dossier élections 2024

Combattre le chômage ou les chômeurs ?

La question de l’emploi révèle immédiatement un ordonnancement des partis selon un axe gauche-droite. Avec cependant, selon les sujets, parfois des surprises ou des nuances.

Un deuxième coup majeur à l’assurance chômage fut porté par le gouvernement formé en 2011 par Elio Di Rupo au point de faire notre couverture en octobre 2011 (n°72) et en avril 2012 (n°74).
Un deuxième coup majeur à l’assurance chômage fut porté par le gouvernement formé en 2011 par Elio Di Rupo au point de faire notre couverture en octobre 2011 (n°72) et en avril 2012 (n°74).

Les résultats le plus marquants des réponses des partis politiques se trouvent dans celles du MR et des Engagés. Ces deux partis proposent désormais de limiter à deux ans l’octroi des allocations de chômage, alors que dans les programmes qu’ils avaient présentés aux électeurs il y a cinq ans ils ne se ralliaient pas à cette mesure. Le MR est quant à lui également prêt à faire un pas significatif vers la N-VA et la FEB en proposant la régionalisation des allocations de chômage. Une mesure socialement catastrophique et suicidaire pour les Bruxellois et les Wallons.

Deux partis pour une limitation à deux ans du chômage

Tous les partis s’opposent à la régionalisation totale ou partielle des allocations de chômage sauf le MR qui propose une « responsabilisation financière des entités en matière d’emploi ». Celle-ci consisterait à pénaliser les régions qui n’atteindraient pas certains objectifs de remise à l’emploi. Entendons donc que les régions qui ont le plus de chômeurs et de difficultés à les remettre à l’emploi seraient financièrement pénalisées. Donner plus aux riches et moins à ceux qui ont le plus de problèmes, c’est apparemment la façon dont le parti libéral conçoit la solidarité bien comprise. Suivre la proposition du MR serait en outre mettre dangereusement le doigt dans l’engrenage confédéral et de la scission de la Sécurité sociale.

Sur la limitation dans le temps des allocations de chômage, le MR se prononce nettement pour une limitation à deux ans, avec une exception pour les plus âgés. Les Engagés partagent le même projet en rebaptisant les allocations de chômage « indemnités de transition pour perte d’emploi ». Les quatre autres partis s’opposent à cette limitation dans le temps.

Des sous-statuts pour la remise au travail ?

La question de l’opposition à la création de nouveaux sous-statuts pour la mise au travail des demandeurs d’emploi (« service communautaire », « basisbanen », « emplois garantis », etc.) donne lieu à un plus large éventail de réponses. L’opposition nette dans le chef du PTB et également pour DéFI, même si sa réponse est lapidaire. Le PS dit « s’opposer à toute forme de service communautaire ou de travail forcé », mais sans évoquer les basisbanen prônés par Vooruit, qui peuvent faire penser à leurs propositions de garantie d’emploi. Ecolo se dit favorable à des dispositifs pouvant « garantir un emploi de qualité à des personnes fortement éloignées de l’emploi, comme les territoires zéro chômeur de longue durée, (…) en insistant bien entendu sur le caractère volontaire et sur le fait qu’il s’agisse d’emplois (et non de sous-statuts) ». Ensemble ! a cependant montré (1) que ces objectifs n‘étaient pas du tout rencontrés par l’avant-projet de loi élaboré par le ministre Dermagne sous cette législature (approuvé au sein du gouvernement fédéral en première lecture puis in fine abandonné) qui disait vouloir transposer en Belgique le dispositif des « Territoires zéro chômeur de longue durée ».

Les Engagés disent eux aussi s’inspirer du modèle français de « territoires zéro chômeur » mais en précisant qu’« en cas de refus de la part du demandeur d’emploi, celui-ci perdrait ses allocations de chômage », ce qui indique bien l’absence de caractère volontaire. En outre, ils précisent : « les modalités de l’octroi de ce nouveau contrat et de son échelle salariale seront déterminées par le gouvernement qui se concertera avec les acteurs et secteurs concernés ». Ce qui signifie qu’il ne s’agirait pas d’emplois payés selon les barèmes normaux. Il est à cet égard important de se souvenir de la réponse des Engagés par rapport à la demande de garantir le fait que la rémunération des travailleurs mis à l’emploi par les CPAS dans le cadre de l’article 60 bénéficient d’une rémunération identique aux autres travailleurs qui effectuent les mêmes tâches : « nous ne sommes pas en faveur de la rémunération identique à celles des autres travailleurs dans le cadre de l’article 60 ». (Lire ici) Il n’y a donc aucun doute à avoir, ce que proposent Les Engagés, c’est bien de forcer les personnes au chômage depuis plus de deux ans à accepter des emplois au rabais sous peine de perdre le droit à leurs allocations. Quant au MR, il plaide pour « l’organisation d’un service communautaire encadré par les CPAS ». Entendons que les chômeurs exclus après deux ans qui auraient pu avoir accès au CPAS sur base de leur état de besoin devraient encore prester de petits travaux d’intérêt général pour pouvoir bénéficier de l’aide du CPAS.

