dossier Deliveroo

« Pour travailler avec Deliveroo, j’ai loué un faux compte à un étudiant »

Dans quelles conditions travaillent exactement les livreurs de Deliveroo ? Pour nous les faire comprendre très concrètement, l’un d’eux témoigne ici de son vécu de livreur sans-papier. Contre rémunération à un tiers, il a pu prester sous un faux nom, une pratique courante connue de la multinationale… Récit d’une double couche d’exploitation contemporaine.

Après une description du modèle économique développé par les entreprises de livraisons à vélo (lire ici), intéressons-nous aux réalités individuelles vécues par les travailleurs des entreprises de plateforme. Lorsque nous avons interrogé – en 2015 – un premier livreur de plats cuisinés, Deliveroo n’était pas encore active en Belgique. Notre témoin avait pédalé pour ses prédécesseurs, Take Eat Easy, dont la mentalité était tout autant portée sur l’exploitation sans scrupule des travailleurs, ainsi que sur le contournement maximal du droit social (1). Comme les responsables de Deliveroo aujourd’hui, les managers de cette entreprise adoptaient un discours particulièrement cynique, allant jusqu’à évoquer aux candidats livreurs la possibilité de « vivre d’une passion » : le vélo ! Pour mener cette activité, on était supposément cool, dynamique, passionné… Du côté des livreurs, certains pionniers du début confessent l’existence, alors, d’un certain niveau de naïveté face aux discours manipulateurs et mensongers des managers de la start-up (2). L’entreprise, en une sorte d’acmé du cynisme capitaliste, avait carrément créé et entretenu un esprit compétitif majeur entre les travailleurs, par la mise en place d’un « concours de maillots ». Oui ! Le travailleur le plus performant roulait alors avec un maillot à pois, marqueur supposé de mérite personnel.

Notre témoin de l’époque, lui, n’était pas dupe de ces discours et pratiques, et avait dû s’intéresser à cette activité en raison d’une exclusion de son droit à l’assurance chômage, édictée par le gouvernement Di Rupo dans les années 2011-2014 (3). « Je vivais d’allocations de chômage, auxquelles on pouvait ajouter des contrats temporaires de travail, au cachet, dans le domaine musical et théâtral (…) Quelques mois plus tard, l’exclusion du droit à l’assurance chômage se profilait pour moi et je me suis mis à réfléchir comment pouvoir gagner de quoi manger et payer mon loyer » (4). Preuve, s’il en était besoin, du caractère nécessairement précarisant des coupes effectuées dans les systèmes de protection de la Sécurité sociale. Que les autorités jettent toujours plus d’individus dans la précarité : c’est précisément ce qu’attendent les entreprises auxquelles nous nous intéressons ici, qui sont toutes prêtes à les accueillir dans leurs filets d’exploitation. Nul doute que la limitation dans le temps des allocations de chômage, au programme du nouveau gouvernement mis sur pied en février, produira un effet identique à une échelle autrement plus importante… Tous les travailleurs doivent s’inquiéter : toujours plus d’individus en concurrence directe sur le marché du travail, cela entraîne logiquement une dégradation globale des conditions de travail et la baisse des revenus dans le pays.

Avec notre rencontre d’aujourd’hui, le constat est clair : dix ans plus tard, l’exploitation des travailleurs précaires s’est encore intensifiée. Le profil global des livreurs a changé, même si chiffrer précisément les évolutions n’est pas évident tant le développement d’entreprises telles que Deliveroo est opaque. Pourtant, un simple coup d’œil dans les rues de nos villes suffit à livrer des indices… Comme nous le dira notre interlocuteur syndical (lire ici), la grosse majorité des livreurs est aujourd’hui constituée de personnes dites « d’origine étrangère ». Si certains sont belges – peut-être par ailleurs victimes de discrimination à l’embauche -, d’autres sont demandeurs d’asile, ou sans-papiers à la recherche d’un minimum de revenus pour survivre.

