dossier élections 2024

P. Mertens (PTB) : « La population veut des avancées de base réalisables aujourd’hui »

Le secrétaire général du PTB évoque avec nous son dernier livre, mais aussi le positionnement de son parti, tiraillé entre la volonté de porter une véritable « rupture » politique et celle de répondre à des attentes immédiates.

P. Mertens : «  Un grand défi pour la gauche au niveau de l’Europe est de s’allier avec ces mouvements sociaux et les orienter vers la gauche ».
P. Mertens : «  Un grand défi pour la gauche au niveau de l’Europe est de s’allier avec ces mouvements sociaux et les orienter vers la gauche ».

Nous avons rencontré Peter Mertens, secrétaire général du PTB-PVDA, tout d’abord pour aborder son neuvième livre, « Mutinerie – comment le monde bascule » (Ed. Agone 2024). L’ouvrage, écrit en néerlandais, a été traduit en six langues. Il fait le pari d’essayer de mettre en lumière à la fois une série de modifications des rapports de force mondiaux (la montée en puissance de la Chine et des BRICS, la guerre avec la Russie…) mais pointe également, comme Jeremy Corbyn le relève, « les superprofits de multinationales lointaines, anonymes, établies dans les paradis fiscaux, qui constituent le véritable problème de ce monde », tout en les mettant en relation avec des situations d’exploitation et des mouvements sociaux qui se produisent aux quatre coins de la planète, que ce soit parmi du personnel soignant anglais, des métallos américains ou des paysans indiens. L’auteur fait le pari de l’envie des lecteurs et des lectrices de découvrir un autre regard sur le monde que celui qui prévaut dans la plupart des médias. Où peut-on lire, si ce n’est dans ces pages, l’info qu’en août 2023, selon Eurostat, « plus d’une personne sur dix en Allemagne n’avait pas les moyens de consommer un repas nourrissant au moins quotidiennement » ?

Pour Peter Mertens, la réflexion politique n’est pas séparée de l’engagement. Ex-président du PTB-PVDA, il est également conseiller communal à Anvers et a été élu à la Chambre dans sa circonscription, avec plus de 45.000 voix de préférence, mandat auquel il se représente en juin. Nous l’avons donc également interrogé sur le sens du « choix de la rupture » que le PTB-PVDA dit vouloir porter au niveau politique dans cette campagne électorale. Là où il y a vingt ans le PTB aurait cité Marx et Lénine, son secrétaire général fait aujourd’hui des appels du pied aux «  forces politiques keynésiennes qui défendent des politiques de la demande et d’investissement dans les services publics, qui veulent démocratiser l’économie et s’appuyer sur les mouvements sociaux ». Mais jusqu’où va cette volonté de s’insérer dans des coalitions de gauche avec des partis moins orientés vers la rupture? La volonté d’entrée dans des majorités communales en octobre est clairement affichée, notamment à Anvers, où une coalition PVDA-Vooruit-Groen pourrait réunir 44 % des suffrages, dit-il. C’est-à-dire qu’elle pourrait être en position de détrôner Bart De Wever. L’ambition de rentrer dans des majorités au niveau régional semble à ce stade moins affirmée, même si la porte ne paraît pas fermée.

« De plus en plus de colonels et d’experts militaires envahissent les plateaux de télévision »

Le responsable du PTB-PDVA est par ailleurs bien conscient des difficultés qui risquent de suivre les élections, notamment en région bruxelloise : « On n’échappera pas à un débat institutionnel après les élections de juin », relève-t-il, indiquant notamment que De Wever veut « rentrer dans le gouvernement bruxellois comme le ver dans la pomme » pour « paralyser la région de l’intérieur tant au niveau politique, économique que culturel ». Plus globalement, Peter Mertens met les démocrates en garde contre la conséquence prévisible de la poursuite des politiques main stream : « adopter un nouvel ensemble de politiques d’austérité et foncer en avant dans la militarisation de l’Europe créera un terrain encore plus propice au succès de l’extrême droite ».

Peut-on voir « Mutinerie » comme un ensemble de clés de compréhension des basculements du monde qui sont le contexte du déclenchement de la guerre en Ukraine ?

