organisation par rapport au projet de décret sur l’accompagnement des chômeurs.

J-F. Tamellini  : « Historiquement, la FGTB wallonne a toujours été opposée au contrôle de la disponibilité ». (Photo : Mathieu Golinvaux)
J-F. Tamellini  : « Historiquement, la FGTB wallonne a toujours été opposée au contrôle de la disponibilité ». (Photo : Mathieu Golinvaux)

Lors de son Congrès de 2018, la FGTB wallonne avait pointé le fait qu’en matière de contrôle de la disponibilité active, et par rapport à la Flandre et à Bruxelles, c’est le Forem wallon qui « sanctionne le plus sévèrement ». Elle avait également rappelé son opposition à « l’inclusion du contrôle au sein du Forem, responsable de l’accompagnement des demandeurs d’emploi » au motif que « cela mène à des difficultés de positionnement pour le personnel ainsi qu’à une confusion dans l’esprit des demandeurs d’emploi quant au rôle de leurs interlocuteurs et à des difficultés dans la mise en place d’une relation de confiance avec les conseillers référents, pourtant primordiale dans le cadre d’un accompagnement de qualité » (1).

Toutefois, le projet de réforme de l’accompagnement remis en juin 2019 par la direction du Forem aux formateurs wallons (que la ministre de l’Emploi wallonne Christie Morreale vient de reprendre à son compte par le dépôt d’un avant-projet de décret) va dans un sens inverse en supprimant le cloisonnement qui a été instauré au sein du Forem entre l’accompagnement et le contrôle de la disponibilité active (lire ici). Or la FGTB wallonne est présente dans les organes de gouvernance du Forem (Comité de gestion, Comité stratégique, Bureau exécutif)…

Moyennant la prise en compte des demandes…

Par ailleurs, le Conseil économique, social et environnemental de Wallonie (CESE), c’est-à-dire l’organisme consultatif wallon composé des représentants des organisations syndicales, patronales et environnementales, a remis le 14 septembre 2020, selon ses termes : « un avis favorable sur l’avant-projet de décret relatif à l’accompagnement orienté coaching et solutions des chercheur.euse.s d’emploi, moyennant la prise en compte des demandes et recommandations ». Suivent dans cet avis plusieurs pages de « recommandations », dont certaines remettraient fondamentalement en cause le principe même de la réforme si elles étaient appliquées, comme le fait de « ne pas dénaturer la fonction du conseiller » et de ne pas avoir « un impact négatif sur le climat de confiance nécessaire entre le chercheur d’emploi et son coach » ou encore de « réaffirmer le rôle du demandeur d’emploi comme acteur de son projet ». D’autres n’ont que très peu de chances d’être acceptées par le MR au sein du gouvernement wallon (comme le fait de «  prévoir notamment dans l’avant-projet de décret que toute démarche inscrite dans le plan d’action du chercheur d’emploi [ Ndlr : qui décrit ses objectifs à atteindre pour conserver le droit aux allocations] doit avoir reçu son assentiment ». D’autres encore sont incompatibles avec la mise en place de la réforme dans le cadre des moyens humains que prévoit le gouvernement wallon comme « le fait que la possibilité d’une inscription et d’un accompagnement en présentiel soit effectivement garantie (…) pour ceux qui le solliciteraient quel que soit leur profil ». Cet avis étant unanime, il a donc également été soutenu par les représentants au sein du CESE de la FGTB wallonne. Cette position nous est apparue d’autant plus étonnante que, dès décembre 2019, la CGSP-Forem, bien placée pour saisir les tenants et aboutissants de la réforme avait pour sa part formellement remis un avis négatif sur celle-ci, qui a encore été étayé cet été par une analyse décapante du projet de décret (lire ici).

Nous nous sommes dès lors tournés vers Jean-François Tamellini, le nouveau Secrétaire général de la FGTB wallonne pour tenter de comprendre son positionnement par rapport à ce projet de réforme et de décret. Si son organisation partage certaines de nos inquiétudes, elle estime néanmoins que le projet pourrait donner lieu à une diminution des sanctions des chômeurs par le Forem, à condition notamment que les balises dont elle a obtenu l’inscription dans l’avis du CESE soient prises en compte. Il faudra selon elle évaluer l’évolution du projet et, le cas échéant, créer un rapport de forces pour le réorienter…

J-F. Tamellini, lors du Comité wallon le 10 septembre 2020, a succédé à Thierry Bodson (assis à l’arrière) au poste de Secrétaire général de la FGTB wallonne. (Photo : Yannick Bovy)
J-F. Tamellini, lors du Comité wallon le 10 septembre 2020, a succédé à Thierry Bodson (assis à l’arrière) au poste de Secrétaire général de la FGTB wallonne. (Photo : Yannick Bovy)

Ensemble ! : L’avant-projet de décret sur « l’accompagnement orienté coaching et solution » mettrait fin au cloisonnement entre le placement et le contrôle au sein du Forem. Or dans ses positions adoptées lors de son dernier congrès la FGTB wallonne dénonçait le mélange de l’aide aux chômeurs et du contrôle. Dès lors, estimez-vous que ce projet de réforme va dans le bon sens ?