Bien entendu, la masse des clients de ces plateformes est très hétérogène – notre témoin l’évoque – mais les systèmes algorithmiques développés par ces entreprises sont à coup sûr un élément en soi de déshumanisation de la relation « travailleur-client ». Ce dernier peut être séduit par la commodité du service – dans un environnement utilitariste où tout semble dû – qui peut mener à une certaine déresponsabilisation du client, dépourvu d’empathie par rapport aux conditions de travail du livreur. Le récit de notre témoin devrait donc permettre d’éclairer les clients de Deliveroo (et de Uber Eats), sur les situations sociales vécues par ces personnes qui apportent, par tous les temps, des plats au seuil de leurs logements… Ce récit de vie constitue non seulement un plaidoyer en faveur d’une amélioration globale des conditions de travail des livreurs, mais en appelle aussi à la régularisation des sans-papiers présents sur notre territoire. Si nous sommes prêts à nous faire livrer un plat par un travailleur, le minimum est alors de reconnaître l’existence, sur notre territoire, de la personne qui réalise ce travail.

Le jeune homme nous reçoit un début d’après-midi pluvieux, au nord de la capitale belge. Très volubile, il nous parle facilement de son expérience de travail pour l’entreprise Deliveroo, et les éléments à transmettre à nos lectrices et lecteurs sont très clairs et structurés.

Ensemble ! : Qu’est-ce qui vous a amené à travailler avec Deliveroo ?

Avant de travailler chez Deliveroo, j’ai travaillé en cuisine, pour un traiteur marocain. C’était mon premier travail, au noir car je n’avais pas mes papiers. Après un moment, j’ai vécu de grosses tensions avec le chef de cuisine et j’ai dû arrêter. Parfois, lorsqu’on travaille au noir et qu’on est sans-papier, en plus d’être mal payé, on n’est parfois pas respecté : la manière dont les gens se comportent n’est pas acceptable. Je préfère donc être seul que travailler avec d’autres gens, et puis j’aime bien le vélo, et circuler en ville… Alors voilà, je suis parti faire des livraisons, tout en complétant avec d’autres boulots, notamment sur les marchés communaux. Le week-end c’était marché, et la semaine, principalement, livraisons pour Deliveroo.

Concrètement, comment ça se passe ?

Avant tout, quand on est sans-papier, il faut chercher quelqu’un pour louer des comptes. Je savais que des gens, de nationalité belge, ouvrent des comptes chez Deliveroo et les louent à des personnes comme moi, qui ne peuvent pas ouvrir un compte officiellement. J’ai donc été voir un étudiant, qui loue des comptes en demandant 700 euros. Un ami qui était déjà passé par là m’a parlé de cet étudiant, en me proposant de faire la même chose. J’ai dit « ok » et il m’a envoyé le contact de l’étudiant, tout simplement… Il suffit de le contacter, on laisse un message et il reprend contact, puis je l’ai rencontré à l’Université libre de Bruxelles (ULB). Il a plusieurs comptes à louer, lui en a deux je pense, un à lui et un à sa copine, mais en plus il gère les comptes de gens qu’il connaît. Il m’a même envoyé, comme « garantie », une copie de sa carte d’identité, à ma demande, au cas où il y aurait un problème avec le compte. Parce que donner comme ça 700 euros, d’un coup, ce n’est pas facile, en plus je ne le connaissais pas du tout… Dès que je lui ai donné l’argent, il m’a donné le nom d’utilisateur, le mot de passe, et puis j’ai commencé à travailler.