Le but et sous-titre du livre est de comprendre « comment le monde bascule » aujourd’hui. Il y a plusieurs points de bascule que l’on peut repérer, l’un est l’émergence des BRICS (Lire ci-dessous), l’autre est le déclenchement de la guerre en Ukraine. Au niveau international, la majorité des pays ont à juste titre condamné la guerre d’agression déclenchée par la Russie. Mais Washington a dû constater qu’une partie de ces pays n’ont pas accepté de suivre sa politique de sanctions économiques contre la Russie. Cela a été qualifié par Fiona Hill, ancienne collaboratrice du National Security Council des USA, de « mutinerie du Sud global contre l’Occident collectif ». C’est de là que vient le titre du livre. De nombreux pays du Sud ne suivent plus les directives des USA, on le voit également par rapport à la guerre que mène Israël à Gaza. A ce niveau Israël et les États-Unis sont de plus en plus isolés au sein de l’ONU.

La guerre d’agression déclenchée par la Russie en Ukraine demande de prendre du recul pour être comprise d’une façon qui ne soit pas réductrice. J’essaie d’apporter des éléments d’intelligibilité à ce sujet dans mon livre en revenant sur l’histoire récente de la Russie, où je repère trois phases. Celle des privatisations sauvages qui a commencé en 1991, immédiatement après la chute du système soviétique, qui a été particulièrement violente, entraînant une baisse spectaculaire de l’espérance de vie en Russie. Il y a eu ensuite, à partir de 2000, une phase de remise en marche de l’appareil d’État avec l’arrivée au pouvoir de Poutine, qui a recadré les oligarques et stabilisé la société. Ce qui lui a valu à l’époque le soutien de l’Occident.

Le neuvième livre de Peter Mertens, écrit en néerlandais, a été traduit en six langues.
Le neuvième livre de Peter Mertens, écrit en néerlandais, a été traduit en six langues.

Une troisième phase a été ouverte en 2008 avec le Sommet de Bucarest, où pour la première fois les pays de l’OTAN ont ouvertement déclaré qu’ils souhaitaient que la Géorgie et l’Ukraine rejoignent cette structure militaire. Ils savaient très bien qu’après la chute du Mur de Berlin ils avaient promis à la Russie que l’OTAN ne s’étendrait pas jusqu’à ses frontières et donc qu’ils franchissaient une « ligne rouge » pour Moscou en faisant cette déclaration, mais ils ont sont passés outre cette promesse. En 2014, il y a eu une proposition d’intégrer économiquement l’Ukraine avec l’Union européenne (UE), que le président ukrainien de l’époque, qui voulait maintenir une relation équilibrée de son pays à la fois avec la Russie et l’UE, n’a pas voulu signer. Ce refus a donné lieu aux protestations du Maïdan contre le président, qui a été renversé, puis à des protestations en sens inverse dans la région du Dombas, qui ont été militairement réprimées. Ça a été le début d’une guerre civile en Ukraine, qui avait déjà fait 14.000 morts en 2022. Des accords ont été conclus à Minsk pour tenter d’apaiser le conflit, mais ils n’ont finalement été respectés par aucune des parties. La voie a ainsi été ouverte pour la marche vers une guerre avec une puissance nucléaire dangereuse. Rien ne justifie une guerre d’agression et c’est également valable dans ce cas-ci. La Russie devra retirer ses troupes de l’Ukraine, mais il faut ouvrir le débat et comprendre le contexte de cette guerre si l’on veut s’en sortir et stopper l’escalade militaire.

Le contexte de cette guerre, qui permet à la Russie de supporter les sanctions économiques occidentales, c’est un autre basculement du monde qui est en cours au niveau économique…

Les sanctions européennes ont fermé les robinets des pipe-lines de gaz entre l’UE et la Russie, ce qui a eu pour conséquence de faire rentrer l’Allemagne dans une récession économique, son industrie étant dépendante du gaz russe à bas prix. Les États-Unis sont les grands gagnants de cette opération puisque désormais l’Allemagne et l’UE doivent importer du gaz de schiste américain pour faire tourner leur industrie, bien que celui-ci soit plus cher, plus polluant et beaucoup plus néfaste pour le climat. L’UE est la grande perdante de cette guerre tandis que la Russie s’en sort économiquement assez bien. Ils ont réorienté vers l’Inde la vente de leur gaz et ont trouvé en Chine les approvisionnements nécessaires en produits manufacturés.

