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« Le meilleur rempart à la désinformation, c’est le journalisme de qualité ! »

Ricardo Gutiérrez, secrétaire général de la Fédération européenne des journalistes (FEJ), ne voue pas un amour fou au cordon sanitaire médiatique : il nous explique pourquoi.

Ricardo Gutiérrez, président de la FEJ : « En tant que journaliste, on doit pouvoir se sentir libre d’aborder absolument tous les sujets. »
Ricardo Gutiérrez, président de la FEJ : « En tant que journaliste, on doit pouvoir se sentir libre d’aborder absolument tous les sujets. »

Ricardo Gutiérrez : Si ce qu’on entend par « cordon sanitaire médiatique » consiste, pour un journaliste, à s’interdire de parler de l’extrême droite, ou à passer sous silence les opinions des extrémistes et de la frange de l’opinion qui lui est favorable, alors je suis résolument contre.

En revanche, la loi condamne les propos racistes, xénophobes ou négationnistes, et qui incitent à la haine. Le Conseil de déontologie journalistique (CDJ) précise, dans le Code de déontologie, que le journaliste ne peut diffuser d’informations attentatoires à la dignité humaine, qu’il doit éviter les stéréotypes et s’interdire toute incitation même indirecte à la discrimination, etc.Pas question, donc, pour un journaliste, de laisser passer des propos haineux, même tenus par d’autres, sans les « encadrer ». Je suis bien sûr totalement en phase avec la loi et les prescrits déontologiques : pas besoin de cordon sanitaire médiatique pour cela. Mais n’en profitons pas pour sabrer dans la liberté d’expression, qui doit être absolue en-dehors de ce cadre. La Cour européenne des Droits de l’homme a clairement établi que cette liberté vaut aussi pour des opinions qui heurtent, choquent, inquiètent.

Certains interprètent le cordon sanitaire médiatique comme une interdiction de parler de l’extrême droite, et c’est problématique. Le CDJ ne parle d’ailleurs pas de « cordon médiatique », mais bien de « responsabilité sociale du journaliste ». : je préfère cette notion-là. Mais je suis quand même mitigé, parce qu’en vertu de cette « responsabilité sociale », le CDJ délivre une injonction négative : il faut éviter de donner la parole en direct. Du coup, par crainte ou par facilité, certains journalistes font carrément l’impasse sur les propos et les opinions des extrémistes, voire sur l’existence même de l’extrême droite : ils s’autolimitent. Cette attitude est tout à fait anti-journalistique. Le journaliste doit rendre compte de tous les courants d’opinion, du positionnement de tous les partis. Causer avec les représentants de l’extrême droite, puis rendre compte de leurs propos en leur opposant une analyse approfondie, argumentée, basée sur les faits, ça c’est du journalisme. Mais cela demande des connaissances, du temps, de l’énergie, bref, des moyens : et c’est justement ce dont manquent parfois cruellement les journalistes…

Inviter des représentants de l’extrême droite sur un plateau télé, même en direct, et que 20 journalistes se consacrent à fact-checker, à vérifier, à démentir leurs propos, voilà qui serait utile aux téléspectateurs ! Respecter le droit du public à être informé correctement et à connaître la vérité : c’est cela, l’essence de notre job. Cela n’a rien à voir avec le positionnement de ces médias, tel CNews, qui offrent une tribune permanente à l’extrême droite !

En tant que journaliste, on doit pouvoir se sentir libre d’aborder absolument tous les sujets. Mais il faut évidemment avoir les moyens de bien le faire.
Quand un média se dit « N’invitons pas des extrémistes qui peuvent déborder », c’est une forme de capitulation. Un processus d’évitement par lequel le journalisme renonce à assumer son rôle. Parfois, je ne suis pas loin de penser que le « cordon sanitaire médiatique » arrange bien les entreprises des médias : ça les dispense d’investir davantage dans les moyens humains.

Le meilleur rempart à la désinformation et à la propagande, c’est le journalisme de qualité.

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