Jean-François Tamellini (FGTB wallonne) : Historiquement, la FGTB wallonne a toujours été opposée au contrôle de la disponibilité et a plaidé pour bien distinguer l’accompagnement et le contrôle des chômeurs. Lorsque, en 2012, le contrôle de la disponibilité active a été transféré du fédéral aux régions avec la VIe réforme de l’État, nous avons demandé la création d’un Organisme d’intérêt public (OIP) spécifique et distinct du Forem pour prendre en charge le contrôle de la disponibilité active. Mais il faut constater que nous n’avons pas réussi à l’imposer. Notre objectif demeure toutefois de diminuer le nombre de sanctions des chômeurs. C’est dans cette perspective que la FGTB wallonne, même si elle reste prudente et vigilante, a soutenu la remise de l’avis positif sur l’avant-projet de décret délivré par le Conseil économique, social et environnemental de Wallonie (CESE). La FGTB wallonne espère pouvoir utiliser la marge de négociation qui existe encore au niveau de la rédaction des arrêtés d’application de l’avant-projet de décret pour faire en sorte que cette réforme diminue le nombre de sanctions infligées aux chômeurs.

Compter sur les futurs arrêtés d’application cela revient à tabler sur des éléments incertains et par ailleurs moins forts juridiquement et moins stables que le décret…

C’est exact, on prend un risque. C’est un pari, mais nous avons formulé un certain nombre de balises qui ont été reprises dans l’avis du CESE, on veut s’appuyer là-dessus pour avancer. Nous avons deux objectifs : diminuer le nombre de sanctions et faire en sorte que le Forem touche une partie du public des demandeurs d’emploi qui est pour le moment un peu mise de côté. Nous évaluerons les acquis que nous pourrons obtenir en la matière. Si nous n’obtenons pas gain de cause, nous réévaluerons notre position et nous nous mobiliserons pour créer le rapport de forces nécessaire.

« Si nous n’obtenons pas gain de cause, nous réévaluerons notre position »

Avec l’extension du contrôle à tous les types d’accompagnement, l’extension des accompagnements à tous les chômeurs, leur digitalisation déshumanisante et le renforcement de leur caractère contraignant, n’est-il pas au contraire très probable que cette réforme se solde par une augmentation des sanctions ?

Il y a des dangers qui sont réels. Si la réforme ne conduit pas à une diminution des sanctions des chômeurs, nous reverrons notre position. S’il y avait une augmentation des sanctions, ça signifierait que nous nous serions complètement fourvoyés. Nous évaluerons l’évolution du projet de réforme ainsi que ses résultats et nous en tirerons les conclusions. S’il devait y avoir une augmentation des sanctions, je m’engage en tant que Secrétaire général de la FGTB wallonne à ce que nous mettions en place le rapport de forces nécessaire pour rectifier l’erreur et obtenir un changement.

J’ajoute que nous ne nous sommes pas avancés à soutenir l’avis favorable du CESE sans avoir consulté les personnes qui seront appelées à appliquer cette réforme et tout d’abord nos délégations. Nous avons communiqué nos propositions de balises à la délégation CGSP du FOREM et avons intégré la plupart de ses remarques et recommandations dans notre position. Nous avons également tenu compte des avis émis par l’Interfédération des centres d’insertion socioprofessionnelle (Interfede) ainsi que par l’association de soutien et d’appui aux Missions régionales pour l’Emploi (InterMire). Nous avons dû le faire dans un timing difficile (durant cet été), mais nous l’avons fait. Nous avons fait part de nos points d’attention à la ministre de l’Emploi et, au besoin, nous continuerons à mettre la pression.

Pour ce qui est de l’informatisation, c’est exact que nous pensons qu’il y a un problème lorsque des budgets prévus au Forem pour la formation sont transférés vers l’informatique. Il faut néanmoins constater que la digitalisation est en cours et qu’il y a des publics qui le demandent (des jeunes, des geeks…). Nous acceptons donc que ces nouveaux modes de communication se développent à condition que les moyens dégagés par cette informatisation servent à mieux accompagner le public qui n’a pas accès à la digitalisation et qui est aujourd’hui trop souvent laissé sur le côté.