Pour le PTB-PVDA, la guerre en Ukraine est-elle une question politique importante également en Belgique ? Pensez-vous qu’il y a un risque sérieux d’embrasement du conflit ?

La guerre, c’est la pire des choses. Le durcissement d’une guerre avec une puissance nucléaire n’est pas à prendre à la légère. Dans l’immédiat, il y a le danger d’une militarisation de l’économie, qui est engagée au niveau de l’UE. Cela signifie une augmentation des budgets militaires qui pourrait représenter chaque année cinq milliards d’euros pour la Belgique. L’UE veut parallèlement imposer quatre milliards de réduction du déficit budgétaire belge. Si cela se met en place, les victimes seront les services publics : ça signifie moins d’argent pour les bâtiments des écoles, pour les logements sociaux, pour les transports publics… au moment même où l’on devrait réaliser des investissements publics massifs pour réaliser la transition écologique. La militarisation des esprits est également un sujet d’inquiétude. Macron propose d’envoyer des troupes militaires françaises, c’est-à-dire des fils d’ouvriers et des milieux populaires, combattre sur le sol ukrainien. Si on s’engage dans cette voie-là, on marche comme des somnambules droit vers une troisième guerre mondiale. Il y a des forces qui préparent les esprits en ce sens : de plus en plus de colonels et « d’experts militaires » envahissent les plateaux de télévision.

P. Mertens :« Nous pensons qu’il faut refuser cette austérité programmée. Ce n’est pas, à ce stade, le cas des socialistes et des écologistes. »
P. Mertens :« Nous pensons qu’il faut refuser cette austérité programmée. Ce n’est pas, à ce stade, le cas des socialistes et des écologistes. »

Votre livre attire également l’attention sur la montée en puissance de la Chine…

Après la chute de l’Union soviétique en 1991, beaucoup ont cru que le monde serait désormais unipolaire, avec les États-Unis comme seule superpuissance, et que ceux-ci pourraient régir seuls l’ordre du monde avec leurs alliés. Mais, progressivement, de plus en plus de pays contestent cette domination. Après la crise financière de 2008, plusieurs pays du « Sud global », les BRIC (c’est-à-dire le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine), ont commencé à développer des liens économiques entre eux, indépendamment de la tutelle des USA. Ils ont notamment été rejoints par l’Afrique du Sud (devenant ainsi les « BRICS ») et ont commencé à développer leurs échanges économiques, l’utilisation de leurs propres monnaies plutôt que le dollar pour régler leurs échanges. Ils ont aussi créé une banque de développement pour financer leurs projets. En mai 2023, il s’est produit une révolution silencieuse dont beaucoup d’Européens n’ont pas encore pris conscience ou dont ils ne mesurent pas la portée. Pour la première fois depuis plusieurs siècles, la part des pays des BRICS dans le Produit intérieur brut (PIB) mondial a dépassé la part des pays du G7 (États-Unis, Japon, Allemagne, Royaume-Uni, France, Canada, Italie). C’est une évolution économique et politique fondamentale qui rend Washington et ses alliés nerveux. Il s’agit non seulement d’une montée en puissance de la Chine mais aussi de l’Inde, qui va devenir la troisième puissance économique mondiale.

Vous utilisez le terme de « mutinerie » à la fois pour décrire des mouvements sociaux revendicatifs et pour désigner des tensions entre des États, alors qu’il y a vingt ans vous auriez sans doute parlé de « révolutions » et de « contradictions interimpérialistes ». Vous citez désormais plus volontiers le FMI que Lénine. C’est seulement un changement de forme ou aussi de fond ?

Il s’agit avant tout d’essayer de comprendre et de mettre des mots sur la situation actuelle. L’idée de mutinerie s’applique à différents niveaux de cette réalité et tout d’abord à tous ceux qui disent non à l’ordre établi. Toutes ces « mutineries » actuelles ne vont pas uniquement vers la gauche et ne sont pas mues par ce que l’on aurait hier désigné comme une « conscience socialiste » ou une « conscience anti-impérialiste ». Il s’agit de désigner les mouvements actuels tels qu’ils sont, avec leurs aspects progressistes mais aussi leurs limites, sans se méprendre par rapport à ceux-ci.

