chômage

L’emploi convenable de moins en moins convenable

La dégradation des conditions d’indemnisation des travailleurs sans emploi sert à dégrader les conditions de travail des travailleurs avec emploi. La Vivaldi vient encore d’y porter un coup.

Ces dernières années, certains mandataires politiques belges, sous l’influence des débats en France, multiplient les déclarations publiques dans lesquelles ils demandent que l’on instaure des sanctions pour les chômeurs qui refuseraient deux offres d’emploi. Or, en Belgique, un chômeur ne peut refuser ni un emploi ni une formation, pas même une seule fois. Pas plus qu’il ne peut démissionner sans conséquences d’un emploi. Et les conséquences sont lourdes : une sanction de quatre à cinquante-deux semaines qui dans les faits est souvent de vingt-six semaines (six mois) pour une première infraction et une exclusion définitive en cas de récidive. Le principe étant que l’assurance chômage n’indemnise que le chômage « involontaire ». La seule protection pour le chômeur ou le travailleur démissionnaire est qu’il faut que cet emploi soit « convenable ».

Une notion de plus en plus détricotée

Les critères pour qu’un emploi soit reconnu convenable sont fixés par les articles 22 à 32 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991. Cet arrêté a été maintes fois modifié ces dernières années, toujours dans un sens de délitement. La protection principale est celle de l’article 24 qui stipule notamment qu’un emploi est réputé non convenable si la rémunération n’est pas conforme aux barèmes fixés par les dispositions légales ou réglementaires ou les conventions collectives de travail ou, à défaut, l’usage. C’est un principe de légalité et de respect du droit du travail élémentaire. L’article 26 renforce cette protection en précisant qu’un emploi est réputé non convenable si le revenu net qu’il procure (avec des éléments techniques dont nous vous faisons grâce) n’est pas au moins égal au montant des allocations dont peut bénéficier le travailleur en tant que chômeur complet. Fin 2011, le gouvernement Di Rupo s’était durement attaqué aux autres critères.

Un emploi qui nécessite un déplacement de 55 kilomètres devra être accepté, même si la durée de déplacement est de plus de 4 heures

Le lien avec les études ou la profession habituelle

Ainsi en va-t-il de l’article 23 qui dit qu’un emploi est réputé non convenable s’il ne correspond ni à la profession à laquelle préparent les études ou l’apprentissage, ni à la profession habituelle, ni à une profession apparentée. Cette protection n’est toutefois valable que pendant une certaine période. Celle-ci qui était précédemment de six mois pour tout le monde (ce qui était déjà court) a été raccourcie à partir du 1er janvier 2012 à trois mois pour les travailleurs qui n’ont pas encore atteint l’âge de trente ans ou qui ont travaillé moins de cinq ans et à cinq mois pour tous les autres travailleurs. Après ces trois ou cinq mois, le travailleur doit donc accepter tout emploi qui ne correspond pas à sa profession habituelle.

Distance entre domicile et travail

L’article 25 règle l’importante question du temps de transport. Depuis 2012, il détermine qu’un emploi est réputé non convenable s’il donne habituellement lieu à une absence journalière de la résidence habituelle de plus de douze heures ou si la durée journalière des déplacements dépasse habituellement quatre heures. L’ancienne réglementation ne tenait pas compte de ces principes si la distance entre le domicile et le travail était de moins de vingt-cinq kilomètres. Le gouvernement Di Rupo a porté à soixante kilomètres cette distance. Donc si un travailleur reçoit une offre d’emploi qui nécessite un déplacement de cinquante-cinq kilomètres, il sera tenu d’accepter cet emploi, même si la durée de déplacement est de plus de quatre heures aller et retour.

Organismes de paiement du chômage syndicaux : un ballon d'oxygène, temporaire

Le gouvernement fédéral a lâché un refinancement aux organismes de paiement syndicaux, à la fois précaire, insuffisant et toujours à renégocier.

Le 18 mars 2022, sur proposition du ministre du Travail Pierre-Yves Dermagne, le conseil des ministres a approuvé un projet d’arrêté royal portant fixation des indemnités pour les frais d’administration des organismes de paiement des allocations de chômage. Quelques jours plus tôt, les directions syndicales avaient communiqué sur les problèmes que leur causait le sous-financement de leur organisme de paiement du chômage (1) : « La gestion du paiement du chômage nous coûte de l’argent depuis 2017 », affirmait Thierry Bodson (FGTB) à la RTBF. « Oui, ça nous coûte plus d’argent que ce que l’État nous finance », confirmait Marie-Hélène Ska (CSC) qui donnait une explication : « La formule ne tient pas bien compte de la complexité croissante des dossiers, de l’indexation des salaires, de la complexité des programmes informatiques que nous devons développer. » Thierry Bodson avançait même un chiffre sur le déficit que cela créait pour la FGTB : « On a calculé qu’en moyenne, un dossier de chômage nous coûtait un peu plus de 28 euros, or on en touche 25 euros de l’ONEM, donc on perd en moyenne 3 à 4 euros par cas que l’on gère. (…) Étant donné qu’on administre environ trois millions de dossiers de chômage, on perd environ dix millions d’euros par an, et c’est la caisse privée du syndicat qui éponge ce déficit. » (2)

