L’exclusion par la pollution électromagnétique

Regards d’institutions sur l’électrosensibilité (II)

Après notre « état des lieux » de la pollution électromagnétique, analysant l’exclusion sociale vécue par les personnes électrosensibles, nous avons voulu connaître le positionnement de certains acteurs institutionnels. Deuxième partie.

Dessin Pawel Slippers (pantoufles smartphones)
Dessin Pawel Slippers (pantoufles smartphones)

Le présent dossier vient clôturer un long processus, démarré dans notre numéro 102, paru en juin 2020, dans lequel nous avions publié un appel à témoignages pour entrer en contact avec les personnes « électrosensibles ». Cet appel a connu un franc succès, à la suite duquel nous avons rencontré trente-six personnes et réalisé des entretiens détaillant leur vécu au contact des technologies sans fil. Plusieurs dossiers sont ensuite parus, proposant un « état des lieux » en deux parties, intitulées respectivement « Une vie sociale à rude épreuve » et « Une vie professionnelle à l’arrêt, ou poursuivie dans la souffrance ». Avec nos témoins, nous avons réalisé une vaste étude intitulée « L’exclusion par la pollution électromagnétique ». Cette exclusion sociale concerne des gens qui sont aujourd’hui forcés de vivre au sein d’une atmosphère délétère, traversée de rayonnements électromagnétiques dont la puissance ne cesse d’augmenter (1).

Le but était ensuite de soumettre ces constats à différentes instances belges de Sécurité sociale, des acteurs identifiés dans l’état des lieux comme concernés au premier chef par cette situation. Le dossier qui débute ici prend place dans cette phase d’interpellation, et constitue la seconde partie des « Regards d’institutions sur l’électrosensibilité ».

Une riche première salve

Dans la première partie, nous avions commencé par présenter la démarche d’interpellation et les réponses – le plus souvent modestes – reçues par courrier. Des dialogues ont en effet été entamés, par exemple avec les mutuelles ou des associations médicales de renom. Mais il n’est pas facile, dans notre pays, de trouver des interlocuteurs sur ce sujet, pourtant primordial par l’ampleur de la pollution en jeu. Nous avons toutefois pu réaliser six entretiens significatifs, qui éclairent le scandale sanitaire posé par les nouvelles technologies. Ils proposent également une analyse approfondie de la situation des personnes électrosensibles, encore souvent discréditées, voire ostracisées. Ces six expériences et observations concrètes éclairent le phénomène de l’électrosensibilité – qui officiellement n’existe pas -, au-delà des constats établis dans l’état des lieux. Les trois premiers sont parus dans notre précédent numéro, les trois suivants sont proposés plus loin dans ces pages.

Pour rappel, le premier entretien s’est déroulé dans les locaux de Unia (ex-Centre pour l’égalité des chances), habilité à recueillir les signalements de cas de discrimination en Belgique. Rappelant les missions de son institution, notre interlocutrice, Véronique Ghesquière – cheffe du service « Handicap/Convention ONU » – nous a parlé des dossiers introduits par des personnes électrosensibles ou des proches. Le second entretien s’est déroulé au siège de la CSC Liège-Verviers-Ostbelgien où Thomas Gérard, conseiller en prévention, a été confronté à un travailleur souffrant d’électrosensibilité, notamment après un travail problématique au contact d’une machine émettant des rayonnements électromagnétiques. Ce syndicaliste nous a parlé des difficultés à faire reconnaître les maladies professionnelles, de manière générale mais aussi a fortiori lorsqu’il s’agit de « maladies émergentes ». Le troisième entretien, lui, s’est tenu à la Chambre avec Benoît Piedbœuf, chef de groupe du Mouvement réformateur (MR), mais également bourgmestre de Tintigny, une commune située en Gaume, dans le sud de la Belgique. Confronté à des demandes de personnes électrosensibles, et parce qu’une zone de sa commune le permet encore, cet élu local a fait voter – à l’unanimité du Conseil communal – un engagement à préserver celle-ci de tout rayonnement électromagnétique. Son initiative est toutefois purement personnelle puisque, nous le constaterons dans ce dossier, le MR a été au Sénat le seul parti francophone à voter contre le texte visant à reconnaître officiellement l’électrosensibilité. Au niveau local cependant, à l’initiative de ce bourgmestre, la Belgique dispose désormais d’une « zone blanche » dans laquelle, du point de vue des rayonnements, l’atmosphère est totalement naturelle. Dans le paysage politique belge, marqué par un important déni sur ce sujet, les paroles de cet élu ne sont certainement pas banales et méritent d’être diffusées largement (2).