Dans votre livre, vous évoquez de nombreux mouvements sociaux, notamment aux États-Unis, au Royaume-Uni ou en Inde, mais on n’en voit pas vraiment la traduction politique. Corbyn et Sanders qui ont un temps incarné des espoirs de « gauche authentique » au niveau politique ont été marginalisés. Syriza a viré à droite…

En effet, les mutineries actuelles sont des actes de résistance qui restent à ce stade assez confus. Il y a récemment eu de grands mouvements sociaux de protestation dans des pays européens. En 2022, il y a eu au Royaume-Uni un « été du mécontentement » où l’on a enregistré plus de gréves qu’à l’époque de Thatcher, dans les années 80. En 2023, il y a eu plus de journées de grève en France, contre la réforme des retraites, qu’il n’y en avait eu en 1968. Il y a des résistances, mais le grand problème est qu’elles n’ont pas de traduction politique pour le moment. C’est un grand défi pour la gauche au niveau de l’Europe : se reconstruire, s’allier avec ces mouvements sociaux et les orienter vers la gauche. Si on ne politise pas ces mouvements dans un sens démocratique, écologique et social, les mêmes personnes qui font les grèves finiront par voter pour Le Pen, tout comme les grévistes anglais avaient précédemment été captés par le mouvement en faveur du Brexit.

Les sondages préélectoraux prévoient non seulement une nette progression du PTB-PVDA partout en Belgique mais également une forte poussée du Vlaams Belang en Flandre. Estimez-vous que l’extrême droite est aujourd’hui un vrai danger pour la Belgique ? Faites-vous une différence de nature entre le Vlaams Belang et la N-VA ?

Pour nous, il y a effectivement une différence de nature, qualitative, entre le Vlaams Belang et tous les autres partis. Celui-ci n’est pas un simple mouvement populiste de droite. C’est un parti, énorme et très bien organisé, qui historiquement est né dans la mouvance nazie et s’est développé sur cette base. Ces dernières années, ils ont repris les idées de la Nouvelle Droite et ont suivi les conseils que Steve Banon (proche de Donald Trump) leur a donnés, tout comme l’a fait, en France, Marine Le Pen ou Meloni en Italie. C’est-à-dire qu’ils se sont positionnés d’une façon soi-disant plus progressiste sur certains enjeux sociaux, comme par exemple sur la défense des pensions. Alors qu’historiquement ils étaient opposés aux grèves et aux revendications sociales, ils font maintenant semblant d’être un parti populaire… même si leurs députés continuent à voter contre l’augmentation du salaire minimum, pour le blocage salarial, etc. Nous considérons que le Vlaams Belang est un danger sérieux et nous soutenons à 100 % le cordon sanitaire politique vis-à-vis de celui-ci.

Nous pensons néanmoins que toutes les personnes qui votent pour ce parti ne sont pas d’extrême droite. Beaucoup d’entre elles émettent un vote de protestation sur une base confuse et il est possible pour nous de rallier leur suffrage sur une base progressiste. C’est une bataille que nous menons depuis des années, par exemple pour le ralliement des dockers anversois. Il y a une énorme déception populaire par rapport aux partis politiques traditionnels. Après les élections de juin, le VB sera la plus grande force politique en Flandre, tout comme c’est désormais le cas pour le parti de Geert Wilders aux Pays-Bas et comme cela pourrait le devenir pour celui de Marine Le Pen en France. Mais les quatre derniers sondages électoraux prévoient que nous doublions notre nombre de voix en Flandre. Cette augmentation provient en partie d’anciens électeurs du VB. Nous sommes le parti vers lequel s’orientent le plus les électeurs qui abandonnent le vote pour le Belang. D’anciens électeurs du VB perçoivent notre différence et notre présence sur le terrain.

