L’exclusion par la pollution électromagnétique

Des engagements politiques contre la pollution électromagnétique ?

Avant les différents scrutins de juin 2024, nous avons sondé les partis politiques sur leurs projets. Parmi les thématiques : leurs éventuelles initiatives pour venir en aide aux personnes dites « électrosensibles », en souffrance au contact des rayonnements des nouvelles technologies.

Mis à disposition via la licence Creative Commons par le site flickr
Mis à disposition via la licence Creative Commons par le site flickr

Les fidèles lectrices et lecteurs le savent, nous avons réalisé dans la revue Ensemble une enquête approfondie sur les personnes dites « électrosensibles », dont l’existence est déstructurée et rendue douloureuse en raison de la pollution électromagnétique liée aux réseaux sans fil.

Les rayonnements nécessaires au fonctionnement des nouvelles technologies, appelés également « micro-ondes », extrêmement puissants et dont la présence est exponentielle dans nos environnements, sont en effet au centre de la souffrance d’une partie de la population belge. En l’absence de toute statistique officielle des autorités belges, il faut nous tourner vers la France, où l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), a tenté une évaluation de la situation. « Faute de critères de diagnostic et de classification faisant consensus et permettant un recensement précis, l’estimation repose sur l’autodéclaration des individus se considérant comme électrosensibles. L’Anses avance toutefois un chiffre fondé sur les études scientifiques les plus récentes. Il suggère une prévalence (nombre de cas au sein de la population) de l’ordre de 5 %, soit un total – considérable – d’environ 3,3 millions de Français souffrant, sous une forme ou sous une autre et à des degrés variables, de sensibilité exacerbée aux ondes électromagnétiques. » (1)

En rapportant ce pourcentage à l’échelle de la population belge, comportant selon Statbel 11.697.557 membres au premier janvier 2023, nous arrivons au nombre de plus de 584.000 individus. L’adjectif « dérisoire » pourrait difficilement être accolé à cette portion de population… Par ailleurs, six ans après le rapport de l’Anses, et depuis la mise sur pied de la très controversée 5G, il est imaginable que la situation se soit encore aggravée. Si les vécus rapportés révèlent des degrés de sensibilité variés, nos élues et élus peuvent cependant tenter l’empathie en imaginant évoluer dans des environnements où leur corps n’est plus le bienvenu nulle part, et où l’air ambiant – traversé de rayonnements – déclenche et entretient partout des symptômes destructeurs. La conséquence en est une désocialisation totale des individus, incapables d’encore fréquenter tout lieu de vie sociale, envahis par les rayonnements des antennes, des bornes wifi et des smartphones omniprésents. Inévitablement, ils doivent également interrompre leur vie professionnelle.

Face aux constats révélés par notre enquête, nous pourrions imaginer qu’un problème de cette ampleur fasse partie des priorités politiques, hélas il n’en est manifestement rien… Malgré un processus de reconnaissance mené au Sénat durant les années 2020 et 2021, l’ampleur du désastre est malheureusement aussi grande que son inexistence dans l’actualité politique et sociale de ce pays. En conséquence, le sujet est en général absent des réflexions du grand public, parmi lequel peu de gens connaissent jusqu’à la simple existence de l’électrosensibilité… Des initiatives politiques devraient normalement être à l’ordre du jour, tant en matière d’information de la population qu’au niveau des solutions à apporter à un public en grande souffrance. Aujourd’hui, à part l’exception notable de Fatima ahallouch, la parlementaire socialiste qui a mené le processus de reconnaissance de l’électrosensibilité au Sénat, l’inertie politique règne en maître sur le sujet dans notre pays. Pour notre interpellation des partis, nous n’étions donc guère optimiste sur la richesse et la fermeté des réponses à venir…

Tous les partis déclarent désire l'avènement d'études indépendantes sur l'électrosensibilité. Problème, tout reste encore coincé aujourd'hui dans un cadre défini par l'ICNIRP, un organisme tout sauf indépendant...
Tous les partis déclarent désire l'avènement d'études indépendantes sur l'électrosensibilité. Problème, tout reste encore coincé aujourd'hui dans un cadre défini par l'ICNIRP, un organisme tout sauf indépendant...

Un questionnaire non exhaustif

Les questions imposées par cette situation sanitaire sont nombreuses mais nous avons décidé de limiter notre questionnaire. Sans doute valait-il mieux recevoir des réponses argumentées à quelques questions ciblées, plutôt que de provoquer une « noyade » dans un questionnaire sans fin… Sous l’intitulé « Lutter contre la pollution électromagnétique, protéger la population et en particulier les personnes électrosensibles », nous avons donc envoyé huit questions à six partis francophones, accompagnées d’une présentation résumée de notre étude, en insistant sur ses éléments les plus importants et problématiques. Ces six formations politiques ont pour nom le Parti du travail de Belgique (PTB-PvDA), Ecolo, Défi, Les Engagés, le Parti socialiste (PS) et le Mouvement réformateur (MR).

Prétendre que ces questions ont grandement inspiré les partis serait mentir… Si tout n’est cependant pas totalement noir dans les réponses reçues, y voir des engagements fermes à prendre la question à bras le corps durant la prochaine législature représente un pas qu’en l’état nous ne franchirons pas… Notons déjà que, pour l’ensemble des questions, la réponse du PTB tient en… 258 caractères, espaces comprises. Si nous sommes évidemment d’accord avec leurs propos, nous soupçonnons une absence de lecture des documents envoyés en accompagnement de notre questionnaire, absence sans doute identique dans le chef des autres partis… Nous conseillons aux différents services d’études des partis d’aiguiser leurs connaissances sur le sujet, par exemple en lisant les différents dossiers publiés par la revue Ensemble !… (Lire l’encadré « L’exclusion par la pollution électromagnétique ») L’accès aux dossiers est totalement libre – zéro copyright -, leur reproduction et diffusion largement souhaitées, et le plagiat par les partis politiques carrément encouragé !

Avant de livrer ci-dessous les questions et réponses, il n’est pas inutile de rappeler le résultat du vote de la « proposition de résolution relative à la reconnaissance de l’électrohypersensibilité », intervenu au Sénat le 21 mai 2021. Après une reconnaissance acquise en Commission des affaires transversales, le vote en plénière – bien que serré – s’est hélas clôturé par un rejet du texte. Sur les 53 sénateurs prenant part au vote, 24 ont voté pour, les représentants du PS, d’ Ecolo-Groen, de Vooruit, du PTB et du cdH, devenu depuis Les Engagés. Parmi les 29 sénateurs contre le texte (Vlaams Belang, N-VA, CD&V, OPEN-VLD et MR), certains ont notamment déclaré avoir peur – en cas de reconnaissance – de devoir faire face à une entrave au développement technologique. (2) La technologie toute puissante et le profit l’emportent donc sur la santé humaine.