La Belgique dispose d’une « zone blanche » dans laquelle, du point de vue des rayonnements, l’atmosphère est totalement naturelle.

Personne, bien entendu, ne souhaite vivre dans un monde où il faudrait instaurer des « zones de discrimination », seuls endroits où les électrosensibles pourraient vivre sainement… Mais dans l’immédiat, dans une situation d’extrême urgence, nous devons hélas constater que les personnes électrosensibles sont obligées d’en appeler à cette échappatoire. C’est pourquoi la reconnaissance de l’électrohypersensibilité est plus qu’urgente : elle signerait une première étape vers la recherche de solutions écologiques et sanitaires qui ne soient pas la création de ghettos d’un genre nouveau…

Trois nouvelles pièces du puzzle

Place donc, aujourd’hui, aux trois entretiens suivants. En premier lieu, nous avons rencontré Nicolas Prignot, philosophe des sciences dont le doctorat a précisément porté sur « L’onde, la preuve et le militant ». En plaçant la réflexion dans l’historique de l’émergence de cette question de santé publique, il tente de dépasser l’éternelle opposition entre deux blocs : personnes malades versus négateurs de l’existence d’effets sur la santé. Il entend proposer de nouvelles pistes de réflexion aux personnes électrosensibles, mais aussi à l’ensemble de la société. Il développe notamment ses observations liées à la notion de « preuve scientifique », dont l’établissement serait nécessaire avant d’agir. Force est de constater que l’argument du « manque de preuve », sans cesse asséné par les acteurs concernés par cette pollution, favorise grandement un attentisme funeste pour les personnes en souffrance (lire ici).

Cet entretien constitue une pièce maîtresse pour comprendre dans quel jeu nous jouons aujourd’hui en matière de nouvelles technologies. Afin de permettre un choix éclairé des utilisateurs, la teneur de ces réflexions devrait idéalement être communiquée à tout acheteur d’engins sans fil. Cet argument du « manque de preuve scientifique », justifiant l’inertie actuelle ; nous l’avons entendu et lu des dizaines de fois depuis la publication de notre appel à témoignage. De la part d’industriels, bien sûr, mais également de médecins et médecins-conseils, de parlementaires, d’élus locaux, de responsables de mutuelle, de syndicalistes, de ministres, de représentants d’associations de consommateurs, de fonctionnaires de l’environnement, etc. La liste est très longue. Plus simplement, nous l’avons entendu également dans notre vie de tous les jours, dans la bouche d’interlocuteurs sceptiques ou simplement étonnés par le sujet de notre travail. Il est arrivé que nos contradicteurs se montrent très virulents : révélateur, sans doute, d’une dépendance presque passionnelle aux produits technologiques…

Parallèlement, ces mêmes personnes prétendent que les normes belges d’émissions de rayonnements seraient « très sévères ». Avant de proposer à la lecture les deux entretiens suivants, nous avons dès lors décidé de revenir sur ces normes, pour se souvenir d’où elles sont issues, comment elles ont été fixées et entretenues, dans un contexte très favorable à l’industrie. Y revenir ici s’impose également en raison de la publication récente d’une nouvelle pièce fondamentale pour comprendre les enjeux actuels : un rapport d’analyse signé par deux parlementaires Verts européens, Michèle Rivasi (France) et Klaus Buchner (Allemagne). Le titre de leur rapport ? « La Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants (ICNIRP) : Conflits d’intérêts, 5G et capture réglementaire ». Notons que l’ICNIRP est l’organisme dictant les normes aux États et aux instances internationales. En toile de fond de cette analyse, nous décrypterons comment s’est forgé le mythe belge d’une prétendue sévérité des normes dans notre pays, dans le sillage du travail courageux d’une parlementaire écologiste bruxelloise au début de ce 21è Siècle. Un travail aujourd’hui détricoté, vidé de sa substance… à la demande de l’industrie. (lire ici)