C’est une tendance à l’échelle de l’Europe : ce monde en crise engendre le succès de l’extrême droite. Il faut selon nous développer des stratégies pertinentes pour vaincre ce monstre, celles-ci passent par des politiques de rupture avec l’austérité et qui répondent aux besoins des populations. Adopter un nouvel ensemble de politiques d’austérité et foncer en avant dans la militarisation de l’Europe créera un terrain encore plus propice au succès de l’extrême droite. Contrairement au Belang, la N-VA n’est pas un parti fasciste, mais pour la Flandre elle a une grande responsabilité dans l’essor actuel du Belang. Elle n’est en rien un « barrage » par rapport à celle-ci. Tant au niveau des politiques que De Wever a soutenues que des idées qu’il a mises en avant, il a de facto préparé ses électeurs à franchir le pas vers l’extrême droite. Par ailleurs, il est manifeste qu’en Flandre Vooruit veut absolument monter dans la prochaine coalition gouvernementale régionale flamande avec la N-VA… mais si c’est pour mener la même politique que celle qu’on a connue ces quinze dernières années, ça ne fera que préparer une plus grande victoire du Vlaams Belang aux élections suivantes. Au niveau communal à Anvers, les derniers sondages donneraient un score de 44 % à une coalition PVDA-Vooruit-Groen, qui pourrait encore être élargie si le CD&V s’y ralliait. La mise sur pied d’une telle coalition éjecterait De Wever de l’hôtel de Ville d’Anvers, ce qui marquerait une véritable rupture. C’est un scénario qui pourrait être possible et qui ouvrirait des perspectives pour faire reculer le Belang.

La mise sur pied d’un gouvernement flamand VB – N-VA vous paraît-elle réellement possible ?

Selon les sondages actuels, le VB et la N-VA auraient mathématiquement la possibilité de former une majorité gouvernementale en Flandre après les élections. C’est une possibilité que l’on n’exclut pas. Je crois cependant que ce n’est pas avec la N-VA actuelle qu’il y peut y avoir la formation d’une coalition gouvernementale avec le Vlaams Belang. Si ça se passe, il est probable qu’il y aura une scission dans la N-VA. Il y a une tendance de celle-ci, de droite dure, comme par exemple Théo Francken, qui y est vraiment favorable. Mais il y en a une autre qui s’y oppose. La N-VA a attiré à elle d’anciens électeurs du CD&V et du VLD, qui ne sont pas prêts à soutenir une coalition avec le Belang. Mais, si on évite une telle coalition au niveau régional flamand en 2024, il faudra néanmoins qu’il y ait des changements politiques significatifs qui interviennent si on veut éviter qu’elle ne voie le jour en 2029. Le discours de la N-VA est que ce que la Flandre gère elle-même, elle le fait mieux. Mais le bilan du gouvernement flamand est mauvais. Au niveau du logement social, il y a une pénurie de logements partout et les rénovations ne sont pas faites. Les politiques régionales flamandes en matière de soins de santé ou de mobilité sont désastreuses. Trois mille arrêts de bus sont supprimés. Le gouvernement régional flamand a mené une politique d’austérité avec un mépris total pour la population et la colère monte. On est arrivé à un point de bascule en Flandre, comme ailleurs en Europe. Où sont aujourd’hui les forces politiques keynésiennes qui défendent des politiques de la demande et d’investissement dans les services publics, qui veulent démocratiser l’économie et s’appuyer sur les mouvements sociaux ? On en a besoin si on veut contrer efficacement l’extrême droite.

P. Mertens :« On ne va pas monter dans un gouvernement pour appliquer les mêmes politiques que les gouvernements précédents »
P. Mertens :« On ne va pas monter dans un gouvernement pour appliquer les mêmes politiques que les gouvernements précédents »

« Le choix de la rupture », c’est votre slogan pour cette campagne électorale. Quelle rupture visez-vous et comment proposez-vous de la mettre en œuvre ?