Avec Deliveroo on ne peut pas gagner plus que 2.000 euros sur l’année, car sinon on devient indépendant, et on est taxé (NDLR,en réalité le plafond est de plus de 7.000 euros, voir en note 5). Quand on a atteint le montant de 2.000 euros, on arrête et il faut lui redemander un autre compte. Alors avec un de ses amis à l’ULB, ils ouvrent un autre compte. Parfois ça peut amener des situations très bizarres : j’ai par exemple travaillé avec un compte qui appartenait officiellement à une fille. Donc les clients, quand ils ouvrent la porte pour prendre le plat que j’apporte, ils s’attendent à voir arriver… une Nadège…et en fait c’est moi qui fais la livraison ! Mais bon, il n’y a pas de problème, ils ont juste besoin que la livraison soit faite, que ça soit bien. Le client, il ne se pose pas vraiment de questions…

Doublement exploité en Belgique

Comme notre témoin, de nombreux livreurs travaillant pour Deliveroo et Uber Eats sont sans-papiers. Comme il nous l’explique ci-contre, puisqu’ils ne peuvent officiellement travailler sur le territoire belge, il existe pour eux une « astuce » : ils prestent pour les multinationales sous un faux nom. Si certains sans-papiers reçoivent un prêt d’identité de la part d’un ami ou d’un membre de leur famille, pour ouvrir la possibilité d’engendrer quelque – maigre – revenu, d’autres sont, comme notre témoin, aspirés dans une relation d’exploitation autrement plus violente.

Certaines personnes réalisent en effet un « trafic » de comptes ouverts sur le site de ces multinationales : une personne s’inscrit et, contre rémunération, donne les codes de connexion à une personne sans-papier. Pour notre témoin, la somme due est de 700 euros, à payer en une fois pour pouvoir accéder aux codes, mais la contrepartie financière peut également être hebdomadaire ou mensuelle. Le travailleur est alors, en quelque sorte, « taxé » à la base, racketté, pour pouvoir s’inscrire sur le site et commencer à… être exploité par Deliveroo. Concrètement donc, lorsque le compte est activé par le travailleur, pour recevoir des commandes de l’algorithme et commencer sa journée de travail, le client, lui, pense recevoir le plat livré par une personne qu’il ne verra jamais arriver chez lui.

Pratique très répandue, la recherche de « candidats sans-papiers » par les « loueurs » de comptes, se fait parfois le plus simplement du monde, par des petites annonces sur les réseaux sociaux : « Loue compte Deliveroo ». Les sans-papiers, à la recherche de revenus pour survivre, sont bien entendu demandeurs. La proportion de travailleurs sans-papiers parmi les livreurs, par définition, est difficile à établir. En Belgique, un indice existe cependant : l’auditorat du travail s’est penché sur la question à Bruxelles, et des contrôles ont été réalisés en 2022 par l’Inspection régionale de l’emploi, avec le soutien des zones de police Bruxelles-capitale-Ixelles et Montgomery. « La Justice en arrive à la conclusion que sur les 43 coursiers contrôlés, 24 étaient sans titre de séjour régulier sur le territoire belge, soit 55%. Ces contrôles ont concerné toutes les plateformes de livraison de repas, sans distinction, mais les livreurs de Deliveroo et Uber Eats, les deux plateformes qui dominent nettement le marché, ont été les plus nombreux à être contrôlées » (1).

Les investigations réalisées par l’auditorat du travail démontrent que de nombreux coursiers sans papiers « doivent recourir à des prête-noms, contre une partie de leurs faibles revenus. Certains de ces prête-noms demandent même la moitié de la rémunération » de personnes particulièrement vulnérables, « sans moyen de subsistance ni d’autre choix que d’accepter ce qui ressemble fort à un racket, contre le tarif horaire misérable de 2,50 euros, parfois ». Une enquête est ouverte pour « mise au travail de personnes dépourvues de titre de séjour » et « mise au travail de personnes non déclarées à la Sécurité sociale », des infractions pénales dites « de type 4, les plus graves du Code pénal social ». En bout de course, l’enquête pourrait aboutir devant un tribunal correctionnel, mais elle risque de prendre énormément de temps. « Ce dossier est particulièrement difficile sur les plans juridique et technique. Il nécessite de nombreuses vérifications. Les contrôles effectués depuis janvier 2022 ont malheureusement fait apparaître de nombreuses irrégularités, et ce alors que les règles à respecter sont parfaitement connues », commente Fabrizio Antioco, le porte-parole de l’auditorat bruxellois. « Ce qui est fort interpellant, c’est que les irrégularités récemment constatées sont plus graves que celles constatées par le passé. J’entends par là que les fraudes apparemment commises sont encore plus caractérisées. Or ces fraudes, à les supposer établies, sont commises au détriment d’une population déjà en situation de précarité » (2).