Au sujet des zones blanches

À notre dernière question posée aux six partis, comprenant ces mots : « Êtes-vous également prêts à promouvoir la fixation de zones blanches sur le territoire, à l’instar de la commune de Tintigny, dans le sud du pays ? », le MR a répondu qu’« Il est impératif d’éradiquer les zones insuffisamment couvertes, en particulier dans les régions rurales ». Nous ne connaissons pas les mœurs du MR en termes de dialogue interne, mais si nous n’avons pas précisé dans la question l’appartenance politique du bourgmestre de cette commune, le MR devrait être le seul parti à ne se poser aucune question sur son identité…

Le bourgmestre de Tintigny est en effet Benoît Piedbœuf, chef de groupe MR à la Chambre durant la législature prenant fin en juin 2024, et le seul bourgmestre de Belgique a avoir fait adopter à l’unanimité du Conseil communal un engagement à préserver une zone de sa commune des rayonnements électromagnétiques de haute fréquence. Le document établit à Tintigny est simple, court, et précis. Sous le titre « Décision de principe de préserver des zones blanches sur le territoire de la commune au profit des personnes électro-hyper sensibles », il introduit la décision en ces termes : « Vu que l’hypersensibilité aux ondes est un phénomène qui tend à s’amplifier. La volonté d’améliorer les réseaux et de suivre les évolutions techniques (5G notamment), doit se réaliser avec l’attention à réserver à ceux qui ont besoin de zones à l’abri. Vu que dans ce cadre, le projet d’habitats groupés sur le site de la Veillée à Poncelle présente des caractéristiques de nature à permettre ce type d’accueil », le texte détermine que : « Le Conseil, à l’unanimité, DÉCIDE : de consacrer cette situation de fait et de moduler toutes décisions futures au respect de cette caractéristique ». (1) Guère habitués aux louanges envers les actions du MR, nous saluons cependant ici l’initiative de cet élu local, visiblement à l’écoute des besoins de la population.

Signalons que le seul parti à le rejoindre, au sein des réponses reçues à notre sollicitation, est Ecolo, désireux de favoriser « l’établissement de lieux de vie adaptés et de zones blanches répartis sur tout le territoire ». Les électrices et électeurs belges devront s’en souvenir lors des prochaines élections communales du 13 octobre 2024, et lors de l’installation des Conseils communaux, sur les territoires éventuellement conquis par les écologistes. S’il nous semble ahurissant de voir se développer un monde où des petites zones connaîtraient un air sain pour accueillir les personnes électrosensibles, la pollution régnant en maître partout ailleurs, force est de constater qu’en l’état actuel de la situation de telles zones sont réclamées par les personnes touchées par le syndrome des micro-ondes.

(1) « Extrait du registre aux délibérations du Conseil Communal », « Province du Luxembourg. Arrondissement de Virton. Commune de Tintigny », séance du 15 février 2022. Lire l’interview de Benoît Piedbœuf , « Un petit havre de paix électromagnétique en Gaume »

2024 : nos priorités, leurs programmes. Les six partis francophones se sont positionnés par rapport à nos propositions en matière de lutte contre la pollution électromagnétique.

« Votre parti est-il prêt à… » Ci-dessous, les réponses des six partis francophones à une sélection de propositions qui nous paraissent pertinentes pour protéger les personnes électrohypersensibles (EHS) et l’ensemble de la population des pollutions électromagnétiques.

1. Faire adopter aux différents niveaux de pouvoir une reconnaissance officielle de l’électrosensibilité et des mesures de protection des personnes qui en souffrent et la prise en compte de leurs besoins spécifiques. Adopter une reconnaissance de l’EHS comme « handicap fonctionnel » au niveau professionnel, tel que c’est le cas en Suède, par exemple.

PS : Le PS est favorable à l’ouverture de l’examen de la question de la reconnaissance de l’électrosensibilité.

MR : La reconnaissance de l’hypersensibilité électromagnétique est étroitement liée à la connaissance des mécanismes d’action des champs électromagnétiques. Or, il n’y a aujourd’hui pas de consensus scientifique sur un éventuel lien de cause à effet. Tel que conclu dans l’étude réalisée par Sciensano (Étude de l’électrohypersensibilité sur la base d’un protocole d’exposition créé en collaboration avec des personnes déclarant souffrir d’électrohypersensibilité), aucune preuve scientifique d’un lien entre les champs électromagnétiques d’une part et l’électrohypersensibilité d’autre part n’a pu être prouvé. Ces conclusions rejoignent celles apportées par le Conseil Supérieur de la Santé en 2020. Par contre, cette étude met en évidence l’importance d’améliorer la prise en charge au niveau médical.

Ecolo : Ecolo défend le principe de précaution et veut protéger les personnes vulnérables. Dès lors, dans l’attente de résultats scientifiques qui permettraient aux autorités publiques d’établir des critères clairs pour une éventuelle reconnaissance d’incapacité fonctionnelle, nous souhaitons favoriser la création de zones blanches ou faiblement exposées en Wallonie dans des hôpitaux, des écoles ou encore des quartiers résidentiels afin de davantage protéger les personnes électrosensibles. Nous voulons également favoriser le développement et l’usage des réseaux filaires (la fibre optique par exemple) qui offrent des connexions à haut débit sans nécessiter le placement d’antennes.

PTB : Concernant la pollution électromagnétique, nous souhaitons financer les recherches concernant l’électrosensibilité et garantir des résultats scientifiques, objectifs et indépendants, non influencés par les intérêts des multinationales de la télécommunication.

Les Engagés : Comme vous l’indiquez dans votre document, nous avions effectivement voté pour la résolution du Sénat en 2020-2021. Tout d’abord, nous souhaitons avoir des recherches scientifiques qui prouvent les souffrances des personnes électrohypersensibles. Sur base des résultats, nous établirons un plan d’action. C’est effectivement ce qui est demandé dans la résolution citée ci-dessus.

DéFI : Oui, pour la reconnaissance officielle de l’électrosensibilité.

2. Faire en sorte que les professionnels de la santé et les gestionnaires d’établissements publics de soins (hôpitaux, généralistes, maisons médicales, etc.) soient sensibilisés à l’existence de l’électrosensibilité et qu’ils soient encouragés à prendre les mesures nécessaires afin d’accueillir dans les meilleures conditions les personnes qui s’en plaignent.

PS : Oui, pour le PS, leur sensibilisation est utile.

MR : Le MR soutient l’amélioration de la prise en charge médicale des symptômes potentiellement liés à une hypersensibilité. Par contre, pour le MR, la mise en œuvre d’autres mesures ayant un impact direct sur le fonctionnement des services et des institutions ne peuvent être prises qu’en fonction des recommandations scientifiques, à l’instar des recommandations formulées en 2020 par le Conseil Supérieur de la santé.