Nous défendons un programme qui veut opérer une rupture avec les politiques d’austérité et de capitulation devant le capital monopoliste. Nous voulons une fiscalité juste, qui taxe réellement les millionnaires et les milliardaires. La coalition Vivaldi avait annoncé une grande réforme fiscale, mais elle n’a pas été au rendez-vous. Tout au contraire, elle a relevé la TVA et les accises sur l’énergie. Il en est de même au niveau du pouvoir d’achat. En 2022, comme je l’ai décrit dans mon livre, la poignée de grandes multinationales céréalières qui contrôlent le marché du blé au niveau mondial, comme Cargill, a profité de la crise ukrainienne pour faire artificiellement flamber le cours du blé pour s’enrichir sur le dos des consommateurs. Cette même année, les cinq multinationales qui contrôlent le marché pétrolier ont profité de cette crise pour réaliser des profits historiques de plus de 200 milliards d’euros pendant que les gouvernements abandonnaient les citoyens face à l’explosion de leurs factures d’énergie et recommandaient de porter des pulls supplémentaires. Il faut confronter ces acteurs monopolistiques et leur ôter ce pouvoir. Au niveau social, quand le PS avait indiqué qu’un retour sur la décision de porter l’âge de la pension légale de 65 ans à 67 ans serait une de ses lignes rouges pour une participation gouvernementale, il avait suscité un espoir pour les travailleurs et pour les organisations syndicales. Mais force est de constater que rien n’a abouti sous cette législature. Il faut rompre avec cette logique. C’est possible : la Suisse vient d’organiser un référendum sur le fait de repousser l’âge de la pension de 65 à 66 ans. Résultat : 72 % des Suisses ont voté contre. Le corps des travailleurs et des travailleuses dit « stop ». Par rapport au retour, au niveau européen, de l’imposition d’un carcan budgétaire, j’ai interpellé le Premier ministre à la Chambre et lui ai demandé comment se positionnait à ce sujet son gouvernement au sein du Conseil européen. Il m’a confirmé que la Belgique avait voté en faveur de ces mesures. Ce qui signifie concrètement imposer une réduction de déficit budgétaire de quatre milliards chaque année pendant sept ans. Nous pensons qu’il faut refuser cette austérité programmée. Ce n’est pas, à ce stade, le cas des socialistes et des écologistes.

Selon les sondages, des coalitions gouvernementales entre le PTB, les écologistes et les socialistes pourraient mathématiquement être envisageables après les élections en région bruxelloise et en Wallonie, où vous êtes crédités d’un résultat important. Ce n’est pas le cas à l’échelon fédéral. Or quasi tous les points de rupture que vous avez cités (pensions, fiscalité…) se décident au niveau du fédéral. Le PTB est-il prêt, en 2024, à assumer une participation à un niveau régional sans participation au niveau fédéral ? Si oui, quels seraient vos « points de rupture » minimaux qui devraient être rencontrés pour rentrer dans un gouvernement régional ?

La question est pertinente. Au niveau fédéral nos points de rupture sont clairs : la pension à 65 ans, la taxe des millionnaires, des budgets publics qui permettent d’investir dans les transports en commun, dans les logements sociaux, les soins de santé, etc. Nous sommes persuadés qu’en Belgique, en Flandre ou en Europe il y a une majorité de la population qui est prête à soutenir ce type de revendications, qui ont une base sociale largement majoritaire. Croire que les Flamands ont envie de bosser jusqu’à 67 ans, ce n’est pas la réalité. Nous pensons que la balle est dans le camp des familles socialistes et écologistes.

Mais, au-delà d’une série de mesures de rupture, nous voulons aussi aux différents niveaux de pouvoir une rupture dans la philosophie de l’action politique. Est-ce que oui ou non les gouvernements vont travailler dans le cadre de l’austérité européenne ou vont-ils la refuser et la combattre ? Vont-ils lever le tabou de la taxation de la grande richesse ? Vont-ils appliquer le principe de pollueurs-payeurs aux entreprises qui sont à la source de la production des déchets ou vont-ils transférer toujours plus la facture des déchets aux citoyens ? Vont-ils drastiquement couper dans les privilèges politiques ou vont-ils continuer à voir la politique comme une soupe dans laquelle se servir sans réserve ? Vont-ils enthousiasmer la population pour la transition climatique à travers des mesures comme le droit à l’isolation ou les transports publics gratuits ou vont-ils l’en détourner à travers une politique d’écologie punitive ? Vont-ils laisser les clés des villes dans les mains de quelques grands promoteurs immobiliers ou vont-ils rendre à la population le pouvoir sur le développement de la ville ? Vont-ils baser la politique de l’emploi sur la création d’emplois de qualité ou sur la chasse aux chômeurs ? Nous voulons à tous les niveaux de pouvoir une rupture dans l’action politique qu’on ne peut résumer ici à quelques points de rupture. Le résultat exact des élections aura également de l’importance par rapport au niveau des revendications minimales que nous pourrons poser.