Pour tenter de désamorcer ce type d’enquête et les conséquences éventuelles à venir – nous l’évoquons avec notre témoin -, il existe à présent un système de « reconnaissance faciale » censé vérifier qui est la personne qui preste effectivement le travail. Par moments, le compte se bloque et demande au travailleur d’envoyer un selfie pour confirmer qu’il est bien la personne officiellement inscrite. Dans les faits, cela ne change pas grand-chose, car ce système est contournable, et contourné. Le système à grande échelle mis en place par l’étudiant de l’ULB, décrit ici par notre témoin, est donc sans doute un peu plus compliqué à réaliser, mais pas impossible. Les sans-papiers sont toujours plus nombreux à rouler dans nos villes, pour satisfaire les estomacs de nos contemporains paresseux. Deliveroo le sait pertinemment, l’entreprise a besoin d’une main d’œuvre abondante, dans le besoin et vulnérable.

(1) « 55% des coursiers contrôlés par la justice sont sans papiers », Julien Balboni, L’Echo, 30 avril 2022.

(2) Idem.

Avec ce système, cet étudiant doit gagner beaucoup d’argent sans rien faire, en exploitant des gens dans une situation d’extrême besoin. Vous savez si, dans ce système, il donne de l’argent aux gens qui ouvrent un compte pour lui ?

Ça je ne sais pas, je ne peux pas dire, mais c’est lui qui gère, qui cherche les comptes quand on lui demande. Et oui, il a de l’argent sans rien faire… C’est très facile, je suis simplement allé le voir à l’ULB, j’étais à vélo et je lui ai dit « Je viens de la part de Machin, j’ai besoin d’un compte », il m’a répondu « Oui, j’ai des comptes », et il m’en a vendu un, c’est tout… J’ai travaillé avec lui plusieurs fois, parce qu’en fait c’est très important de ne pas dépasser le plafond, donc ça ne dure pas longtemps. En deux ou trois mois c’est fait, puis il faut chercher un autre compte, donc quand j’ai fait deux mois environ, je commence déjà à chercher un autre compte…

Parfois, les gens comme le gars de l’ULB n’ont plus de comptes, mais il faut pourtant absolument en trouver un, pour continuer à payer le loyer… Un jour, j’ai cherché sur Facebook et j’ai trouvé un gars, je l’ai contacté et il m’a dit « Oui, j’ai des comptes à louer, il faut vite le prendre ». Je ne le connaissais pas, je l’ai rencontré à Berchem-Sainte-Agathe et à lui aussi j’ai dû payer 700 euros. Donc sur les 2.000 euros, en fait j’aurai à chaque fois en tout, réellement, 1.300 euros pour moi. Pour recevoir l’argent des courses, il suffisait d’introduire mes coordonnées bancaires directement sur l’application : ce n’était pas grave si le nom du titulaire du compte en banque était différent de celui du propriétaire du compte Uber. (6)

Au moment de commencer à travailler, vous n’aviez aucun contact avec Deliveroo ?

