dossier élections 2024

A. Laaouej (PS) : « Fournir 300 euros nets par mois en plus aux travailleurs »

Pour le président de la Fédération bruxelloise du PS, la priorité pour la prochaine législature fédérale est une réforme fiscale qui augmente significativement les revenus des travailleurs à bas et moyens salaires.

Ahmed Laaouej est aujourd’hui président de la Fédération bruxelloise du PS.
Ahmed Laaouej est aujourd’hui président de la Fédération bruxelloise du PS.

Juriste, spécialisé en droit économique et fiscal, Ahmed Laaouej a commencé sa carrière au ministère des Finances et notamment à l’Inspection spéciale des impôts (ISI). Chef de groupe PS à la Chambre depuis 2017 et bourgmestre de Koekelberg depuis 2018, il est aujourd’hui président de la Fédération bruxelloise du PS et candidat en tête de liste aux prochaines élections régionales. Expert en matière fiscale et budgétaire, nous lui avons demandé d’esquisser un bilan de la législature qui s’achève et des priorités du PS. Nous l’avons également interrogé sur les futures majorités possibles.

Ahmed Laaouej défend le bilan du PS au sein de la majorité Vivaldi ainsi qu’une ambitieuse augmentation des revenus des travailleurs à bas et moyens salaires, dont il estime le coût à six milliards d’euros. Tout en ne cachant pas qu’au vu du contexte budgétaire et des possibles partenaires gouvernementaux, l’obtenir « Ce sera le combat » de cette mandature. Tranchant vis-à-vis du MR, la tête de liste régionale socialiste n’est pas plus tendre pour le PTB : « Si, demain, on a un gouvernement dirigé par la droite en région bruxelloise, les responsables en seront fondamentalement les gens du PTB ».

Ahmed Laaouej à la Marche pour le climat, 10 octobre 2021.
Ahmed Laaouej à la Marche pour le climat, 10 octobre 2021.

Ensemble ! : En tant que spécialiste des matières fiscales et budgétaires, que retenez-vous du bilan de la législature qui se termine ?

Ahmed Laaouej : Cette législature a été fortement marquée par la gestion de la crise du Covid. Celle-ci a, tout d’abord, remis en lumière l’importance de notre système de soins de santé, tant celle de la première ligne que celle des capacités hospitalières. Ce fut un démenti patent de tous ceux qui dénigrent notre modèle de gestion, de financement et d’organisation publique des soins de santé. Cela a rappelé l’importance de la Sécurité sociale ainsi que d’un système de soins de santé suffisamment efficace, distribué et suffisamment doté. Il faut s’en souvenir à l’heure où un certain nombre de forces du marché, relayées par les partis de droite, regardent avec avidité le secteur des soins de santé, qu’elles souhaitent privatiser, comme c’est le cas dans d’autres pays. L’épidémie a également révélé des fragilités de notre système. Assez rapidement, nous avons été confrontés à une capacité insuffisante de nos hôpitaux en termes d’accueil en soins intensifs. Cela appelle des réformes qui renforcent non seulement la médecine de première ligne mais également les services d’urgence hospitaliers. Enfin, l’épidémie a mis nos finances publiques à rude épreuve. Les pouvoirs publics ont soutenu différents acteurs (les travailleurs, les allocataires, les entreprises ainsi que le secteur associatif), qui subissaient de plein fouet les conséquences de la crise sanitaire à travers les fermetures d’entreprises, la mise à l’arrêt de secteurs entiers, le chômage…

« L’État a injecté plus de 30 milliards d’euros pour que notre système économique et social ne s’effondre pas »

L’État a injecté plus de trente milliards d’euros pour faire en sorte que notre système économique et social ne s’effondre pas, tandis que le ralentissement de l’économie générait une diminution des recettes fiscales et parafiscales. Le résultat a été un creusement du déficit public et de l’endettement de l’État. Certains, à droite, voudraient aujourd’hui profiter de ce déficit pour imposer, lors de la prochaine législature, leur vision et leur politique d’austérité et de coupes budgétaires. C’est donc un enjeu politique majeur de rappeler d’où provient ce déficit. Si l’État n’était pas intervenu comme il l’a fait, notre pays serait aujourd’hui un cimetière économique et social d’entreprises en faillite et de travailleurs précarisés. Les déficits publics actuels ne sont pas le fruit d’une « mauvaise gestion » de l’État mais de la crise du Covid, à laquelle s’est rajouté l’impact de la guerre en Ukraine qui a engendré une augmentation des prix de l’énergie et a nourri l’inflation ainsi que le ralentissement de l’économie. Je retiendrai en particulier de cette législature que c’est grâce à notre système public de soins de santé et à nos interventions publiques que nous avons réussi à surmonter la crise sanitaire à laquelle nous avons dû faire face, mieux que d’autres pays qui ont été moins interventionnistes.