Notre deuxième rencontre s’est déroulée au siège de l’entreprise Proximus, principal opérateur de téléphonie en Belgique. Son porte-parole, Haroun Fenaux, a développé pour nous sa vision des questions sanitaires posées par les technologies sans fil. Si le Sénat a finalement rejeté la reconnaissance et renvoyé les électrosensibles dans l’ombre, l’entreprise, elle, tout en tentant de minimiser ses responsabilités, reconnaît bien l’existence des personnes souffrant du « Syndrome des micro-ondes ». Nous avons discuté avec lui de certains constats établis avec nos témoins, et évoquons également le contenu de la vidéo intitulée « Quelques conseils malins », dans laquelle Proximus expose des conseils de prudence à mettre en pratique au contact de ses produits. Durant notre enquête, le contenu de ce court film d’entreprise en a sidéré plus d’un : Proximus y assène sans cesse le slogan Smart use is smart distance,recommande aussi de ne pas placer d’émetteur wifi dans une chambre, ni dans une poche, de ne pas l’utiliser dans un train, etc. Du reste, le moins que l’on puisse dire, c’est que ces conseils de prudence n’ont pas fait la Une de l’actualité. Ils ne semblent pas non plus faire partie des réflexes des utilisateurs…(lire ici)

Enfin, pour clôturer ce dossier, nous avons rencontré Fatima Ahallouch dans les locaux du Parlement fédéral belge. Cette élue socialiste s’est battue au Sénat, durant la session 2020-2021, pour tenter de faire voter une « Proposition de résolution relative à la reconnaissance de l’électrohypersensibilité ». Les gens conscients de cette pollution industrielle majeure sont à la recherche de responsables politiques prêts à prendre leurs responsabilités, et à casser le tabou qui entoure encore largement le développement des technologies sans fil. Dès lors qu’une parlementaire courageuse décide de se saisir du sujet à pleines mains, il nous a semblé logique de lui donner la parole. Elle nous expose ses motivations et la manière dont se sont déroulés les débats. Nous clôturons donc de dossier sur cette discussion politique fondamentale, en espérant que son travail signera une première étape dans le processus de reconnaissance à poursuivre dans le futur… (lire ici)

Suite, donc… et fin ?

Avec ces entretiens, nous voulons documenter le réel, éclairer le public souvent maintenu dans une totale ignorance sur ce sujet. Dans l’immédiat, personne ne peut prédire le sort qui sera réservé à cet enjeu politique, social et sanitaire essentiel. En revanche, il est certain que chaque seconde durant laquelle on nie cette pollution industrielle, d’ampleur inédite, est une seconde perdue. Depuis l’entame de nos dossiers, des millions de secondes ont déjà été perdues, et l’inertie politique a eu de lourdes conséquences pour les électrosensibles mais aussi, plus largement, pour la santé publique globale… Les différentes prises de parole proposées ici constituent une collection de différentes pièces, pour fixer une image, ici et maintenant, des enjeux sanitaires et sociaux du développement industriel contemporain. Ces pièces, hélas, forment le puzzle d’un tableau bien noir. Nous aurions aimé clôturer notre vaste enquête sur des pistes de réflexion positives, mais au regard de la situation, cet objectif a été bien difficile à atteindre…

Chaque seconde durant laquelle on nie cette pollution industrielle, d’ampleur inédite, est une seconde perdue

Le prolongement de ce statu quo serait intolérable et dangereux : lorsque des évolutions se dessineront, nous en rendrons bien entendu compte dans nos pages (3). En cette période de toute-puissance industrielle, les électrosensibles et toutes les personnes soucieuses de la santé publique sont à la recherche d’alliés prêts à se mobiliser contre la pollution électromagnétique et ses effets. Ces derniers ne se bousculent pas au portillon… Où sont les mouvements écologistes, en 2023, sur cette question ? Dans une époque où de larges mouvements, notamment parmi la jeunesse, se mobilisent pour l’environnement et la défense de la planète, la question de cette pollution industrielle massive représente assurément un angle mort…

Dans une époque où de larges mouvements se mobilisent pour l’environnement, la question de cette pollution industrielle massive représente assurément un angle mort…

(1) Pour une description précise des différents dossiers parus et de leur contenu, lire l’encadré « L’exclusion par la pollution électromagnétique en quatre actes », au sein de la première partie du présent dossier, dans notre numéro précédent. « Regards d’institutions sur l’électrosensibilité (I) », Ensemble n°110, pages 88-89. www.ensemble.be, rubrique « archives ».

(2) « Un petit havre de paix électromagnétique en Gaume », au sein de « Regards d’institutions sur l’électrosensibilité (I) », Ensemble n°110, pages 86 à 117. www.ensemble.be, rubrique « archives ».

(3) Une période électorale s’ouvre en Belgique, nous rendrons notamment compte en nos pages d’éventuelles initiatives politiques portées vers les partis candidats, au sujet de la pollution électromagnétique et de la situation des personnes électrosensibles.

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