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Les télés et radios aux avant-postes

Suite au « dimanche noir », le secteur audiovisuel a initié la réflexion autour du cordon sanitaire médiatique. Depuis lors, il s’est imposé légalement en Belgique francophone, tandis qu’il a rapidement volé en éclats du côté flamand.

Les médias audiovisuels ont été les premiers à initier la réflexion autour de l’attitude à observer face aux représentants de l’extrême droite. Leur exclusion des plateaux télé est toujours d’application du côté francophone, mais pas en Flandre.
Les médias audiovisuels ont été les premiers à initier la réflexion autour de l’attitude à observer face aux représentants de l’extrême droite. Leur exclusion des plateaux télé est toujours d’application du côté francophone, mais pas en Flandre.

Au lendemain du « Zwarte zondag » ou « dimanche noir » du 24 novembre 1991, pendant que les partis, en Flandre d’abord, en Wallonie ensuite, planchent sur un protocole qui tiendrait l’extrême droite éloignée du pouvoir, le secteur associatif mobilisé contre l’extrême droite pointe du doigt les défaillances de certains, accusés de favoriser le racisme et la xénophobie – et donc l’extrême droite – en parlant de façon inappropriée de la délinquance, des allochtones et de l’immigration. Face à cette mise en cause, les médias s’interrogent sur leur responsabilité dans la victoire de l’extrême droite, et sur les moyens à leur portée pour contribuer à l’endiguer. Cette réflexion, à l’époque, est menée aussi bien au sein du paysage médiatique néerlandophone que francophone.

Le cordon sanitaire médiatique initié par la RTBF et Écolo 

Par ailleurs, une semaine jour pour jour après les élections législatives qui ont signé la victoire du Vlaams Blok en Flandre et, dans une moindre mesure, celle du Front National au sud du pays, RTL-TVI invite sur le plateau de Controverse un élu de chaque parti francophone, dont Georges Matagne, député du FN. Écolo décide de boycotter l’émission, expliquant que « cette extrême droite se voit par là même reconnue et gratifiée d’une amplification médiatique artificielle et sans aucune mesure avec son résultat électoral dans le sud du pays ». Au même moment, la RTBF décide pour sa part de refuser l’accès aux débats et aux émissions en direct aux représentants des partis qui n’acceptent ou ne respectent pas les principes de la démocratie consacrés par la Convention européenne des droits humains. « Cette décision est prise en application, d’une part du Pacte culturel, de l’autre du décret statutaire du média », lequel prévoit notamment que la télé de service public ne peut ‘‘procéder à des émissions contraires à la loi ou à l’intérêt général’’ », indique le politologue Benjamin Biard (1). Les télévisions locales francophones (les actuels « médias de proximité »), également dotées d’une mission de service public, s’alignent sur la position de la RTBF, avant d’être rejointes, progressivement, par l’ensemble des médias francophones, aussi bien du secteur audiovisuel que de la presse écrite.

La mise en place de ce cordon sanitaire médiatique a évidemment provoqué l’ire des partis (Front National, Parti Populaire) qui se voyaient refuser l’accès à l’antenne. En 1999, le Conseil d’Etat a reconnu la légitimité de l’application du « cordon sanitaire médiatique » par la RTBF (2 et 3).

Contrairement aux engagements pris par les partis politiques pour maintenir l’extrême droite à l’écart du pouvoir, « le cordon sanitaire médiatique à ses débuts est une pratique autorégulatoire, appliquée volontairement par la RTBF dans un premier temps, ensuite par l’ensemble des médias francophones, souligne de Coorebyter. Cet accord n’a aucune portée juridique ; il s’agit uniquement d’un engagement moral. »

Après la vague brune, les médias s’interrogent sur leur responsabilité dans la victoire de l’extrême droite et les moyens pour contribuer à l’endiguer

Un cordon légal pour les radios et télévisions francophones

Une dizaine d’années plus tard, en novembre 2011, le Collège d’avis du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), l’autorité administrative indépendante chargée de la régulation des médias audiovisuels en Communauté française, sort sa première version du règlement interdisant l’invitation de l’extrême droite à des émissions, débats ou interviews en période électorale. Les règlements édictés par le CSA sont obligatoires : dès ce moment, donc, le cordon sanitaire médiatique acquiert un statut légal. Ce texte a été modifié à deux reprises depuis 2011 et, désormais, il ne vise plus uniquement les partis d’extrême droite mais, plus généralement, tous les partis et mouvements non démocratiques, et s’applique à l’ensemble des programmes diffusés par les médias, qu’ils soient liés ou non à une actualité électorale. « Cela ne signifie pas qu’il est interdit de parler des partis non démocratiques ou d’interviewer leurs représentants, mais bien qu’on ne peut leur donner la parole en direct, et que les thèses qu’ils défendent doivent être encadrées par un travail d’analyse, une mise en perspective journalistique », précise en substance Benjamin Biard (1).