Le PS va aux prochaines élections avec un programme socialement généreux, mais la Banque nationale appelle à mettre en place des politiques d’austérité budgétaire sous la prochaine législature. Les deux sont-ils compatibles ?

Ce sera le combat. Nous pensons qu’il faut refinancer les pouvoirs publics pour leur permettre d’opérer leur politique de redistribution, tant à travers la Sécurité sociale qu’à travers les services publics. Nous sommes favorables à un refinancement des pouvoirs publics et à une fiscalité juste, qui mette à contribution les profiteurs de crise ainsi que les grands patrimoines à travers un impôt de solidarité. Il faut taxer la spéculation et les plus-values, renforcer la lutte contre la grande fraude fiscale, par exemple contre les fondations qui permettent d’éluder certains droits de succession, au profit des familles les plus riches. La droite, au contraire, veut restreindre l’action des pouvoirs publics au nom de la soi-disant vertu du « laisser-faire » et du marché, lesquels ne servent en fait que des intérêts privés, qui espèrent tirer profit de privatisations de services publics ou de composantes de la Sécurité sociale.

« Un plus grand prélèvement sur les revenus du capital et financiers »

Sous la législature écoulée, où le PS a participé aux majorités en place aux différents niveaux de pouvoir, celles-ci se sont accordées sur des augmentations de dépenses publiques via un endettement, réalisé dans un contexte où les taux d’intérêt étaient au plancher, mais pas sur le volet des recettes fiscales…

En matière de recettes fiscales, il y a eu une avancée importante, avec l’introduction d’une taxe sur les comptes-titres, c’est-à-dire sur les grands patrimoines financiers au-delà d’un million d’euros. (Lire l’encadré) J’ai entendu les critiques du PTB à cet égard, mais après quarante ans d’existence on s’interroge toujours sur leur bilan, mis à part faire du blabla et vocaliser l’indignation sans aboutir à aucun résultat. La taxe sur les comptes-titres vise les patrimoines financiers. Même si certains s’organisent pour y échapper, cette taxe a eu, depuis son introduction, un rendement de plus d’un milliard d’euros. Ce n’est pas négligeable. A quoi il faut ajouter que l’on n’a pas touché, malgré les souhaits de certains, au précompte mobilier de 30 % sur les revenus financiers, qui rapporte environ quatre milliards d’euros. On a également supprimé le système des « intérêts notionnels ». Depuis que les socialistes participent au pouvoir au niveau fédéral, on a une mise à contribution des revenus du capital qui va crescendo et qui contribue également au financement de la Sécurité sociale, ce dont nous nous réjouissons. Sur le terrain de la lutte contre la fraude fiscale, il y a également eu des avancées. C’était un combat de plus de vingt ans pour le PS de rendre aux agents de l’Inspection spéciale des impôts (ISI) des pouvoirs d’officier de police judiciaire. C’est chose faite. On a renforcé la police fédérale en tirant les leçons de l’affaire SKY ECC. On a commencé à renforcer les parquets et les cadres de la magistrature, même si ce n’est pas encore suffisant. Il faudra continuer à marquer des avancées dans ces domaines, sachant qu’elles sont difficiles dans un contexte de coalition avec la droite.

Qu’est-ce que la taxe annuelle sur les comptes-titres ?

Un compte-titres est un compte qui permet de conserver et gérer des investissements (actions, obligations, bons de caisse ou fonds). Un tel compte est comparable à un compte bancaire classique : il dispose d’un numéro de compte que l’on peut souvent gérer via Internet ou via une application mobile, des extraits en sont créés et il est protégé par le fonds de protection. La différence avec les comptes à vue et d’épargne est qu’il peut être utilisé uniquement pour des investissements et non pour des opérations quotidiennes.

En vigueur depuis le 26 février 2021, la taxe annuelle sur les comptes-titres est une taxe due annuellement sur les comptes-titres lorsque la valeur moyenne des instruments financiers imposables détenus sur le compte est supérieure à un million d’euros au cours de la période de référence. La période de référence ordinaire est une période de douze mois consécutifs qui commence le 1er octobre et se termine le 30 septembre de l’année suivante. Tous les titulaires d’un compte-titres, tant les personnes physiques que les personnes morales (sociétés, fondations, ASBL), sont soumis à la taxe annuelle sur les comptes-titres. Le taux de la taxe annuelle est de 0,15 %.