Le garrot est desserré mais…

La décision prise en la matière par le gouvernement fédéral à l’occasion des discussions budgétaires a été expliquée dans La Libre : la partie du budget de l’ONEm réglé par l’arrêté royal du 16/09/1991 sera majorée de 10 millions d’euros en 2023 et dix millions en 2024. (3) Or, la FGTB estimait que pour elle seule le déficit de financement qui frappe son organisme de paiement était de 10 millions par an et le gouvernement n’octroie aux trois syndicats que dix millions d’euros par an à se partager entre eux, selon leur nombre de dossiers de chômage… et ce seulement pour 2023 et pour 2024 ! Au-delà, les organisations syndicales devront, en l’état, renégocier de nouvelles perfusions. Le garrot est desserré, mais il reste autour de leur cou. A noter, c’est le même projet d’arrêté, soumis pour avis au Comité de gestion de l’ONEm, qui accorde le refinancement des organismes de paiements syndicaux, qui rabote certaines revalorisations d’allocations (Lire l’article) et qui prévoit une procédure de contrôle plus stricte pour les chômeurs absents lors de leurs entretiens d’évaluation (Lire ci-dessus).

Arnaud Lismond-Mertes (CSCE)


(1) Lire notre dossier « Menace sur les OP syndicaux du chômage » dans Ensemble ! n°108, en particulier « Mission impossible de service public ? ».
(2) Guillaume Woelfle, Faky (RTBF), « Les syndicats s’enrichissent-ils grâce à la gestion et le paiement des allocations de chômage ? », 1er mars 2023.
(3) François Mathieu, « La Vivaldi dégage 20 millions pour les syndicats », La Libre, 14.04.2023.

Incitation et pénalisation

La Vivaldi, dans son objectif de relever le taux d’emploi à l’horizon 2030 (Lire l’article), a d’abord prévu en 2022 que les chômeurs de longue durée (plus d’un an) qui accepteraient un emploi dans un métier en pénurie ou un emploi convenable dans une autre région puissent conserver 25 % de leur allocation de chômage de la première période pendant trois mois. La mesure, étant incitative, peut sembler sympathique mais elle participe en fait à subsidier les bas salaires au lieu de forcer les employeurs à offrir de meilleures conditions salariales dans de telles circonstances.

A l’occasion de l’accord budgétaire de mars 2023, en plus de s’en prendre aux revalorisations des allocations (Lire l’article),le gouvernement Vivaldi a opté pour de nouvelles mesures pénalisantes, en même temps qu’il lâchait un ballon d’oxygène financier (temporaire) aux organismes de paiement syndicaux. (Lire l’encadré) Les règles précitées pour l’emploi convenable étaient moins sévères auparavant pour les chômeurs ayant atteint l’âge de cinquante ans (pas de limite de temps pour le lien avec les études ou la profession habituelle, absence journalière de dix heures au lieu de douze heures et durée journalière des déplacements de maximum deux heures au lieu de quatre). Ce critère d’âge a été relevé à cinquante-cinq ans. C’est la mesure qui risque de causer le plus de dégâts. Concernant la mobilité interrégionale des demandeurs d’emploi, le gouvernement a décidé qu’il serait précisé dans l’arrêté que les frontières régionales ou linguistiques ne sont pas un motif valable pour refuser un emploi vacant.

Il y a très peu de sanctions pour refus d’emploi malgré des règles sévères

 Cette précision est symbolique puisque les critères d’absence journalière de la résidence habituelle et de durée journalière des déplacements sont clairement basés sur un nombre d’heures (illimité si la distance est de moins de soixante kilomètres) et pas sur des considérations de langue ou de région. Cette volonté d’inscrire cette précision dans l’arrêté est sans doute révélatrice d’un gouvernement fédéral qui veut influer sur une matière que le même fédéral a presque entièrement régionalisée et de la méfiance qu’il entretient envers « l’application loyale de la législation » par ces régions… Dans le même ordre d’idée, les chômeurs qui seront absents à deux reprises lors d’un entretien d’évaluation devront fournir une justification écrite. De nouveau c’est symbolique puisque les régions peuvent déjà l’imposer. Tout cela forme une nouvelle stigmatisation du comportement des chômeurs, cherchant soi-disant des excuses pour refuser des emplois… Or il y a très peu de sanctions pour refus d’emploi (2,5 % des sanctions en disponibilité dite passive), preuve, malgré ces règles dures, que ce « problème » est marginal. Toutes ces sanctions, sauf une, viennent du VDAB. Étant donné la situation du marché de l’emploi, ce n’est pas étonnant : pour refuser un emploi, il faut que l’on vous en ait proposé un ! Mais nul doute que certains concluent que c’est un laxisme du Forem ou d’Actiris qui est en cause et pas le manque d’offres correspondant aux chômeurs wallons et bruxellois… En matière d’allocations de chômage, la Vivaldi s’est révélée beaucoup moins nocive que les gouvernements Verhofstadt II, Di Rupo ou Michel. Elle n’a cependant rien réparé par rapport aux démolitions antérieures et vient encore d’imposer ce recul, limité certes, mais regrettable.

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