Non, aucun contact. Le seul contact possible, c’est si on a un problème : on appelle alors « Support »,un numéro renseigné dans l’application (7). Parfois il y a des problèmes avec les commandes, des accidents, ou des sauces qui se renversent, si le restaurant a mal fermé le pot par exemple. On prend une photo, on parle avec « Support Deliveroo », en expliquant que le client ne veut pas prendre la commande, alors Deliveroo rembourse le plat, et dit au client qu’il peut garder la commande s’il veut. Ça peut arriver une fois ou deux, mais quand ça se multiplie l’entreprise envoie un avertissement, même chose s’il y a des retards de livraison, par exemple. Je ne reçois pas le mail d’avertissement, il arrive au titulaire du compte, le contact officiel avec Deliveroo, qui va alors me contacter pour dire « J’ai reçu un mail, tu fais des retards, ou alors les plats ne sont pas chauds, tu dois faire attention sinon Deliveroo va bloquer le compte ». Ou alors il envoie des messages sur WhatsApp : « Fais attention, j’ai reçu un avis négatif de Deliveroo… »

Deliveroo fournit du matériel de travail ?

Quand on ouvre le compte, ils envoient la veste et le sac, avec les logos. C’est tout. Après, on doit chercher un vélo et le reste du matériel, pour avoir un bon équipement, mais je n’ai pas acheté tout d’un coup, j’ai d’abord acheté quelque chose pour me protéger de la pluie, puis j’ai attendu, puis j’ai acheté une autre chose, etc. Parce que c’est cher, et pour un équipement qui résiste à trois ou quatre heures de pluie, il faut vraiment quelque chose de professionnel. Et puis j’ai dû louer un vélo, ça fait des frais avant de commencer : je louais le vélo 100 euros par mois. Il y a des vélos classiques et des vélos électriques, plus chers mais évidemment plus intéressants pour les livraisons. Avec la batterie ça tient quatre ou cinq heures, donc il faut recharger entre les shifts.

Avant de commencer à travailler, il faut donc investir beaucoup, pour le matériel, la location du vélo et, en plus, la somme remise à la personne qui ouvre le compte. Et on peut aussi avoir des frais avec le téléphone, parfois il prend la pluie, parfois il tombe…

Pourriez-vous décrire une « journée-type » de livraison ?

Le mieux, c’est de travailler à Ixelles, un coin où il y a le plus de commandes. De Koekelberg où j’habite, je vais à Ixelles pour 10h puis, une fois là-bas, je me connecte et j’attends les commandes. Et puis je roule… Vers 14h j’arrête, je rentre vers 15h, je me repose un peu à la maison, je charge la batterie du vélo, puis il faut que je retourne jusqu’à Ixelles pour 18h, pour continuer les livraisons jusqu’à 22h. Voilà plus ou moins une journée. Le matin je me place à la Porte de Namur, parfois si c’est calme je peux aller jusqu’au cimetière d’Ixelles, car de là on peut t’envoyer jusqu’aux environs de Boitsfort. S’il fait beau, je vais parfois directement jusque Boitsfort, car globalement c’est pas mal aussi là-bas.

En travaillant de 10h à 14h, puis de 18h à 22h, ça occupe beaucoup de temps de la journée.

Oui, mais ça c’était au début, quand j’apprenais le métier. Après, il arrivait que je reste jusque 3h du matin. Parce que Quick et Mc Donald’s, le week-end, ont commencé à ouvrir 24h sur 24, alors des gens commandent la nuit, surtout en été. Je travaillais alors avec le Mc Donald’s du centre-ville, jusque 3h du matin.

Vous savez comment sont distribuées les commandes ? À qui en priorité ? Si vous êtes dix à la Porte de Namur, ça se passe comment ?

Chacun reçoit sa commande. Parfois c’est calme, il faut attendre, il fait froid, il y a de la pluie, et parfois d’un coup ça s’enchaîne, tout le monde va et vient tout de suite. On ne sait jamais en partant le matin comment ça va se passer. Ce qui est bien à Boitsfort, selon mon expérience, c’est qu’ils donnent des pourboires. Ça encourage, les gens qui commandent sont plus généreux, à Ixelles aussi, mais moins. À Boitsfort parfois j’ai eu dix euros, même une fois vingt euros !

