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L’entêtement de Joséphine

Les injustices la révoltent, et elle le fait savoir. Son franc-parler lui a valu l’exil, mais Joséphine ne s’est jamais résignée. Aujourd’hui, elle cumule la présentation du journal parlé d’une radio en ligne burundaise indépendante à une collaboration pour Latitudes et un master en sciences politiques et sociales.

Joséphine Jones Nkunzimana : la résignation n’est pas dans son tempérament. Crédit photo : Photo En-GAJE
Joséphine Jones Nkunzimana : la résignation n’est pas dans son tempérament. Crédit photo : Photo En-GAJE

Joséphine a le journalisme radio dans la peau, mais le Burundi n’est pas franchement un eldorado pour les défenseurs de la liberté de la presse (1). Autrefois considéré comme l’un des plus dynamiques de la région des Grands Lacs, le paysage médiatique burundais s’est considérablement appauvri depuis 2015. Plusieurs radios ont été détruites –une des radios auxquelles collaborait Joséphine Jones Nkunzimana dans son pays a été incendiée par les sbires du pouvoir – ou contraintes à l’exil, et les médias toujours en place sont, pour la plupart, totalement alignés sur la ligne politique du régime.
Les ennuis de Joséphine ne se sont pas limités à la sphère journalistique. Alors qu’elle travaillait en tant que chargée de communication et des relations publiques pour une ONG américaine implantée au Burundi collaborant avec le ministère de l’Agriculture, elle a été témoin de situations inacceptables et s’est fendue de quelques tweets accusateurs. « Etre la voix des sans voix, dénoncer les atteintes à la dignité des êtres humains et aux droits humains, c’est plus fort que moi : je suis absolument incapable de me taire », sourit-elle.

Exil et montagnes russes émotionnelles

Nous sommes alors en 2016 : son employeur met fin à son contrat et, victime de menaces de mort, Joséphine (elle a alors 33 ans) décide de se réfugier au Bénin où elle résidera jusqu’en 2019.
Membre du Rotary Club International, la jeune femme obtient un visa pour assister à une conférence internationale en Allemagne. Sa décision est prise : comme son passeport burundais arrive à expiration, elle profitera de cette opportunité de voyage en Europe pour rejoindre la Belgique où elle veut tenter sa chance. Sitôt arrivée, elle introduit une demande d’asile, et est hébergée au centre Fedasil pour demandeurs d’asiles de Morlanwez. « C’était très dur. Les horaires étaient très stricts, notamment pour les repas. Le petit-déjeuner était fixé à 8h30, et si on n’était pas là à temps, tant pis, on ne mangeait pas. Mais moi, là-bas, je vivais un désoeuvrement total : je n’avais aucune envie de me lever ; j’étais plongée dans une détresse indicible et j’avais juste envie de rester au lit le plus longtemps possible. » En août 2019, elle se voit signifier le refus de protection internationale et intimer l’ordre de quitter le territoire. Elle doit quitter le centre. Commence alors, pour elle, une période de clandestinité, où elle vit de bouts de ficelle et de solidarité.

Refusant de céder à la résignation – « Ce n’est pas dans mon tempérament » -, elle introduit une nouvelle demande d’asile au printemps 2020. Mais on est alors en pleine crise sanitaire, et les rendez-vous à l’Office des étrangers tardent à être fixés. En juillet, alors que son dossier est toujours à l’étude, elle trouve refuge dans une structure d’accueil flottante gérée par Fedasil, équipée pour recevoir 250 résidents et amarrée au quai Rigakaai à Gand, dans le port North Sea Port. « Cette période-là représente un bon souvenir, se souvient Joséphine. On était très libres, on pouvait se préparer à manger comme nous l’entendions. Le matin, je participais à des cours de néerlandais et, l’après-midi, j’avais trouvé un petit boulot – je préparais les commandes pour une société – qui me permettait de gagner un peu d’argent. »

Et puis, en novembre 2020, arrive enfin la bonne nouvelle : la demande d’asile de Joséphine est acceptée, elle peut donc désormais résider en Belgique en toute légalité. Cette bonne nouvelle signe aussi le départ obligé du centre Fedasil de Gand: après un passage à Ypres, Joséphine obtient un logement à Molenbeek (Bruxelles), où elle vit depuis lors. « Il s’agit d’une colocation, et la maison héberge surtout des étudiants, burundais, camerounais, congolais, etc. Le loyer est modeste, la chambre en bon état, et les pièces communes sont agréables. Bref : ça me plaît. »

Quand le paysage se dégage

Une collègue journaliste burundaise, Valérie Mucco, lui parle alors d’En-GAJE, avec laquelle les contacts sont fructueux : Joséphine témoigne dans les écoles dans le cadre de l’opération Journalistes en Classe, et elle écrit pour le média en ligne Latitudes. « EN-GAJE a un très beau sens de l’accueil, et elle offre aux journalistes exilés soutien et reconnaissance. Nous permettre d’exercer notre métier, c’est magnifique. Je me sens également très utile lorsque j’échange avec des jeunes qui sont tout étonnés d’apprendre la réalité des journalistes ailleurs dans le monde, et sur l’importance de militer en faveur de la liberté de la presse. Et puis, grâce à l’association, j’ai pu faire des rencontres extraordinaires. Parmi les journalistes exilés en Belgique, il y a des gens qui, avant, étaient de véritables stars dans leur pays et qui, ici, sont d’illustres inconnus. Sans association de ce genre pour les soutenir, le désespoir guette. Je peux vraiment dire qu’En-GAJE m’a permis de renaître. Ainsi, bien sûr, que la reconnaissance du statut de réfugié, sans laquelle le paysage serait beaucoup plus sombre. »

Elle produit donc des reportages – notamment sur les réfugiés burundais – dans Latitudes et, puisqu’elle adore la radio mais que les radios « en place » au Burundi se font les porte-voix du régime, Joséphine a frappé à la porte de la radio indépendante Inzamba, Agate kakawe. Née en 2015 avec comme défi de contrer le discours contrôlé par l’État et de fournir un accès à des informations de qualité, avec l’aide notamment de journalistes burundais exilés, cette radio en ligne l’accueille à bras ouverts : elle y présente désormais quotidiennement le journal parlé en français ! Bien décidée à tirer le meilleur profit de sa chance, Joséphine a réalisé un Master en Paix, Conflits et Sécurité à l’Université Oberta de Catalugna en Espagne, avant d’entreprendre un Master à horaire décalé en Politique économique et sociale à UClouvain, où elle vient d’entamer sa troisième année. Elle tient déjà le sujet de son mémoire de fin d’études : il portera sur les politiques publiques en matière d’intégration socio-professionnelle, et en particulier sur les « articles 60 » (2). « Je vais interroger ces politiques publiques qui ne me paraissent pas adaptées, car sans lien avec les compétences professionnelles des bénéficiaires. Plutôt que de susciter de la motivation, elles engendrent des frustrations… »
A Ensemble, nous sommes impatients de connaître les résultats de son enquête…

(1) Le Burundi occupe la 114è place sur 180 du Classement mondial de la liberté de la presse 2023 établi par Reporters sans frontières.

(2) L’ « article 60 »est un sujet récurrent dans Ensemble. Le contrat de travail article 60 constitue une des aides du CPAS. En travaillant sous contrat article 60, les bénéficiaires peuvent ouvrir leur droit au chômage – ou le récupérer.

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