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L’inquiétante situation de la presse dans le monde

La dernière édition du Classement mondial de la liberté de la presse a rendu un verdict sans appel : les conditions d’exercice du journalisme sont mauvaises,voire carrément catastrophiques dans sept pays sur dix. Pas étonnant, dès lors, si de nombreux journalistes sont contraints à l’exil.

La liberté de la presse est une réalité dans une minorité de pays dans le monde. Un peu partout, les journalistes qui osent une voix dissidente par rapport au régime en place sont menacés, emprisonnés, torturés, ou tués.
La liberté de la presse est une réalité dans une minorité de pays dans le monde. Un peu partout, les journalistes qui osent une voix dissidente par rapport au régime en place sont menacés, emprisonnés, torturés, ou tués.

L’objectif du Classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans Frontières (RSF) (1) est de comparer le degré de liberté dont jouissent les journalistes et les médias dans 180 pays ou territoires. La définition de la liberté de la presse retenue par RSF et son panel d’experts pour élaborer son classement est la suivante : « La liberté de la presse est la possibilité effective pour les journalistes, en tant qu’individus et en tant que collectifs, de sélectionner, produire et diffuser des informations dans l’intérêt général, indépendamment des interférences politiques, économiques, légales et sociales, et sans menace pour leur sécurité physique et mentale. »

L’édition 2023 évalue les conditions d’exercice du journalisme dans 180 pays et territoires. La situation est qualifiée de« très grave » dans 31 pays, « difficile » dans 42 et « problématique » dans 55. Elle n’est considérée comme « bonne » ou « plutôt bonne » dans seulement 52 pays (dont la Belgique). « Autrement dit, peut-on lire en conclusion dans le Classement de RSF, les conditions d’exercice du journalisme sont mauvaises dans 7 pays sur 10 et satisfaisantes dans seulement 3 pays sur 10. » Pas franchement de quoi se réjouir.

Le bond en arrière de la Chine

L’Asie abrite les pires régimes du monde pour les journalistes : le trio de fin du classement est composé exclusivement de pays asiatiques.Sans grande surprise, la Corée du Nord ferme le classement, à la 180e et dernière place du classement.
A l’avant-dernière place, la Chine (179e) est la plus grande prison pour les journalistes au monde : le régime détient actuellement au moins 127 journalistes. Le simple fait d’enquêter sur un sujet tabou ou de publier des informations censurées peut valoir des années de détention dans des prisons insalubres, la torture, voire la mort.
La pandémie de Covid-19 a constitué un prétexte idéal pour intensifier la répression : au moins dix journalistes et commentateurs en ligne ont été arrêtés en 2020 parce qu’ils avaient tenté d’informer leurs concitoyens, le plus objectivement possible, sur la situation réelle de l’épidémie de Covid-19 à Wuhan.

RSF a publié, à la fin de l’année 2021, soit un an avant le 20è Congrès du Parti communiste chinois, un document accablant de 82 pages intitulé « Le grand bond en arrière du journalisme en Chine », un rapport qui révèle l’ampleur de la campagne de répression menée par les autorités chinoises contre le droit à l’information.
Le rapport mesure aussi la détérioration de la liberté de la presse à Hong Kong, autrefois modèle de la liberté de la presse, et qui enregistre désormais un nombre croissant de journalistes arrêtés au nom de la sécurité nationale.
La Chine est aussi l’une des principales puissances exportatrices de contenus de propagande. Car Pékin ne se contente pas de contrôler l’accès à l’information à l’intérieur de ses frontières : le régime tente aussi, par tous les moyens, d’influencer le contenu des informations en-dehors de ses frontières. « Si la Chine continue dans cette direction, les citoyens chinois risquent de perdre l’espoir de voir un jour la liberté de la presse instaurée dans leur pays, et le régime de Pékin parviendra peut-être à imposer son anti-modèle, y compris dans d’autres pays », s’inquiète Christophe Deloire, secrétaire général de RSF.

Pékin ne se contente pas de contrôler l’accès à l’information à l’intérieur de ses frontières : le régime tente aussi, par tous les moyens, d’influencer le contenu des informations en-dehors de ses frontières.

Le Vietnam (178e)poursuit quant à lui sa traque inlassable des reporters et commentateurs indépendants trop peu révérencieux à l’égard du régime. La Birmanie (173e) représente la deuxième prison du monde pour les journalistes et, en Afghanistan (152e), les conditions de travail des journalistes ne cessent de se détériorer et les femmes journalistes ont été littéralement effacées de la vie publique.

Outre son Classement annuel mondial de la liberté de la presse, Reporters sans frontières (RSF) publie également un Baromètre des exactions commises contre les journalistes dans le monde. Ce Baromètre recense en temps (presque) réel le nombre de journalistes tués, emprisonnés ou détenus à cause de leur activité de journaliste.
Outre son Classement annuel mondial de la liberté de la presse, Reporters sans frontières (RSF) publie également un Baromètre des exactions commises contre les journalistes dans le monde. Ce Baromètre recense en temps (presque) réel le nombre de journalistes tués, emprisonnés ou détenus à cause de leur activité de journaliste.