Quelles sont les choses que vous souhaitez absolument réaliser sous la prochaine législature ?

Une vraie réforme fiscale. Nous devions la faire sous cette législature, mais la droite l’a bloquée, s’opposant à toute recette fiscale nouvelle. Nous sommes favorables à une diminution de l’impôt sur les revenus du travail, à commencer par les bas et moyens revenus, mais nous souhaitons que des recettes fiscales nouvelles compensent les pertes pour l’État. Nous voulons baisser l’impôt sur le travail en le finançant par un plus grand prélèvement sur les revenus du capital et financiers ainsi que, ce qui serait encore mieux, par un impôt sur les grands patrimoines. Le MR s’y oppose, il veut baisser les recettes fiscales sans compensation, ce qui aurait pour conséquence immédiate de mettre la pression sur le budget de l’État, les services publics, les soins de santé et la Sécurité sociale en général. Notre priorité pour la prochaine législature sera de baisser la fiscalité sur les revenus du travail pour permettre aux travailleurs d’avoir un gain net de trois cents euros par mois, en ciblant les bas et moyens revenus. Cela permettra de redonner de l’oxygène à ceux et celles qui sont aujourd’hui des travailleurs pauvres, qui travaillent mais ont du mal à boucler leurs fins de mois. Tout en considérant que la meilleure manière d’augmenter les revenus des travailleurs sont les augmentations salariales.

Globalement, combien coûterait cette augmentation de trois cents euros nets par mois, comment serait-elle financée et in fine qui la paierait ?

Fournir une augmentation de trois cents euros nets par mois aux bas et moyens salaires constitue un engagement essentiel du Parti socialiste envers les travailleurs. Le coût annuel de cette mesure est estimé à environ six milliards d’euros. Pour cette augmentation significative, nous avons proposé un modèle de financement qui repose sur une fiscalité plus équitable, notamment en renforçant la taxation des grandes fortunes et en globalisant les revenus. Cela inclut l’introduction d’un impôt progressif sur les patrimoines élevés, avec des taux allant de 0,40 % à 1,50 % selon les tranches de patrimoine au-delà de 1,25 million d’euros. Nous visons également à globaliser les revenus mobiliers, en appliquant des taux progressifs pour assurer que chaque euro issu des capitaux soit taxé de manière équitable comparativement aux revenus professionnels.

« Le coût annuel de cette mesure est estimé à environ 6 milliards d'euros »

Cette stratégie de financement signifie que les coûts de cette augmentation ne seront pas supportés par les travailleurs eux-mêmes, mais principalement par ceux qui sont dans les positions économiques les plus élevées. Les grandes fortunes et les revenus issus de capitaux contribueront ainsi de manière significative au bien-être général des travailleurs, leur permettant de vivre avec dignité et de faire face à l’inflation et aux autres défis économiques. Nous restons très attachés à notre objectif de renforcer la justice fiscale et de soutenir les ménages qui dépendent de leur travail pour leurs revenus, améliorant ainsi leur capacité économique et leur qualité de vie.

Toute une série de propositions du programme du PS sont ciblées sur les travailleurs à bas salaires : réductions de la fiscalité, complément de « revenu de dignité » à 115 % du seuil de risque de pauvreté, etc. Ce ciblage des aides ne risque-t-il pas de constituer une prime à l’emploi précaire et mal payé, qui exonère les patrons de leur responsabilité en matière salariale ?

On pourrait avoir le même raisonnement pour la baisse des impôts sur les salaires bas et moyens, en considérant que celle-ci n’encouragerait pas les employeurs à augmenter ces salaires bruts. Non, je pense qu’il faut faire les deux en même temps, augmenter les bas salaires bruts et diminuer la pression fiscale sur ceux-ci. Un État qui se veut moderne, solidaire et efficace se doit de soutenir les travailleurs. On ne peut pas considérer qu’il s’agit d’un effet d’aubaine pour les employeurs. En suivant ce raisonnement, on en viendrait à supprimer des aides ciblées sur les bas revenus. Par exemple, les bourses d’études, dont l’octroi est lié au niveau de revenu des parents. Devrait-on octroyer le même montant pour tout le monde ? Je ne le crois pas, la redistribution passe aussi par un ajustement du niveau des aides en fonction des niveaux de revenus des gens. Ce qui est aujourd’hui primordial, c’est de mettre fin à la situation des travailleurs pauvres, c’est-à-dire des personnes qui ont des difficultés à assumer leurs dépenses quotidiennes malgré le fait qu’elles travaillent.