Vu les résultats politiques prévisibles en Flandre, malgré la progression du PTB-PVDA, si les écologistes et les socialistes conditionnaient leur participation à un gouvernement fédéral aux conditions minimales que vous avez citées, cela ne conduirait-il pas à l’impossibilité de former un gouvernement qui ait une majorité… ce qui apporterait de l’eau au moulin des forces qui veulent scinder la Belgique ?

Nous pensons qu’il faut faire un bilan au niveau des réformes de l’État, qui ont inutilement compliqué les choses. L’émiettement des compétences a démontré ses impacts négatifs en matière de politiques de santé, de l’énergie, de transport ou du climat. Nous sommes favorables à remettre au niveau fédéral un certain nombre de compétences actuellement régionalisées. Avec les difficultés qui émergeront pour former un gouvernement fédéral de plein exercice, on n’échappera pas à un débat institutionnel après les élections de juin. Depuis des années, nous dénonçons et combattons ouvertement le projet des indépendantistes flamands de conduire la Belgique dans une impasse pour montrer que « ça ne fonctionne plus » et imposer une scission. C’est de leur part une position largement rhétorique : ils n’ont aucune vision pour Bruxelles ou sur la position économique vis-à-vis de l’Allemagne…

Vous évoquez un manque de vision pour l’avenir de la région bruxelloise de la part des indépendantistes. Il semble que M. De Wever conditionne l’entrée de Vooruit dans le prochain gouvernement flamand au fait que ceux-ci imposent à leurs partenaires la présence de la N-VA dans le futur gouvernement bruxellois, ce qui affaiblirait celui-ci. Est-ce une manœuvre que vous percevez ?

M. De Wever veut paralyser de l’intérieur la région bruxelloise tant au niveau politique, économique que culturel. Bruxelles est une image de la Belgique, de sa complexité et de sa richesse humaine. Il veut rentrer dans le gouvernement bruxellois comme le ver dans la pomme. Nous défendons l’unité de la Belgique, ça ne nous laisse donc pas indifférents et on le prend en compte. Mais on va avancer nos points de rupture : on ne va pas monter dans un gouvernement à n’importe quel prix et pour appliquer la même politique que les gouvernements précédents.

Au-delà d’une participation au gouvernement, est-ce que faire barrage à la N-VA à Bruxelles est un enjeu pour vous ?

C’est un point important, qui fait partie de l’équilibre global. Tout comme le fait d’éviter l’entrée de l’extrême droite dans les gouvernements à tous les niveaux, ce qui est encore plus important.

On sent un plus grand enthousiasme du PTB-PVDA pour entrer, en 2024, dans des majorités au niveau communal qu’au niveau fédéral ou régional. Voulez-vous « bombarder le capitalisme » à partir des communes tout comme jadis Anseele disait vouloir le faire, avec « des patates et des tartines » à partir des coopératives socialistes ? Que pouvez-vous attendre de participations communales si vous n’êtes pas présents à d’autres niveaux de pouvoir ? Le socialisme à l’échelle municipale, est-ce réaliste ?

D’après notre perception, les gens font la différence entre la façon dont ils votent au niveau local et leur vote à d’autres niveaux. Ils savent que les compétences ne sont pas les mêmes. A une échelle modeste, cela fait douze ans que nous avons des expériences positives au niveau local à Zelzate et à Borgerhout. Nous pensons que nous allons faire un bon score dans ces communes et y reconduire une majorité avec Vooruit… si toutefois ce parti ne choisit pas d’y faire plutôt une alliance avec la N-VA, ce qui est malheureusement possible. A Anvers, qui est un enjeu politique majeur, il y a également une possibilité de ce type, totalement nouvelle. Nous n’imaginons pas que si nous avons une participation à Anvers, à Seraing, à La Louvière ou à Molenbeek, ce sera la mise en œuvre d’un projet socialiste. C’est n’est d’ailleurs pas ce qu’attend la population qui veut des avancées de base réalisables aujourd’hui : une administration réellement accessible, des logements sociaux, etc. Mais ça risque d’être compliqué…

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