dossier élections 2024

L’énergie : un droit fondamental ou une marchandise ?

Les positionnements des partis politiques en matière d’accès à l’énergie renvoient à des idées fondamentales sur l’organisation de sa production (publique/privée) et sur la répartition des revenus.

Renforcer les services associatifs non commerciaux existants qui œuvrent pour défendre les consommateurs.
Renforcer les services associatifs non commerciaux existants qui œuvrent pour défendre les consommateurs.

Quelles politiques mener en matière de gaz et d’électricité ? Les propositions et orientations des partis francophones dessinent le cadre de la discussion politique en matière énergétique. Alors que la précarité énergétique touche à peu près un ménage sur cinq en Belgique (1) et que l’urgence écologique appelle instamment à des actions fortes, les questions de la production, de la fourniture, de la facture et du logement acquièrent une importance capitale. Les réponses et orientations proposées soulèvent une question plus profonde : l’énergie est-elle une marchandise comme les autres ?

La libéralisation du marché du gaz et de l’électricité, poussée par la directive européenne « 96/92/EG » et enclenchée en 2007 en Belgique, peut être vue comme un pas supplémentaire dans le processus de marchandisation de l’énergie. L’allocation des ressources gazières et électriques s’opère sur des marchés concurrentiels, soumis à la logique du profit et des intérêts privés, et régulés par les « lois » de l’offre et de la demande. Les réponses des partis à nos questions peuvent être lues à la lumière de cette question de la marchandisation : faut-il ou non considérer que l’énergie est une marchandise comme les autres ? Trois grands thèmes peuvent alors être dégagés dans les réponses des partis et dans leur programme (la présente analyse s’appuie sur les deux sources), qu’on situera sur l’axe de la (dé)marchandisation de l’énergie : la question de la production, celle de l’accès à l’énergie et de la facture de son utilisation et enfin la question du logement et de l’isolation.

Production publique et mix énergétique

Un premier enjeu central est de décider qui doit produire l’électricité et le gaz : des acteurs privés sur un marché ou des acteurs publics ? Sans trop de surprise, du côté du PTB, on opte pour la seconde proposition, dans une version radicale. La production énergétique doit être entièrement démarchandisée. Pour ce faire, le parti préconise une reprise publique du secteur de l’énergie et l’indexation du prix de l’énergie sur le coût réel de sa production, permise par une nationalisation du parc de production énergétique. Contre la « logique à court terme des investissements privés », il faut pour eux engager un grand plan de planification publique du basculement vers les énergies renouvelables. Au PS, option un peu moins ambitieuse peut-être, on envisage la création d’un producteur et fournisseur public d’énergie, au niveau régional. Ce dernier devrait constituer une « alternative locale et durable », se centrant essentiellement sur la création et l’accompagnement des communautés d’énergie au niveau régional.

La démarchandisation de la production d’énergie n’est que partielle, dans un premier temps du moins. C’est également l’option choisie par le parti Ecolo : il faut mettre en œuvre une production publique d’énergie renouvelable, en parallèle de la production par les acteurs privés. Selon leur programme, le renouvelable (public et privé, imagine-t-on) devra représenter 100 % du mix énergétique à l’horizon 2050.

De l’autre côté du spectre politique, au MR, c’est dans les casseroles de 2007 qu’on fait les meilleures soupes : un marché compétitif est un préalable, et l’innovation technologique dessinera les solutions aux enjeux écologiques et sociaux. Cela se fera en priorité par le renforcement de la filière nucléaire, puisqu’elle constitue « la voie la moins chère, la plus sûre et la plus durable ». Il faudra en outre promouvoir et soutenir le développement de l’hydrogène, des réseaux de chaleur et du renouvelable en dynamisant « les marchés de l’énergie en simplifiant les charges et en permettant une concurrence optimale au profit des consommateurs. » Les Engagés et DéFI n’envisagent pas de production publique d’énergie, mettant en avant la nécessité de réguler les acteurs privés.