Ecolo : Oui. L’électrosensibilité est encore trop souvent déconsidérée dans les milieux médicaux. Nous sommes pour donc pour la mise sur pied de campagnes de recherche à ce sujet.

PTB : Voir la réponse à la question 1.

Les Engagés : Nous proposons de tenir compte de l’impact que les rayonnements électromagnétiques présents dans des établissements de soins pourraient avoir sur les personnes électrohypersensibles. Ces personnes pourraient signaler vouloir être traitées dans des conditions adaptées à leurs besoins.

DéFI : Oui.

3. Faire adopter une législation spécifique sur l’interdiction des équipements émettant des rayonnements électromagnétiques (Wifi, Dect, tablettes, etc.) dans les institutions publiques susceptibles de toucher les personnes les plus fragiles, comme c’est par exemple le cas dans une certaine mesure en France (Loi Abeille, 2015). Par exemple, concernant le wifi dans les écoles, installations sportives et crèches, dans lesquelles évoluent des enfants.

PS : Le PS propose de créer des zones exemptes de réseaux sans fil (« zones blanches ») dans des établissements et des lieux publics (hôpitaux, écoles, dans le secteur du tourisme etc.) afin de protéger les personnes électrohypersensibles.

MR : Voir réponse précédente.

Ecolo : Non. Plutôt qu’une interdiction, nous sommes pour une limitation stricte des rayonnements électromagnétiques dans ces espaces.

PTB : Voir la réponse à la question 1.

Les Engagés : Dans la mesure du possible, nous voulons privilégier le filaire au Wifi ou à la 4G/5G, surtout dans les écoles et les crèches.

DéFI : Non.

4. Adopter un principe de précaution concernant l’émission des normes de rayonnements électromagnétiques de haute fréquence.

PS : Le PS propose de mener des études indépendantes pour mieux connaître l’impact de l’exposition aux champs magnétiques sur la santé. Le PS propose également d’évaluer l’exposition cumulée aux champs magnétiques et de prendre des mesures pour réduire, si nécessaire, les émissions électromagnétiques.

MR : Le MR s’inscrit dans les recommandations scientifiquement validées.

Ecolo : Oui. Nous sommes pour une limitation de la norme des rayonnements électromagnétiques en vertu du principe de précaution. Oui. Ecolo s’oppose à la hausse de la norme sur les rayonnements électromagnétiques.

PTB : Voir la réponse à la question 1.

Les Engagés : Sous la précédente législature, lorsque Céline Fremault était ministre en Région de Bruxelles-Capitale, nous avons fait valoir le principe de précaution concernant l’émission des normes de rayonnements électromagnétiques de haute fréquence. En effet, elle n’avait pas souhaité augmenter la norme, car nous n’avions pas la certitude de l’impact que cela pouvait éventuellement avoir sur la santé des Bruxellois. On constate que sous la présente législature à Bruxelles la norme a fortement augmenté.

DéFI : Oui.

5. Garantir, à tout le moins, que plus aucune hausse de la norme de rayonnements électromagnétiques de haute fréquence ne sera effectuée. Alors que la protection des populations avait déjà baissé en 2014, le seuil passant de 3v/m à 6v/m – un changement annoncé comme ultime, voire même temporaire avant de revenir à 3v/m-, la législature 2019-2024 a vu cette norme grandement augmentée vers 14,5v/m.

PS : Voir question 4.

MR : Voir question 4.

Ecolo : Oui. Ecolo s’oppose à la hausse de la norme sur les rayonnements électromagnétiques.

PTB : Voir la réponse à la question 1.

Les Engagés : Nous sommes d’accord de soutenir la réalisation d’analyses des normes maximale de rayonnement (cf. réponse à la question précédente).

DéFI : Oui.

6. Soutenir des recherches indépendantes visant à dégager un diagnostic objectif de l’électrohypersensibilité et à définir son impact sur le plan sanitaire en Belgique.

PS : Voir réponse 4.

MR : Le MR soutient la réalisation des recherches indépendantes réalisées par des experts scientifiques.

Ecolo : Oui.

PTB : Voir la réponse à la question 1.

Les Engagés : Nous voulons continuer la recherche scientifique en ce qui concerne l’impact que les rayonnements électromagnétiques peuvent avoir sur les humains, en particulier sur les personnes qui sont électrohypersensibles.

DéFI : Oui.

7. Soutenir la réalisation d’une analyse indépendante des normes maximales de rayonnement, de la manière dont elles ont été fixées et de leur pertinence réelle, une trentaine d’années après l’apparition de la téléphonie mobile.

PS : Oui, Le PS propose de mener des études indépendantes pour mieux connaître l’impact de l’exposition aux champs magnétiques sur la santé.

MR : Voir la réponse à la question 6.

Ecolo : Oui.

PTB : Voir la réponse à la question 1.

Les Engagés : Nous sommes d’accord de soutenir la réalisation d’analyses des normes maximales de rayonnement (cf. réponse à la question précédente).

DéFI : Oui.

8. Promouvoir la création de logements adaptés aux besoins des électrosensibles, à l’abri de tout rayonnement électromagnétique de haute fréquence. (Ce type de logements existe par exemple en Suisse, sur le territoire de la Ville de Zurich). Promouvoir la fixation de « zones blanches » sur le territoire (à l’instar de la commune de Tintigny, dans le sud du pays).

PS : Le PS entend permettre aux personnes qui le souhaitent de construire des logements adaptés aux besoins des électrosensibles.

MR : Il est impératif d’éradiquer les zones insuffisamment couvertes, en particulier dans les régions rurales, afin de garantir une connectivité équitable pour tous les citoyens. Il est également nécessaire de développer un réseau très haut débit accessible à l’ensemble de la population, en mettant l’accent sur les besoins des entreprises pour favoriser leur croissance et leur compétitivité. Enfin, il est impératif d’accélérer le déploiement de la technologie 5G tant pour les citoyens que pour ses applications industrielles. Ce triptyque de mesures est incontournable pour assurer le développement socio-économique optimal de la société moderne prônée par le MR.

Ecolo : Oui, nous sommes pour l’établissement de lieux de vie adaptés et de zones blanches réparties sur tout le territoire.

PTB : Voir la réponse à la question 1.

Les Engagés : Nous ne voyons pas d’inconvénients à ce que des personnes électrohypersensibles puissent adapter leurs logements. Nous sommes également favorables à la mise en œuvre d’un principe intrabelge d’utilisation des sites d’émissions entre opérateurs de sorte à réduire la multiplicité des implantations et des antennes tout en améliorant le taux de couverture du territoire. En ce qui concerne la fixation de certaines zones blanches sur le territoire, cela ne peut pas se faire au détriment de l’accès pour les secours aux lieux en question, ce qui est souvent le cas à l’heure actuelle.

DéFI : Non.