Avec les clients, en général ça dure cinq secondes. Parfois, il y a quelqu’un de chouette, de bienveillant, il me reçoit gentiment, demande si ça a été sur la route, dit merci. Rien que merci, c’est bien. Ou alors il sourit… « Merci, bon travail, au revoir », ça, ça fait vraiment du bien. Mais il y a aussi des clients qui ne me regardent même pas, ils ouvrent la porte, prennent le sac, et c’est tout, comme si j’étais un robot. C’est comme si c’était naturel qu’on arrive là comme ça, avec le plat, il n’y a pas vraiment de respect.

Vous êtes payés combien pour la course ?

Quand j’ai commencé, avec Deliveroo, la course était évaluée en fonction de la distance. Parfois trois euros, parfois quatre, cinq, sept, ça dépendait de la distance. Après ils ont changé, ils ont fait la même somme pour toutes les distances, notamment parce qu’ils ont vu que les livreurs ne prenaient pas les courses de longues distances. Il valait mieux enchaîner plusieurs courtes dans un temps court, que de partir loin, donc ils ont changé le système : cinq euros pour toutes les commandes. Huit kilomètres, cinq ou trois, c’est cinq euros.

C’est possible de refuser une commande, mais l’algorithme est programmé comme ça : si on refuse on reçoit moins de commandes, ou il commence à donner les moins bonnes commandes, systématiquement. Si on accepte toutes les commandes, alors on n’arrête pas d’en recevoir ! Moi j’ai commencé avec un vélo normal car je n’avais pas d’argent pour louer un vélo plus cher, et j’ai travaillé, je crois, sept ou huit mois avec un vélo normal, avec toutes les montées je devais être vraiment sportif. Je faisais Bruxelles, Schaerbeek, Anderlecht, Ixelles… Parfois il y a des problèmes avec le vélo, le pneu est crevé, parfois il y a des problèmes de santé, parfois il pleut, il fait froid… Mais le truc, c’est que quand il pleut ou quand il fait froid, c’est le moment où il y a beaucoup de commandes. Les gens ne sortent pas et c’est là qu’on doit vraiment être courageux pour terminer le shift.

Entre 10h et 14h, par exemple, combien vous gagnez ?

Les bons jours, on fait quatre, maximum cinq commandes, donc vingt ou vingt-cinq euros. Ça, c’est « très bien », pour le shift du matin. Pour le soir, il y a plus de commandes, ça peut monter jusque 30, 35 ou 40 euros. Avec ce qu’on a fait le matin, parfois on arrive donc à 60-65 euros pour la journée. Les jours où il y a vraiment beaucoup de commandes, de mon expérience, avec un vélo électrique, ça a été jusqu’à 70 ou 75 euros. Et avec les shifts de nuit, au Mc Donald’s, là ça pouvait aller jusque 110-115. Mon maximum, ça a été 120 euros, mais je n’ai fait que ça durant vingt-quatre heures. Même la pause entre les shifts, ce n’est pas vraiment une pause… Et le soir, il n’y a pas vraiment de pause, tu la prends toi-même, mais tu ne dois pas rester longtemps en pause, sinon les commandes risquent de s’arrêter. Je n’ai jamais fait le matin, parce qu’il y en a qui font aussi les petits-déjeuners : ils partent à 8h, puis ils rentrent à 22h-23h, parfois à 4h du matin s’ils font la nuit en plus.

L’histoire de Souleymane

Un film récent, L’histoire de Souleymane, réalisé par Boris Lojkine, nous plonge dans les réalités évoquées dans ce récit de vie. Abou Sangaré y interprète un jeune demandeur d’asile en France, obligé de pédaler pour Deliveroo sous un faux compte, ouvert par une personne qu’il doit rémunérer mensuellement. À un rythme haletant, nous sommes immergés dans quelques jours du jeune livreur, et dans la violence de sa condition sociale, de son exploitation par les entreprises de livraison.

Abou Sangaré sur l’affiche du film L’histoire de Souleymane, réalisé par Boris Lojkine. Véritable claque, ce film devrait être montré à tous les clients de la livraison à vélo.
Abou Sangaré sur l’affiche du film L’histoire de Souleymane, réalisé par Boris Lojkine. Véritable claque, ce film devrait être montré à tous les clients de la livraison à vélo.