La fourniture et la facture

Une fois l’énergie produite, comment faire pour la rendre accessible, en particulier pour les ménages les plus précaires ? Au PTB, l’énergie étant un droit fondamental, pas une marchandise, la solution va de soi : le blocage des prix. Le PS préconise plutôt des politiques amples de soutien aux consommateurs, notamment à travers le renforcement et l’élargissement d’un instrument comme le tarif social. Le tarif social est un prix maximal, défini par la CREG (Commission de Régulation de l’Électricité et du Gaz) tous les trois mois, moins sensible aux fluctuations des prix sur le marché et octroyé automatiquement aux ménages comportant au moins un membre dont le statut (par exemple personne porteuse de handicap ou bénéficiaire du RI) ouvre ce droit. Du côté des socialistes, le blocage des prix n’est pas envisagé, il s’agit plutôt d’élargir les conditions d’octroi du tarif social, intégrant un critère de revenu, et de créer un tarif intermédiaire, ce qui permettrait d’amoindrir l’effet de seuil dans son obtention.

Même son de cloche au parti écologiste, ainsi que la volonté de mettre en place « la fourniture d’une tranche élémentaire d’énergie à bas prix (…) garantie par les pouvoirs publics pour les ménages ayant de bas revenus ».

Les Engagés semblent aussi vouloir intégrer le critère du revenu dans l’octroi du tarif social. Ils sont cependant très inquiets de ne « plus reporter les impayés de certains consommateurs sur le dos des fournisseurs et des autres ménages », très vite leur apparaît la solution de l’installation de compteurs intelligents chez les ménages précaires bénéficiant d’aides, afin de pouvoir contrôler, et limiter en cas de nécessité, la consommation (mécanisme du compteur à budget). Le parti plaide pour l’adoption (idéalement, à l’échelon européen) d’un mécanisme de fourchette convenue de prix : « lorsque le prix sur le marché international serait plus élevé que le plafond, l’État compenserait la différence tandis que, lorsque le prix international serait moins élevé que le plancher, l’État se rembourserait ». Faute de précision sur la mesure dans la documentation du parti, on ne se prononcera pas trop vite, mais elle semble pour le moins étrange et sans doute défavorable pour les ménages, en tout cas, elle préserve très clairement les intérêts des fournisseurs.

Au MR et chez DéFi, pas d’élargissement, mais le maintien en l’état du tarif social. Du côté de DéFI, une proposition d’indexation du Fonds gaz-électricité « pour permettre aux CPAS de mieux mener leurs missions » dans le contexte d’« augmentations significatives des prix de l’énergie » paraît le seul indice d’un programme novateur de lutte contre la précarité énergétique. Au MR, on considère que l’accès à l’énergie passera avant tout par une maîtrise des prix et que celle-ci sera atteinte au moyen des bonnes vieilles recettes libérales : dérégulation, suppression des « charges » qui pèsent sur les fournisseurs et de certaines des protections des consommateurs (dont la mesure bruxelloise de contrôle judiciaire des coupures, jugée trop coûteuse pour les fournisseurs). Convergeant sur le souci de ne pas faire de la facture de gaz ou d’électricité « une deuxième feuille d’impôt », MR et PTB se retrouvent sur la volonté de réduire les taxes sur l’énergie.

La question énergétique articulée à celle du logement

La question du logement et des passoires énergétiques est un dernier espace de débat éclairé par notre questionnaire. Au PTB, on souhaite mettre en place une grille contraignante des loyers, et impulser un plan de rénovation du bâti au moyen d’un système de tiers payant. Chez Ecolo et au PS, on propose le blocage ou la modulation de l’indexation des loyers en fonction de leur PEB, couplé.e à des aides à la rénovation pour les bailleurs. Les trois autres partis refusent le blocage de l’indexation ou un plafonnement des loyers. Chez Les Engagés, on invoque le risque d’accroissement de la pénurie de l’offre de logements quand on pointe le manque de fiabilité des certificats PEB chez DéFI. Dans tous les cas, les trois partis envisagent plutôt des logiques d’incitation et d’accompagnement des bailleurs, notamment à travers des incitants fiscaux, des prêts à taux zéro ou des assurances « loyers garantis ».

Un droit ou une marchandise ?

Les différentes propositions concrètes des partis renvoient in fine à des conceptions différentes de l’accès à électricité et au gaz. Voulons-nous faire de l’énergie une marchandise comme les autres, ou devons-nous la considérer plutôt comme un droit fondamental ? Un droit est une garantie publique de pouvoir exercer et jouir d’une capacité, avoir chaud par exemple. Il n’est pas lié à des conditions financières : un droit, ça ne s’achète pas et le marché n’a rien à offrir qui ne s’achète pas. Et si l’accès à l’énergie est à la fois un droit fondamental et une marchandise, où situe-ton le curseur ?

(1) Baromètre de la précarité énergétique (2023)

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