Électrosensibilité : entre déni et timides avancées

À la lecture de ces réponses à nos interpellations, il semble évident que les partis n’ont pas trop approfondi le sujet… Certains partis semblent néanmoins prêts à soutenir de – très modestes – avancées.

Face à ces données, les personnes avisées se feront leur idée… Il serait impossible de commenter les documents de chaque formation politique de manière exhaustive, au risque de devoir réécrire les cinq dossiers consécutifs à notre enquête. Cependant, quelques précisions importantes s’imposent, développées en trois points et un encadré dans la suite de ces pages. Pour terminer, nous pointerons en fin d’analyse les éléments positifs à retenir dans les propos des partis.

Des études indépendantes ET pertinentes

Le mouvement réformateur affirme « l’importance d’améliorer la prise en charge au niveau médical ». Nous prenons note, mais ces mots viennent après la référence à une étude de Sciensano, pour laquelle le MR précise qu’il s’agit d’une « Étude de l’électrohypersensibilité sur la base d’un protocole d’exposition créé en collaboration avec des personnes déclarant souffrir d’électrohypersensibilité », et pour laquelle « aucune preuve scientifique d’un lien entre les champs électromagnétiques d’une part, et l’électrohypersensibilité d’autre part, n’a pu être prouvé ». L’étude de Sciensano, citée par le MR, avait en effet pour but annoncé d’être innovante par la mise en place d’un protocole de test élaboré en concertation avec les électrosensibles. Dans la réalité, les éléments à retenir de cette étude remettent en question sa pertinence et sa portée.

Avant toute chose, les personnes ayant participé à l’entièreté des tests mis en place par Sciensano sont au nombre de… seize ! De l’aveu même des responsables de cette étude, un échantillon beaucoup trop faible pour permettre des conclusions représentatives, nous sommes clairement dès le départ dans la non-signification statistique. Pourquoi si peu de personnes candidates ? D’abord il n’est bien entendu pas évident d’aller s’exposer à des rayonnements dans un laboratoire, lorsque la vie en est déjà grandement perturbée partout ailleurs. Ensuite et surtout, la non-pertinence des tests en « double aveugle » est affirmée par la plupart des électrosensibles, en regard de leur vécu et de leurs troubles de santé.

Traditionnellement, un test en double aveugle (appelé également « étude en double insu ») représente une manière d’éprouver l’efficacité d’un traitement ou d’un médicament. Lors du test, ni la personne administrant le traitement ni celle qui le reçoit ne savent réellement si la substance est bien administrée, pour éviter d’influer sur le jugement postérieur. Dans la matière qui nous occupe ici, il s’agit de réaliser des « tests ON/OFF » lors desquels ni la personne électrosensible ni le testeur ne connaissent l’émission réelle ou pas de rayonnements lors de la séance. Le raisonnement est simple : s’il y a bien un lien de cause à effet, alors la personne doit pouvoir dire selon son vécu du test si elle a été soumise à des rayonnements ou pas. Le problème est que si ce raisonnement est simple, il est également simpliste. Et par ailleurs séduisant pour les responsables politiques désireux de maintenir une absence de lien entre les rayonnements électromagnétiques et… l’électrosensibilité.

L’Association pour la reconnaissance de l’électrohypersensibilité (AREHS), par exemple, a refusé de collaborer avec Sciensano dans ce cadre. Parmi de nombreuses autres motivations, il y a l’impossibilité affirmée d’isoler la perception d’un signal en laboratoire, lorsque le corps est soumis en permanence aux rayonnements dans la vie quotidienne. Le 22 novembre 2022, l’association publiait un communiqué affirmant qu’une telle étude de provocation représente clairement une méthodologie dépassée. « La raison principale en est que les êtres humains, contrairement aux machines, ne réagissent pas de façon instantanée. Les personnes EHS (NDR. Électrohypersensibles) n’ont pas ou ne sont pas un « détecteur » qui se déclencherait instantanément en cas d’exposition et qui s’éteindrait immédiatement après exposition. Souvent, il faut un certain temps (variable en fonction de chaque personne) avant de commencer à ressentir les effets. Mais surtout, une fois que l’on ressent les effets, il faut souvent plusieurs heures, voire plusieurs jours, avant qu’ils ne s’atténuent. En outre, l’exposition préalable des participants aux rayonnements électromagnétiques (antennes, smartphones dans la rue,…) durant le trajet vers le laboratoire ne peut être négligée. Dans cette étude, les participants n’ont eu qu’une demi-heure pour se « décharger » de l’exposition du trajet, ce qui est largement insuffisant. » (3)

Pour reprendre une image évoquée dans notre étude : imaginons notre corps planté d’un million d’aiguilles, avec les effets et douleurs de celles-ci, serait-il possible de ressentir l’arrivée de l’aiguille n° 1.000.001 sur l’épiderme ? Pensons également à l’alcool, par exemple : une fois ingéré, le produit peut mettre un temps avant de déployer l’ampleur de ses effets et, de même, ces derniers se prolongent bien au-delà du moment précis du contact direct du produit avec notre organisme. Les électrosensibles s’interrogent : plusieurs études de ce type ont déjà été réalisées, sans résultats convaincants, pourquoi encore gaspiller de l’argent pour en financer une nouvelle ? (4)

Pour en revenir au protocole évoqué par le MR, même parmi les quelques électrosensibles qui ont participé à l’entièreté de l’étude, certains ont exprimé leur non-pertinence lors de l’élaboration, supposée commune, dudit protocole, tout en continuant ensuite le processus jusqu’au bout… Pour pouvoir arriver le corps « vierge » de tout rayonnement, et peut-être en ressentir l’effet immédiat, il aurait fallu établir un planning de tests où les personnes pourraient vivre préalablement plusieurs semaines, ou peut-être même des mois, dans un local aménagé en cage de Faraday, isolé de tout rayonnement électromagnétique. Cela n’a évidemment pas été possible, et non réalisé.

La non-pertinence de ce type de tests pour démontrer l’électrosensibilité a également été évoquée lors d’une présentation des résultats de l’étude de Sciensano, dans le cadre de l’École de santé publique de l’Université libre de Bruxelles. (5) Contrairement au MR qui semble attendre de nouveaux tests ON/OFF pour prendre des initiatives de santé publique, les électrosensibles revendiquent encore et toujours d’enfin exiger de l’industrie une preuve de l’innocuité de leurs produits.

Le non relèvement des normes

La question des normes de puissance des rayonnements électromagnétiques des nouvelles technologies est très complexe, raison pour laquelle nous avons proposé un article complet pour présenter la situation, dans un numéro de la revue Ensemble. (6) Nous renvoyons les lecteurs intéressés et nos élus vers cet article, rappelons cependant ici le fond du problème : ces normes sont, depuis leur début, uniquement basées sur des tests absurdes effectués sur des mannequins inertes. En conséquence, elles tiennent uniquement compte de l’effet thermique des micro-ondes, en évacuant tout effet biologique. Notre corps n’est évidemment pas semblable à la matière constituant un mannequin, immensément éloignée des interactions du vivant avec les rayonnements. Les termes du débat sont donc faussés dès le départ.