Une véritable claque. Après ce film, impossible d’encore regarder nos rues de la même façon. Impossible, également, d’encore commander avec insouciance des plats sur ces plateformes.

Abou Sangaré, qui a puisé dans son vécu pour interpréter le rôle, a été désigné meilleur acteur dans la section Un Certain Regard en 2024 au Festival de Cannes, et aux European Film Awards.

L’histoire de Souleymane, de Boris Lojkine, avec Abou Sangaré, Alpha Oumar Sow, Nina Meurisse, 2024, 1h33min.

Selon votre expérience, beaucoup de livreurs ont des faux comptes ?

Oui il y en a beaucoup : j’en ai rencontré vraiment plein lors de mes shifts. Il y a aussi des Belges, évidemment, des étudiants par exemple, qui ont choisi de faire ça et travaillent avec leur propre compte, surtout en été quand ils n’ont pas leurs cours. J’en ai rencontrés : des chouettes personnes. Ils voient bien qu’on galère, que c’est dur, ils le vivent aussi mais eux c’est juste un job étudiant, nous c’est notre boulot. Ils nous respectent, c’était une très bonne relation, on faisait des journées ensemble, on se voyait plusieurs fois sur la journée. Oui, j’ai fait des bonnes rencontres, j’ai découvert des endroits que je ne connaissais pas à Bruxelles. Ça, c’est le bon côté de ce travail. Ces Belges ne sont pas des concurrents, pour nous le problème c’est principalement les motos ou les scooters. Ceux qui font des livraisons avec ça vont forcément plus vite, ils nous prennent toutes les commandes, ce sont nos plus grands concurrents.

Au niveau de la sécurité, c’est un travail de vitesse, en ville au sein de la circulation automobile c’est très dangereux.

Oui, bien sûr. Il faut savoir, déjà, que souvent on a affaire à des automobilistes – tous les jours – qui ne nous respectent pas, alors qu’on travaille dans le danger. Ils ne respectent pas les cyclistes en général, ils tournent sans clignoteur, ne respectent rien… Et ils nous engueulent, nous, en disant que ce n’est pas leur faute. Il faut faire hyper-attention tout le temps.

Pour moi il y a une histoire d’accident, j’ai failli mourir. Un jour, à Forest, j’étais dans une descente très forte, et juste avant la fin de la rue, des rails de tram la traversent, je ne les avais pas vu. Personne dans la rue, je fonce, et quand j’arrive pour traverser le carrefour, paf, le tram passe ! J’ai appuyé sur les freins à fond, la roue arrière s’est carrément soulevée, il restait dix centimètres avant de toucher le tram. Là, j’ai déposé le vélo et j’ai remercié de ne pas être mort, j’ai vraiment senti que c’était à deux doigts. Un monsieur m’a regardé et m’a dit « Mon fils, tu aurais pu mourir, j’ai eu chaud, là tu es sauvé mais fais attention ». Je suis parti, j’ai recommencé mon travail, je venais de déposer une course et j’allais en chercher une autre au cimetière d’Ixelles. C’est vraiment un boulot dangereux, parce qu’on est stressé et qu’on a envie d’aller vite pour pouvoir prendre d’autres commandes.

Il est possible de joindre Deliveroo, en cas d’accident ?

Non. Pour les gens sans-papiers, qui travaillent avec le compte de quelqu’un d’autre, c’est impossible. Ils ne me connaissent pas, je ne peux pas me plaindre à Deliveroo, à personne. Un jour j’ai eu un accident, je suis rentré dans un poteau et je me suis coupé à deux endroits, j’ai encore les traces… J’ai arrêté mon boulot et j’ai été tout seul aux urgences. Ils m’ont demandé ce qu’il s’est passé, j’ai expliqué mais je n’ai pas parlé des livraisons. Officiellement je n’existe pas.