Pour assumer le doublement prévu du nombre d’accompagnements avec un nombre d’agents constant, le Forem entend imposer l’accompagnement digital à un maximum de chômeurs…

Nous sommes très clairs : le projet de réforme ne peut fonctionner sans une augmentation importante du nombre d’agents du Forem et une formation de celui-ci pour mettre en œuvre un accompagnement inclusif et fondé sur une relation de confiance. Nous l’avons très clairement demandé à la ministre de l’Emploi : il faut mettre les moyens humains nécessaires pour pouvoir réussir cette réforme, si la ministre ne le fait pas, que le personnel est insatisfait, tombe en burn out et que la réforme se plante, sa responsabilité sera engagée.

« Le projet de réforme ne peut fonctionner sans une augmentation importante du nombre d’agents du Forem »

Il faut que la ministre trouve des moyens. Nous sommes occupés à discuter au CESE de l’évaluation d’un certain nombre d’aides wallonnes à l’emploi, dont même les grands cabinets de consultance reconnaissent (ce que nous dénonçons déjà depuis de longues années) qu’elles ne touchent pas les publics les plus éloignés de l’emploi et constituent de purs effets d’aubaine pour les employeurs. Nous demandons la réaffectation d’une partie de ces budgets pour permettre au Forem d’engager le personnel nécessaire pour réussir cette réforme et de réaliser un accompagnement de qualité en vis-à-vis de tous les chômeurs qui le souhaitent ou le nécessitent.

La CGSP-Forem a formellement remis un avis négatif sur le projet (lire ici) c’est seulement après la non prise en considération de cet avis par la direction et dans le souci de rester autour de la table pour défendre ses affiliés qu’elle a formulé des balises…

En effet, l’avis initial de la CGSP-Forem a été négatif par rapport à l’avant-projet de décret. Toutefois, après les amendements que nous avons pu faire intégrer dans l’avis du CESE, la CGSP a marqué son aval sur cet avis au sein du Bureau de la FGTB wallonne. Je ne cherche pas à dissimuler la vérité : ça procède du fait qu’ils étaient isolés pour refuser un système qui leur était imposé et que l’orientation qu’ils ont prise a dès lors été d’essayer de mettre des gardes-fous pour tenter d’avoir le moins mauvais scénario possible.

« Si la ministre ne le fait pas, que le personnel tombe en burn-out et que la réforme se plante, sa responsabilité sera engagée »

Cet avis favorable du CESE wallon sur l’avant-projet de décret en demandant l’introduction de certaines balises (lire ici)… Ces demandes ne relèvent-elles pas de la catégorie des vœux pieux ?

Nous ne sommes ni des naïfs ni des croyants, si ce n’est en la force des travailleurs. Le CESE est constitué des organisations représentatives des travailleurs et des employeurs wallons. Étant donné que cet avis est unanime, les employeurs sont engagés par et sur l’ensemble de son contenu. Avec ces éléments dans un rapport écrit, je pense que l’on peut mettre la pression sur la ministre de l’Emploi, sur le gouvernement et sur les employeurs pour que ces balises soient traduites dans les faits. Nous devrons effectuer une évaluation des résultats que nous obtiendrons. S’il devait s’avérer que nos objectifs initiaux ne sont pas atteints, je vous donne déjà rendez-vous pour vous expliquer comment nous allons créer un rapport de forces pour obtenir satisfaction.

Est-ce que ça signifie que, par exemple, si le décret adopté en seconde lecture ne garantit pas que le chômeur puisse avoir un droit de veto sur les actions inscrites dans son « plan d’action », comme le demande l’avis du CESE, la FGTB wallonne fera campagne pour le rejet du décret ? La ministre pourra facilement se retrancher derrière le refus des ministres libéraux d’accéder à une telle demande…

A un moment ou à un autre, on devra évaluer si nos balises sont respectées ou pas. Si l’assentiment explicite du demandeur d’emploi n’est pas requis pour inscrire les mesures qui figurent dans son plan d’action, on risque d’aller vers plus de sanctions. Est-ce que si on ne l’obtient pas, cela remettra en cause notre soutien à la réforme ? Ce qui est sûr, c’est que c’est l’une de nos balises. Si elle devait être enfreinte, ça pourrait remettre en cause notre positionnement par rapport au projet de réforme et je consulterais le Bureau de la FGTB wallonne pour que nous fixions notre attitude. Mais je ne veux pas être d’avance pessimiste, si la réforme permet de limiter les sanctions des chômeurs et offre de bonnes conditions de travail aux travailleurs du Forem, je n’aurai pas de problème à la soutenir. L’élaboration des arrêtés d’application du décret sera, de ce point de vue, un élément très important.

Les chômeurs et les chômeuses wallonn.e.s, qui sont les premiers concernés par ce projet de réforme essentiel pour l’avenir de leur droit aux allocations, n’en ont pour la plupart jamais entendu parler. Êtes-vous disposé à participer à un débat public sur ce sujet ?

Oui, bien entendu, le débat est nécessaire.

(1) FGTB wallonne, Congrès statutaire 2018, Recueil des positions, Le contrôle de la disponibilité, p. 113.

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