Concernant la mission d’organisme de paiement du chômage des organisations syndicales, seul le MR veut la supprimer, en la confiant à… l’ONEm ! Avec des arguments qui font flèche de tout bois mais qui sont peu étayés. Le PS, le PTB et Ecolo disent vouloir la refinancer, Les Engagés renvoient la question du financement aux interlocuteurs sociaux et Défi dit vouloir rester dans les règles actuelles.

Individualiser les allocations et les porter au-dessus du seuil de pauvreté

Une vieille revendication associative et syndicale est de porter l’ensemble des allocations de chômage au-dessus du seuil de risque de pauvreté. Tous les partis se prononcent pour (même si Les Engagés demandent que cela soit phasé en veillant à ne pas créer de pièges à l’emploi) sauf le MR qui prétend que, du fait de la liaison au « bien-être, (…) les allocations sociales évoluent plus rapidement que les salaires ». En réalité, tout au contraire, la liaison au bien-être, censée combler l’écart entre les allocations les plus basses et le seuil de risque de pauvreté, n’a jamais réussi à atteindre cet objectif, empêchant seulement le fossé de se creuser davantage.

Depuis plus de quarante ans la suppression de la catégorie cohabitant est réclamée à cors et à cris côté francophone. Cette demande fait presque l’unanimité au sein des partis interrogés, mais avec des nuances. Même demande des Engagés que pour le point précédent : que cela soit phasé en veillant à ne pas créer de pièges à l’emploi. Quant au MR, il ne dit pas qu’il est pour. Il indique qu’il « n’est pas opposé au principe »… mais seulement « dans le cadre plus large d’une réforme de notre Sécurité sociale ». Il ajoute vouloir « remplacer la myriade d’allocations existantes par une allocation de remplacement de base, conditionnée uniquement par l’état de besoin du bénéficiaire, et de simplifier de manière forte les processus d’octroi ». Sous prétexte de supprimer la discrimination, cette proposition raboterait en réalité la plupart des allocations actuelles. D’autant que le MR réclame aussi « un plafond (…) instauré sur l’ensemble des aides dont ces mêmes personnes bénéficient ». Ceci rejoint une mesure déjà proposée de longue date par la N-VA et consistant à intégrer dans le calcul de l’allocation (et de son rapport avec le seuil de pauvreté), non seulement l’allocation elle-même, mais aussi la valeur monétaire d’avantages sociaux comme le tarif social énergie et ou un loyer social. Ce qui équivaudrait donc en fait à baisser les allocations sous couleur de les uniformiser…

Contrôle de la disponiblité active, séparation du contrôle et du placement

La disponibilité active, héritière du contrôle des efforts de recherche d’emploi instauré en 2004 et que nous avons rebaptisé « chasse aux chômeurs (01) », divise davantage les partis. Il en est de même concernant l’accompagnement des demandeurs d’emploi par les services régionaux, la séparation de l’organisation des missions d’aide et de contrôle ou la garantie d’un accompagnement en présentiel. Le PTB et Ecolo se disent pour la suppression du contrôle et partagent notre idée de faire en sorte que seul le refus d’une proposition effective d’emploi convenable serve de critère pour juger de la disponibilité sur le marché du travail. Ils sont également favorables à la distinction de l’aide et du contrôle et au fait de garantir l’accompagnement en présentiel. Le MR et Les Engagés veulent durcir le contrôle. DéFi veut le maintenir tout en jugeant la chasse aux chômeurs « contreproductive », en insistant sur la formation, qu’il veut rendre obligatoire. Quant au PS, il évite de répondre aux questions posées en cette matière. C’est un recul par rapport au refus de la contractualisation des allocations de chômage qu’il professait en 2019. (2)

(1) Ensemble ! n°111, novembre 2023.

(2) Lire « Qu’en pensent les partis politiques ? », Ensemble ! n°97, septembre 2018.

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