Ahmed Laaouej : « Ce qui est aujourd’hui primordial, c’est de mettre fin à la situation des travailleurs pauvres ». Crédit : CC BY-NC-SA 2.0 Deed – PES Communication
Ahmed Laaouej : « Ce qui est aujourd’hui primordial, c’est de mettre fin à la situation des travailleurs pauvres ». Crédit : CC BY-NC-SA 2.0 Deed – PES Communication

La dernière édition du baromètre social bruxellois dresse un portait inquiétant de la région bruxelloise, avec un pourcentage de la population en situation de risque de pauvreté d’environ 30 %, contre 8 % en Flandre et 18 % en Wallonie. La région est-elle aujourd’hui en difficulté ? Risque-t-elle de l’être plus encore, notamment au vu de l’évolution de l’électorat flamand, en cas de nouvelles réformes institutionnelles ?

Il y a effectivement des risques de blocage préjudiciable du côté néerlandophone, qui sont liés à l’évolution de cet électorat. C’est un sujet d’inquiétude, mais l’élection n’est pas encore faite. La dynamique de campagne vient à peine de démarrer, il faudra voir si les sondages se confirment. A ce stade, il faut rester prudent. Il est vrai qu’il y a des lubies de certains partis politiques flamands qui veulent mettre la région bruxelloise sous tutelle et en faire une institution de second rang. Ce serait inacceptable pour les socialistes. Nous défendrons sans relâche la région bruxelloise en tant que région à part entière. Peut-il y avoir des réaménagements à l’intérieur des institutions régionales ? Sans doute, mais à condition que cela aille vers plus d’efficacité.

Par ailleurs, la région bruxelloise a effectivement des difficultés budgétaires, comme d’autres niveaux de pouvoir, alors qu’elle est défavorisée fiscalement par le fait que l’impôt sur les personnes physiques est payé selon le lieu de résidence et non de travail. La richesse est produite à Bruxelles, mais l’impôt des navetteurs est payé dans les autres régions. La crise Covid a également nui aux finances régionales en ralentissant certains secteurs économiques importants pour les recettes fiscales régionales, comme par exemple le secteur de la construction et de la rénovation. La région subit par ailleurs toujours les impacts du choc démographique qui l’a vu passer de 1.000.000 à 1.200.000 habitants. Une partie de ces nouveaux habitants sont des personnes en situation de précarité, ce qui renforce la dualité sociale. Nous payons à maints égards le prix de la carence des politiques fédérales menées en matière de migration et d’asile, qui a pour effet d’imposer à la région et aux communes l’ensemble de la prise en charge sociale de ces situations.

Au sortir des élections, une coalition gouvernementale qui serait ouverte au PTB-PVDA en région bruxelloise, cela vous paraît-il envisageable ?

Je pense que c’est un jeu de dupes. Le PTB fait semblant de vouloir mettre en œuvre des réformes, mais en vérité il ne veut assumer aucune responsabilité dans un gouvernement. Pour la façade, ils prétendent qu’ils sont intéressés par certaines majorités communales. Mais pour les élections régionales, ils sont clairs : si l’ensemble de leur programme n’est pas rencontré, voire même si certaines règles budgétaires n’évoluent pas au niveau européen, ça ne les intéresse pas de participer au niveau régional. Je crois que fondamentalement le PTB veut rester un groupe de pression, un pôle d’indignation, ce qui est peu compatible avec le fait d’assumer des responsabilités gouvernementales dans une situation difficile. Ils refusent de mettre les mains dans le cambouis, ce qui est très inquiétant pour nous, parce que cela signifie que chaque voix pour le PTB est une voix perdue pour la gauche responsable, celle qui assume. Cela renforce mécaniquement la droite. Si, demain, on a un gouvernement dirigé par la droite en région bruxelloise, les responsables en seront fondamentalement les gens du PTB.

Vous n’avez pas de tabou par rapport à une coalition régionale qui serait ouverte au PTB ?

C’est eux qui ont des tabous et même clairement une volonté de ne pas concourir pour une participation gouvernementale. Ça ne les intéresse pas. Ils peuvent raconter ce qu’ils veulent, ils seront aux abonnés absents au lendemain du 9 juin.

La N-VA dans le gouvernement régional bruxellois, c’est un danger ?

Pour en juger, nous attendrons le résultat des élections. Les institutions bruxelloises sont ainsi faites qu’une majorité doit être constituée dans chacun des deux groupes linguistiques régionaux pour former le gouvernement. C’est un vrai sujet d’inquiétude, mais il faut attendre que la campagne électorale se déroule et que l’on connaisse les résultats électoraux. J’observe que la N-VA est en train de perdre des plumes au Nord du pays, il faut voir si cette dynamique va également se marquer en région bruxelloise.

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