Maghreb et Moyen-Orient : situation « très grave »

La région Maghreb – Moyen-Orient est extrêmement dangereuse pour les journalistes : dans plus de la moitié des pays de la zone, la situation est considérée comme « très grave ». Le score très bas de certains pays comme la Syrie (175e), le Yémen (168e), ou l’Irak (167e), reflète le nombre important de journalistes disparus ou pris en otage. L’indice sécuritaire de la Palestine reste très dégradé, notamment après la mort de deux nouveaux journalistes en 2022. L’Arabie saoudite (170e) s’ancre dans la fin du classement. Au Maghreb, l’Algérie (136e) a confirmé sa dérive autoritaire en poursuivant notamment le patron de presse Ihsane El Kadi, et reste dans la catégorie des pays où la situation de la presse est considérée comme « difficile ».

L’Afrique, zone de « non-information »

En Afrique, la situation est qualifiée de « difficile » dans près de 40 % des pays (contre 33 % en 2022). C’est le cas notamment au Burkina Faso (58e), où des chaînes internationales ont été suspendues et des journalistes expulsés, et plus généralement de la région du Sahel, qui est en train de devenir une « zone de non-information ». Le continent a été aussi endeuillé par plusieurs assassinats de journalistes, dont celui, récemment, de Martinez Zongo au Cameroun (138e). En Érythrée (174e), la presse reste soumise à l’arbitraire absolu du président.

Amérique centrale et latine : entre censure et disparitions

Les Amériques n’affichent désormais plus aucun pays en vert. Le Costa Rica (23e ; -15) qui était le dernier pays de la zone encore avec une « bonne » situation, a désormais baissé de catégorie. Le Mexique (128e) comptabilise le plus grand nombre de journalistes disparus au monde (28 en 20 ans !). Cuba (172e), où la censure a repris de plus belle et où la presse est toujours un monopole d’État, reste comme en 2022, dernier de la zone.
Au nord du continent, les Etats-Unis occupent la 45è place du classement, tandis que le Canada se place à une honorable 15è place.

L’Europe : peut mieux faire

L’Europe- particulièrement à l’intérieur des frontières de l’Union européenne – reste en revanche la région du monde où les conditions d’exercice du journalisme sont les plus faciles. La situation sur le continent est cependant plus mitigée qu’il n’y paraît à première vue. L’Allemagne (21e), qui enregistre un nombre record de violences et d’interpellations de journalistes sur son territoire, perd 5 places par rapport au baromètre 2022. La Pologne (57e) progresse quant à elle de 9 places, et la France (24e) en gagne 2. La Grèce (107e), où des journalistes ont été surveillés par les services secrets et par un logiciel espion puissant, garde sa dernière place dans l’UE.
Mais notons que le classement de la zone telle que découpée par Reporters sans frontières est tiré vers le bas par les pays de l’ancienne république soviétique. Plusieurs pays de la zone, le Kirghizistan (122e), le Kazakhstan (134e) et l’Ouzbékistan (137e) chutent dans le classement en raison du nombre croissant d’attaques contre les médias. Enfin, le Turkménistan (176e) fait toujours partie des cinq pays affichant la lanterne rouge en matière de liberté de la presse.

L’Europe – et plus particulièrement à l’intérieur des frontières de l’Union européenne - reste la région du monde où les conditions d’exercice du journalisme sont les plus faciles. L’Asie, en revanche, abrite les pires régimes du monde pour les journalistes.

Le top du classement

Quels pays trouve-t-on en tête du classement, là où l’on peut informer dans les meilleures conditions ? La Norvège conserve sa première place pour la 7e année consécutive. Une fois n’est pas coutume, un pays non nordique, l’Irlande,se place en seconde position, devant le Danemark (3e). La Suède et la Finlande occupent respectivement les 5è et 6è places. Les Pays-Bas (6e) retrouvent la position qu’ils occupaient en 2021, avant l’assassinat du journaliste Peter R. de Vries. La Lituanie (7è) et l’Estonie (8è) ferment la liste du petit club des pays qui affichent un score « vert » dans le classement mondial de la liberté de la presse.
Notons que la Belgique et la France occupent respectivement la 31è et 24è place au classement.

(1) Source https://rsf.org/fr/classement Le classement a été publié par Reporters sans frontières (RSF) le 3 mai dernier, à l’occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse. RSF publie également un Baromètre des exactions commises contre les journalistes dans le monde. Ce Baromètre recense en « temps réel » le nombre de journalistes tués, emprisonnés ou détenus à cause de leur activité de journaliste.

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