Dans les débats complexes, il est parfois bon de rappeler certaines évidences : le fonctionnement de la téléphonie mobile ne relève évidemment pas de la « magie ». Si ces rayonnements sont capables de traverser plusieurs blocs de béton successifs pour venir déposer sons et images sur des smartphones, il est plutôt logique d’imaginer qu’ils traversent également les corps humains. Lorsque ces rayonnements, à d’autres puissances, peuvent cuire des aliments, il n’est pas incongru d’être attentif aux effets touchant nos corps. Quand, en outre, des problèmes de santé sont rapportés depuis les années 1950 au contact de ces rayonnements dans le milieu militaire, il devrait carrément être conseillé d’être prudents. (7) Et pourtant, à chaque demande de l’industrie de remonter les normes de rayonnements en Belgique, les responsables politiques s’exécutent…

De nombreuses études scientifiques (8) démontrent les effets biologiques des rayonnements de micro-ondes et ne sont pourtant pas prises en compte par l’ICNIRP, en français la « Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants », chargée aujourd’hui encore de cadrer les normes de rayonnement. (Voir ci-dessous) En substance, voilà pourquoi nous avions interrogé les partis sur la nécessaire clarté à établir dans le futur : « Êtes-vous prêts à développer une analyse indépendante des normes, de la manière dont elles ont été fixées et de leur pertinence réelle, une trentaine d’années après l’apparition de la téléphonie mobile ? » Soulignons que le parti Ecolo – logiquement, pourrions-nous signaler – se prononce le plus franchement par un « Oui. Nous sommes pour une limitation de la norme des rayonnements électromagnétiques en vertu du principe de précaution. Oui. Ecolo s’oppose à la hausse de la norme sur les rayonnements électromagnétiques. » Dans les réponses reçues, excepté le MR qui botte en touche et le PTB qui ne se prononce pas, le parti Ecolo est rejoint dans cette préoccupation – à des degrés divers – par Défi, le PS et Les Engagés. Nous restons hélas sceptiques sur la fermeté de tous ces engagements, essentiellement en raison de leçons tirées de notre passé proche.

Nous verrons l’attitude qui sera adoptée lorsque l’industrie demandera une nouvelle remontée des normes pour installer la 6G, ce qu’elle a déjà annoncé comme une nécessité au moment du lancement de la 5G… Rappelons cependant que depuis la fixation de la première norme écologiste belge à 3 V/m en 2007 (confirmée par la Cour d’arbitrage en 2009), chaque remontée demandée par l’industrie a été réalisé sans tabou, au détriment de la santé publique.

Ironie du système belge de coalition, à chaque fois la remontée a été entérinée par un ministre écologiste de l’environnement. Ce fut le cas en 2014 lorsque Évelyne Huytebroeck a permis le passage de 3 V/m à 6 V/m, de manière temporaire prétendait-elle, le temps que l’industrie s’adapte avant de pouvoir redescendre à 3 V/m. Nous savons désormais ce qu’il en a été : si cette norme a été temporaire, c’est pour partir en flèche vers le haut en 2021 ! Pourtant, en 2019, lors d’un exercice semblable d’interpellation des partis avant les élections, Ecolo réaffirmait en ces termes la barrière ferme que doit représenter la norme obtenue par leur parlementaire régionale en 2007 : « Ecolo propose de mettre en œuvre à terme une norme qui garantisse au mieux la prise en compte du principe de précaution. Cette norme doit permettre à chacun de n’être exposé à aucun moment à un rayonnement électromagnétique supérieur à 3V/m cumulatif. » (9) Malgré cet engagement du parti, deux ans plus tard – en 2021 – le gouvernement bruxellois signe une massive remontée de la norme à 14,5 V/m, par la main du ministre écologiste de l’environnement Alain Maron.

Les écologistes belges doivent en avoir conscience, l’attente des victimes de la pollution électromagnétique est immense… S’ils se réjouissent de voir, aujourd’hui encore, la lutte contre la pollution électromagnétique au sein de leur programme pour les élections 2024 (10), ils aimeraient un jour assister à des mises en pratique de ces intentions. Au-delà de la question de l’électrosensibilité, les écologistes devraient en outre se positionner en interlocuteurs politiques essentiels dans la nécessaire régulation de l’évolution technologique contemporaine. À nouveau, aucune magie dans cette évolution : certains datacenters consomment autant que la ville à proximité de laquelle ils sont installés, par exemple, et de l’énergie est aujourd’hui massivement projetée dans l’air, dans nos villes et campagnes, partout et en permanence… De fait, ces consommations d’énergies colossales, dues aux infrastructures nécessaires au fonctionnement des technologies numériques, sont aujourd’hui en partie responsables du retour en force du nucléaire. L’abandon de cette énergie mortifère représente pourtant le combat fondateur du parti écologiste belge, un combat aujourd’hui laissé de côté…

En répondant positivement à l’industrie, les responsables politiques doivent prendre conscience de l’infinie détresse dans laquelle sont plongés des êtres humains dans notre pays… Déjà abattus en permanence par les rayonnements électromagnétiques de haute fréquence, on annonce à ces personnes un blanc-seing pour une augmentation (pas seulement la poursuite) de ce qui les torture au quotidien ! Il faut également imaginer la détresse politique des électeurs, au moment des scrutins… Voir la protection de la santé publique, non seulement ne pas avancer, mais aussi reculer à chaque législature, cela entraîne inévitablement un désenchantement total envers le monde politique. Vers qui projeter un espoir ?

Instaurer une norme la plus basse possible ne pourrait, en outre, être taxée d’« élucubration » écologiste, un seuil de 0,6 V/m est recommandé par des scientifiques indépendants et des associations environnementales, mais a également été prôné en 2011 dans une résolution du Conseil de l’Europe recommandant de « fixer un seuil de prévention pour les niveaux d’exposition à long terme aux micro-ondes en intérieur, conformément au principe de précaution, ne dépassant pas 0,6 volt par mètre, et de le ramener à moyen terme à 0,2 volt par mètre. » (11) Nous en sommes très, très, très loin…

Nous réaffirmons ici la plus vive actualité de ces principes de précaution élémentaires, ainsi que les besoins urgents d’initiatives politiques pour faire la lumière sur les normes en vigueur, ce qu’elles représentent réellement et dans quel processus d’influence de l’industrie elles ont été fixées. Si les candidats et candidates aux élections lisent ces lignes et ont peur de manquer de temps, qu’ils sachent que leur nécessaire travail sur cette question a déjà été grandement pré-mâché par deux parlementaires Verts européens, auteurs d’un rapport d’enquête extrêmement fouillé sur l’ICNIRP (Voir ci-dessous), citée plus haut, censée aujourd’hui encore encadrer les normes de rayonnements dans le monde…