Une particularité mondiale

Si le cordon sanitaire politique – le maintien à l’écart du pouvoir des formations antidémocratiques par les partis démocratiques – a été ou est encore appliqué, peu ou prou, dans certains pays d’Europe, « l’existence de deux cordons sanitaires – politique et médiatique – tels qu’appliqués en Belgique francophone est unique, souligne le CDJ (4). A l’échelle belgo-belge (ce double cordon ne vaut que du côté francophone : pas en Flandre – où existe le seul cordon sanitaire politique, ni en Communauté germanophone – où il n’est question d’aucun cordon, mais où l’extrême droite est inexistante), mais également dans le monde.

Certes, au départ, à la fin des années 1980, les médias néerlandophones observaient également, vaille que vaille, le maintien à l’écart de l’extrême droite de leurs plateaux de télé et des colonnes des journaux mais, dès 2004, suite au scrutin européen, régional et communautaire et l’ascension continue du Vlaams Blok, le cordon sanitaire médiatique a totalement volé en éclats.

Deux interprétations opposées du Pacte culturel

Rapidement, au gré de la croissance du Vlaams Blok, celui-ci a imposé la présence de ses représentants dans les conseils d’administration de l’actuelle VRT, des universités et institutions culturelles flamandes :représentants que les médias flamands ont très vite été contraints d’inviter, sur leurs plateaux, à leurs micros et dans leurs colonnes.

Pourtant, en vertu du Pacte culturel, une telle situation aurait pu être évitée. Rappelons que le Pacte culturel, un accord politique signé le 24 février 1972, repose sur deux grands principes : la protection des minorités, d’une part (principe de non-discrimination), et la participation de toutes les tendances et de tous les acteurs culturels à l’élaboration et à la gestion de la politique culturelle, de l’autre. « Le Pacte, ou plutôt la loi qui l’organise (2) contient une importante disposition, née du souci de ne pas permettre aux partis liberticides ou aux groupements antidémocratiques de bénéficier des protections accordées par le Pacte », relève Vincent de Coorebyter. Cette disposition précise que les différentes tendances idéologiques et philosophiques doivent être associées à l’élaboration et la mise en œuvre de la politique culturelle, mais ‘‘pour autant qu’elles acceptent les principes et les règles de la démocratie et s’y conforment’’. Le Pacte permet donc, clairement, de priver de ses bénéfices un parti ou une organisation qui rejetterait les principes de la démocratie. » Les termes sont bien ceux-là : le Pacte permet d’exclure de ses bénéfices les partis antidémocratiques ; il ne l’impose pas… Aux différents niveaux de pouvoir francophones, les partis d’extrême droite sont toujours écartés du bénéfice du Pacte culturel ; l’article 3 de la loi (2) qui l’organise est systématiquement appliqué. Sans surprise, il en va tout autrement au Nord, où le Vlaams Belang n’a jamais été systématiquement privé – loin s’en faut – des largesses du Pacte culturel, et ce au nom du principe de représentation de toutes les tendances philosophiques et politiques, contenu dans le même Pacte culturel… Les interprétations diamétralement opposées qu’ont les deux principales Communautés du pays illustrent, si besoin en était encore, le fossé qui les sépare.

Pas de cordon pour la Flandre

Rien d’étonnant donc si, au contraire du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), régulateur des télés et radios francophones, le Vlaamse Regulator voor de Media (VRM, gendarme de l’audiovisuel néerlandophone) ne prévoit aucune raison d’exclure l’extrême droite des plateaux tv ou des ondes radios. Ce qui ne veut pas dire que le VB bénéficie exactement de la même couverture médiatique que celle réservée aux formations démocratiques. En fonction de la ligne éditoriale du média, l’approche peut être plus négative, plus critique. Mais il est indéniable qu’au fil du temps, le parti d’extrême droite et ses lieutenants ont acquis un vrai droit de cité dans les médias flamands. Et, pire encore, que l’on peine parfois à faire la différence entre les propos tenus par des représentants de partis dits « démocratiques » et ceux de l’extrême droite…

(1) « La lutte contre l’extrême droite en Belgique- II. Cordon sanitaire et médiatique, société civile et services de renseignement », Benjamin Biard, in Courrier hebdomadaire du Crisp 2021/39 (n°2524-2525).

(2) Loi du 16 juillet 1973 garantissant la protection des tendances idéologiques et philosophiques, article 3 §1er. Lire à ce sujet « Le Pacte culturel », Vincent de Coorebyter, dossier du CRISP n°60, décembre 2003.

(3) Conseil d’Etat, section administration, arrêt n°80.787 du 9 juin 1999.

(4) « ‘‘La clause de responsabilité sociale et démocratique’’, 10 questions et un peu d’histoire pour comprendre le ‘‘cordon sanitaire médiatique’’ », CDJ 7 juillet 2023.

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