Besoin urgent d’un organisme indépendant

Dans leurs réponses, tous les partis – même le MR – déclarent promouvoir l’avènement d’études indépendantes sur l’électrosensibilité et sur la nocivité des rayonnements nécessaires au fonctionnement des nouvelles technologies. Le problème est qu’en matière de rayonnements électromagnétiques, tout reste aujourd’hui encore coincé dans un cadre défini par un organisme, l’ICNIRP, tout sauf indépendant…

La « Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants », plus connue par son acronyme anglais ICNIRP, est le sujet d’un rapport d’enquête établi par deux parlementaires Verts européens, une française et un allemand, Michèle Rivasi et Klaus Buchner. Le rapport, qui a pour titre « ICNIRP : Conflits d’intérêts, Capture réglementaire et 5G » (12), démontre la mainmise de cet organisme sur les nécessaires débats concernant la nocivité des rayonnements électromagnétiques. Pour être clair : l’ICNIRP et ses membres font la pluie et le beau temps sur les connaissances scientifiques, en disqualifiant systématiquement les études démontrant les effets biologiques des rayonnements des nouvelles technologies. Dans le rapport, par exemple, nous disposons de la biographie des scientifiques membres de l’ICNIRP et, pour deux tiers d’entre-eux, nous pouvons y constater leurs liens avec les industriels des nouvelles technologies.

Le rapport décrit également l’historique de l’organisme, et son rôle dans le cadre de l’arrivée progressive sur le marché des technologies sans fil. Si ce n’était gravissime pour la santé publique, nous pourrions simplement trouver ça « cocasse », tellement le processus est caricatural… Au coeur de la démonstration des deux élus écologistes se trouve un personnage nommé Michaël Repacholi. Financé pour certaines recherches par l’industrie des télécoms, ce monsieur est également le fondateur de deux organismes, apparus parallèlement à l’installation à grande échelle de la téléphonie mobile : la désormais connue ICNIRP, mais également le « Projet international Champs électromagnétiques (CEM) » de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ! Si nous récapitulons, en plus de fixer les standards d’émission de rayonnements électromagnétiques, sur la base de tests effectués sur des mannequins, la même personne crée donc un département à l’OMS, chargé d’observer les dangers sanitaires des produits propulsant ces mêmes rayonnements !

Lors d’un colloque de l’OMS en 2004, il sera également crédité comme co-auteur d’un rapport établissant une définition de l’électrohypersensibilité. (13) Dans celle-ci, après une description des symptômes développés par les électrosensibles, il est précisé que ces personnes ressentent ces effets sous les standards acceptés internationalement ! En pleine période de déploiement des nouvelles technologies, la même personne fixe donc – en 1998 – des standards d’émission de rayonnements électromagnétiques (basés donc sur des tests absurdes) et, six ans plus tard, décrit les symptômes liés au « Syndrome des micro-ondes », développés par de pauvres hères dont les souffrances se situent en-deça desdits standards, fixés par lui-même comme seuil légitime…

Dans un article cité dans le rapport, un professeur nommé Hardell nous apprend que « Michaël Repacholi a immédiatement mis en place une collaboration étroite entre l’OMS et l’ICNIRP (étant à la tête des deux organisations) en invitant les industries électriques, de télécommunications et militaires à des réunions. Il a également fait en sorte qu’une grande partie du projet CEM de l’OMS soit financée par les organisations de lobbying de l’industrie des télécommunications : la GSM Association et le Mobile Manufacturers Forum, maintenant appelée Mobile & Wireless Forum (MWF) ». Comme nous l’indique le professeur Hardell, Repacholi a clairement agi comme « un représentant de l’industrie des télécommunications alors qu’il était responsable du département des effets des CEM sur la santé à l’OMS ». En outre, au moins quatre membres de l’ICNIRP étaient ou sont également membres du département CEM-OMS. (14)

En 2019, dans le journal allemand Der Tagespiegel, des journalistes d’investigation ont qualifié l’ICNIRP de « cartel » : l’organisme réfute systématiquement toutes les études qui montrent un éventuel préjudice pour la santé, « et aucune agence de radioprotection, aucun commissaire européen et aucun ministre ne contredit cela. Pour les gouvernements européens et leurs autorités, les treize membres de la Commission autoproclamée agissent comme une sorte de force majeure. Mais pourquoi ? Pourquoi tous les lanceurs d’alerte, même des personnalités de premier plan comme le groupe d’experts de la direction générale de la santé et de la sécurité des États-Unis, ne sont-ils pas entendus ? (…) Les membres de l’ICNIRP sont simultanément actifs dans toutes les institutions concernées et ont donc un contrôle sur le discours officiel » (15)

Nous sommes ici au cœur du problème des électrosensibles. Tant que cet organisme fera la pluie et le beau temps au sujet des connaissances sur les effets des rayonnements électromagnétiques, tout porte à croire que rien ne bougera… Le débat est coincé, et frauduleusement faussé. Le problème majeur est que ce blocage arrange beaucoup de monde, les industriels bien entendu, mais également des responsables politiques de tous bords et, il faut bien le signaler, d’innombrables utilisateurs des technologies, incapables et/ou indésireux de remettre en question un mode de vie désormais immensément répandu.

Dans un dossier faisant suite à notre enquête auprès des électrosensibles, nous établissions une analogie parlante, en utilisant l’exemple de la pollution automobile. Si le département de l’OMS chargé d’étudier les dangers sanitaires de la pollution automobile avait pour fondateur le créateur d’un organisme fixant les taux d’émission de cette pollution, tout en développant des liens étroits avec les grandes marques de voitures, quelle serait l’attitude à adopter ? Faudrait-il accorder un quelconque crédit, à quoi que ce soit émanant de ces organismes ? Avec l’industrie des communications sans fil, c’est pourtant exactement la situation dans laquelle nous sommes plongés.

Comment se fait-il qu’un tel rapport soit encore, quatre ans après sa parution, tellement inconnu du grand public ? Devons-nous penser qu’en Belgique, en 2024, un ministre de la santé ne soit pas dans la connaissance de son contenu ? Est-il possible qu’aucun parlementaire n’en ait connaissance ? Comment se fait-il que personne ne réagisse à une telle « bombe politique » ? Pour une question qui touche l’ensemble de la population ? Les parlementaires écologistes belges vont-ils relayer au niveau national le travail de leurs collègues du niveau européens ?

Quelle valeur encore accorder aux mots « intérêt général » lorsqu’on constate une mise au placard, fermé à double tour, de ces informations majeures concernant une pollution touchant la totalité de la population ? Les revendications des électrosensibles et des scientifiques et médecins indépendants sont claires : la dissolution de l’ICNIRP doit être prononcée au plus tôt. Elle doit être remplacée par une instance réellement indépendante, dans laquelle aucun scientifique n’aurait de lien avec l’industrie des télécommunications. Et qui aurait pour tâche première de faire la lumière sur tout ce qui est évoqué ici…

Des éléments positifs ?

Nous l’avons signalé au début de ce texte, en regard de l’enjeu majeur de santé publique, nous sommes dans l’obligation de constater une faiblesse certaine des engagements politiques… Tentons cependant, en fin de réflexion, de garder une approche positive et arrêtons nous sur les quelques éléments qui nous semblent « aller dans le bon sens ».

Outre les quelques points positifs signalés jusqu’ici, nous constatons une convergence – une sorte de « consensus émergeant » – au sujet du secteur des soins de santé. Tous les partis prônent en effet une meilleure prise en considération des électrosensibles, et de leurs besoins spécifiques, par les professionnels de la santé. Nous ne voyons donc pas ce qui empêcherait au cours de la prochaine législature, en tout cas dans la partie francophone du pays, le déploiement d’une campagne d’information large auprès des médecins, des hôpitaux, des maisons médicales, et plus largement de tous les lieux et professionnels de soins susceptibles de recevoir une personne électrosensible. Par ricochet, cela pourrait également être l’occasion d’informer la population belge. Pour les électrosensibles, il s’agirait d’une première ouverture dans le brouillard dense masquant leur existence. Aujourd’hui, en terme de « prise en charge », nous sommes en Belgique au niveau zéro, mais si au minimum il y avait moyen que les électrosensibles soient accueillis dignement par les professionnels de la santé, sans disqualification – parfois violente – et sans soupçon d’hypocrondrie ou qui sait quoi d’autre encore, un (petit) pas en avant serait franchi.

Les Engagés, nous le soulignons, proposent de « tenir compte de l’impact que les rayonnements électromagnétiques présents dans des établissements de soins pourraient avoir sur les personnes électrohypersensibles ». Dans notre enquête, la plupart des témoins ont exposé le surcroît de souffrance que représente aujourd’hui un passage à l’hôpital, ou dans d’autres unités de soins. Un comble ! Le PS, lui, propose « de créer des zones exemptes de réseaux sans fil (« zones blanches ») dans des établissements et des lieux publics (hôpitaux, écoles, dans le secteur du tourisme etc.) afin de protéger les personnes électro-hypersensibles. »

Si les autorités sanitaires semblent n’avoir jusqu’à aujourd’hui accordé aucune attention aux électrosensibles, ces deux partis –  auxquels se joint Ecolo dans sa première réponse – semblent donc prêts à soutenir les professionnels de la santé qui ont vainement tenté d’alerter les autorités politiques belges. Rappelons ici l’existence de l’« Hippocrate electrosmog appeal Belgium », signés par plus de 500 médecins de notre pays, et autant de membres du personnel para-médical. Cet appel sonne l’alerte et rappelle que « Le Principe de Précaution n’a nullement été respecté lors du déploiement massif de ces technologies sans fil. Les normes censées protéger la population de l’exposition aux rayonnements électromagnétiques RF/MO ne tiennent compte que de l’échauffement des tissus (effet thermique) lors d’une exposition de durée limitée (30 minutes). Ces normes ne tiennent pas compte des expositions répétées et/ou prolongées ni de tous les autres effets biologiques non thermiques qui surviennent à des valeurs nettement inférieures aux valeurs actuellement autorisées. Elles n’ont pas été conçues pour protéger les fœtus, les enfants, les adolescents, les personnes âgées… » (16) Cet appel du personnel médical, tel que le rapport sur l’ICNIRP, semble depuis son lancement enfermé à double tour dans un placard…

Avant de terminer, signalons un élément apporté par le parti Les Engagés, par lequel ils se distinguent ici en faisant preuve de pur bon sens… Après avoir affirmé ne pas voir d’inconvénient à ce que les personnes électrohypersensibles puissent adapter leurs logements pour se protéger des micro-ondes (17), nous trouvons cette phrase : « Nous sommes également favorables à la mise en œuvre d’un principe intra-belge d’utilisation des sites d’émissions entre opérateurs de sorte à réduire la multiplicité des implantations et des antennes tout en améliorant le taux de couverture du territoire. » Ils sont les seuls à évoquer cette aberration : les rayonnements électromagnétiques et leurs antennes sont, en tous points du territoire, présents en autant de couches superposées qu’il n’y a d’opérateurs de téléphonie mobile ! Les Engagés vont-ils s’emparer du poste de ministre des télécommunications pour mettre de l’ordre après le scrutin ? Suspense…

Pour résumer la situation sous un prisme positif, en couplant les réponses reçues des partis avec les attitudes de vote au Sénat en 2021, quelques initiatives minimales devraient être envisageables durant la prochaine législature dans la partie francophone du pays… En espérant un « effet boule neige » et des initiatives, enfin, pour traiter ce scandale sanitaire sans précédent. Laissons donc le mot de la fin à Fatima Ahallouch, la parlementaire socialiste qui a porté cette question à bras le corps durant la dernière législature. Après le rejet de son texte de reconnaissance, elle a évoqué pour nous (18) les projets nécessaires pour la suite : « L’idée est de développer, à différents niveaux, le regard particulier dont ces personnes ont besoin, et à les inscrire dans les mesures de santé. Plus largement, l’idée est de réfléchir à comment inscrire des mesures à l’agenda politique, et éviter que ces personnes soient renvoyées dans l’ombre dans laquelle elles ont été maintenues jusqu’à aujourd’hui. Il faut se saisir de la question à tous les niveaux de pouvoir, et notamment à l’échelon communal. Après ce travail, pour ma part, je serai plus vigilante et impliquée au niveau local. Le PTB, Les Engagés, le PS et Ecolo ont voté pour la reconnaissance : il n’est plus possible de tout balayer d’un revers de la main. Avec ces partis, des initiatives doivent donc être possibles, au niveau wallon par exemple. Ça doit devenir un sujet de santé publique incontournable. »

L’exclusion par la pollution électromagnétique

Notre étude sur « L’exclusion par la pollution électromagnétique », menée suite à une enquête auprès de personnes électrosensibles et d’acteurs institutionnels belges, s’est déployée sur cinq dossiers très denses. Après un appel à témoignage dans notre numéro 102, nous avons établi des contacts avec une cinquantaine de personnes, pour mener finalement 36 entretiens semi-directifs.

Un dossier introductif a paru dans notre numéro 104, accompagné de trois témoignages approfondis détaillant différentes dimensions du vécu des personnes touchées par l’électrosensibilité. Une analyse des entretiens a ensuite donné lieu à un « état des lieux » en deux parties dans nos numéros 105 et 107, un volet portant sur les difficultés dans la vie quotidienne et l’autre dans la vie professionnelle. Chaque volet est accompagné d’entretiens approfondis, avec trois médecins électrosensibles pour le premier, et pour le second avec une dame exposant sa procédure en justice victorieuse pour obtenir des revenus de remplacement, suite à l’incapacité à poursuivre sa vie professionnelle en raison des installations technologiques du lieu de travail.

Sur base de cet état des lieux, différents acteurs institutionnels ont été interpellés. Dans notre numéro 110 nous rapportons les paroles de Véronique Ghesquière, coordinatrice chez Unia, organisme habilité à recueillir les signalements de cas de discrimination en Belgique, elle expose les dossiers ouverts par des électrosensibles ; de Thomas Gérard, conseiller en prévention du syndicat CSC et accompagnateur d’un travailleur souffrant d’électrosensibilité, notamment après un travail problématique au contact d’une machine émettant des rayonnements électromagnétiques ; enfin nous y relatons notre discussion avec Benoît Piedbœuf, chef de groupe du Mouvement réformateur (MR) à la Chambre, également bourgmestre de Tintigny, qui a fait voter – à l’unanimité du Conseil communal – un engagement à préserver une zone de sa commune de tout rayonnement électromagnétique de haute fréquence.

Dans notre numéro 111 enfin, nous donnons la parole à Nicolas Prignot, un philosophe des sciences dont le doctorat a précisément porté sur « L’onde, la preuve et le militant ». En plaçant la réflexion dans l’historique de l’émergence de cette question de santé publique, il tente de dépasser l’éternelle opposition entre deux blocs : personnes malades versus négateurs de l’existence d’effets sur la santé. Il développe notamment ses observations liées à la notion de « preuve scientifique », dont l’établissement serait nécessaire avant d’agir. Force est de constater que l’argument de ce « manque de preuve », sans cesse asséné par les acteurs concernés par cette pollution, favorise grandement un attentisme funeste pour les personnes en souffrance, nous le voyons encore dans les réponses des partis dont nous rendons compte ici. Nous y décortiquons également ce qui se cache réellement derrière un argument maintes fois entendu dans notre pays, selon lequel les normes belges d’émission de rayonnements seraient « très sévères ». Nous y rencontrons également Haroun Fenaux, porte-parole de l’entreprise Proximus, principal opérateur de téléphonie en Belgique, qui développe sa vision des questions sanitaires posées par les technologies sans fil. Enfin, nous nous y sommes entretenu avec Fatima Ahallouch, l’élue socialiste qui s’est battue au Sénat, durant la session 2020-2021, pour tenter de faire voter une « Proposition de résolution relative à la reconnaissance de l’électrohypersensibilité ».

Tous ces articles sont disponibles en lecture gratuite sur notre site internet, et les numéros les contenant sont disponibles en pdf à télécharger. Nous ne pouvons que conseiller à tous nos élus d’aller y faire un tour, pour aiguiser leurs connaissances sur cette pollution industrielle, et cette question de santé publique majeure.

www.ensemble.be

(1) « Électrosensibles : des symptômes réels qui restent inexpliqués », Pierre Le Hir, Le Monde, 27 mars 2018.

(2) Pour une description du processus de reconnaissance, lire l’interview de Fatima Ahallouch « Nous avons fait avancer le débat ! », Ensemble n°111, pages 95 à 105.

(3) « Étude de l’ISSeP-Sciensano sur l’électrohypersensibilité : une étude conçue pour ne rien trouver ? », Communiqué de presse commun de l’AREHS et de cinq autres associations belges, 29 novembre 2022.

(4) Nicolas Prignot, philosophe des sciences, auteur d’une thèse intitulée « L’onde, la preuve et le militant » discute également de ces tests en double aveugle dans une longue interview, Ensemble n°111, pages 62 à 75.

(5) Séminaire de thèse : « Perception de l’exposition aux champs électromagnétiques et report de symptômes dans l’électrohypersensibilité : résultats d’un protocole de provocation co-créé », présenté par Maryse Ledent, coordinatrice de projet/programme de recherche à Sciensano et doctorante au sein du Centre de recherche en Santé environnementale et de Santé au travail, le jeudi 22 juin 2023. Description du projet « Étude ExpoComm & Envi-EHS » sur www.sciensano.be

(6) « Normes sévères en Belgique : la fake news du siècle ! », Ensemble n°111, pages 76 à 85.

(7) Le texte de la résolution soumis au vote des sénateurs commence par une série de « Développements » résumant la situation et les connaissances au niveau des rayonnements électromagnétiques. « Dès les années 50, certains pays de l’Europe de l’Est observèrent de nombreux troubles de santé tels que des maux de tête ou des insomnies parmi le personnel militaire affecté à l’utilisation, l’inspection ou la réparation d’équipements émetteurs de micro-ondes, à l’époque principalement des radars. L’ensemble des symptômes fut regroupé et désigné sous l’appellation de syndrome des micro-ondes ou syndrome asthénique. Le syndrome fut étudié par les scientifiques locaux et fit l’objet de nombreuses publications. L’existence d’effets sanitaires ne résultant pas de l’échauffement des tissus resta dans ces pays un sujet d’étude durant les années 60 et 70. » Tous les éléments sont bien entendu référencés, nous renvoyons donc les lecteurs vers les documents sénatoriaux. Au sujet des travaux du Sénat, lire « Fatima Ahallouch : « Nous avons fait avancer le débat ! », Ensemble n° 111, pages 95 à 105.

(8) Lire l’encadré « Références scientifiques sur les effets sanitaires », Ensemble n° 104, pages 30-31.

(9) Courrier d’Ecolo envoyé à l’aassociation pour la reconnaissance de l’électrohypersensibilité (AREHS), « En réponse à votre courriel : Bientôt les élections, nos questions sur votre programme », 14 mai 2019.

(10) Point « 7.14. Mieux se protéger de la pollution électromagnétique », « Ecolo, choisir l’avenir plus vert, plus juste », Programme 2024, page 74.
https://Ecolo.be/wp-content/uploads/2024/03/2024-Programme-consolide-final.pdf

(11) « Le danger potentiel des champs électromagnétiques et leur effet sur l’environnement », Conseil de l’Europe, Résolution 1815, 2011.

(12) « La Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants (ICNIRP) : Conflits d’intérêts, 5G et Capture réglementaire », Klaus Buchner & Michèle Rivasi, Juin 2020. Le rapport est téléchargeable ici

(13) La définition et les références sont disponibles dans l’article précité, portant sur les normes, voir note 6.

(14) Rapport parlementaire européen, voir note 12, pages 35-36/123.

(15) Idem, page 31/123.

(17) Des aides seraient à prévoir, pour des travaux de blindages très coûteux, à puiser bien évidemment dans les profits colossaux des industriels, responsables de cette pollution électromagnétique.

(18) « Fatima Ahallouch : « Nous avons fait avancer le débat ! » », Ensemble n°111, pages 95 à 105.

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