Deliveroo utilise aujourd’hui la reconnaissance faciale pour, disent-ils, essayer d’empêcher les faux comptes, ça a changé la situation ?

Apparemment, c’est Uber Eats qui a lancé ça en premier, ils font des screenshots. Parfois le compte se bloque car l’application demande « Picture of yourself », une photo du visage pour vérifier si c’est bien, sur le vélo, la même personne qui a ouvert le compte. Donc oui, ça a changé des choses, mais ça n’empêche pas du tout les sans-papiers de travailler, même avec ce système-là des gens travaillent en black. Avec Deliveroo, je n’ai pas eu ça, mais c’est arrivé avec Uber Eats, pour qui j’ai également travaillé un peu, avec un compte prêté par un ami. Imaginons que lui est à Anderlecht, et moi à Boitsfort en livraison : si l’application s’arrête et veut la photo pour continuer, je dois appeler mon pote, voir s’il est à la maison, et rentrer à Anderlecht pour faire sa photo et pouvoir continuer mon shift.

Mais ils font ça aussi pour éviter d’autres problèmes. Si nous, on a vraiment besoin de ça pour payer le loyer, pour survivre, parfois des gens ouvraient un compte puis s’en foutaient, ils gardaient des commandes, arrêtaient en cours de route, des choses comme ça. C’est donc aussi, pour eux, une sécurité pour éviter ça, vérifier si la personne travaille vraiment ou non.

Selon votre expérience, l’entreprise Deliveroo connaît l’existence des faux comptes ?

Oui, ils savent. Ils savent que beaucoup de livreurs travaillent en black, et comme il y a des critiques, ils font semblant d’agir, soi-disant par mesure de sécurité… Ils le savent, oui, ils l’ont toujours su. On en parle entre nous, tout le monde le sait. Ils savent forcément que les shifts qui augmentent, s’allongent, ce sont des faux comptes, ils doivent bien se dire que ce n’est pas un étudiant qui fait les shifts à ce rythme-là, par exemple, avec des nuits. Il y a des livreurs indépendants, qui aiment le vélo et ont envie de faire ça par moments, mais ceux qui font les chiffres de Deliveroo, ils savent très bien que ce ne sont pas ceux-là.

Ce n’est pas facile comme travail, mais ça sauve la vie quand même, on n’a pas le choix. Et puis tu ne travailles pas avec des gens, qui sont parfois pénibles : tu travailles juste avec toi-même. C’est moi qui ai choisi ça, même si je connaissais les conditions très difficiles, le froid, le danger… Parfois c’est mieux que de travailler avec quelqu’un qui, en plus de ne pas payer bien, ne te traite pas bien.

Les livreurs, quand vous vous retrouvez le matin à la Porte de Namur, vous parlez entre vous de Deliveroo, des conditions de travail ? Il y a eu des mouvements de revendications, des grèves, vous avez participé à ces mouvements sociaux ?

Non. En travaillant au noir, sous un faux nom, si je revendique quelque chose et qu’ils me disent « Quel est ton nom ? », je suis mal… Pendant que je livrais, j’ai connu des groupes organisés, qui manifestaient contre Deliveroo. Par exemple quand ils ont changé le système pour mettre toutes les courses au même prix, il y a eu des manifestations pour réclamer le retour au système précédent. Moi je ne pouvais pas faire ça. J’avais envie de participer, oui, j’étais très intéressé par ces manifestations, mais je ne pouvais pas parce que… voilà, ma voix ça ne compte pas.

Aujourd’hui j’ai arrêté, j’ai réglé mes papiers, j’ai fait une formation en cuisine, et je suis retourné dans l’Horeca, mais pas auprès du même patron qu’avant. J’ai ouvert un compte Uber Eats à mon nom, au cas où, pour peut-être faire des shifts de temps en temps, mais je n’ai pas vraiment le temps… Et aujourd’hui il y a beaucoup plus de livreurs, c’est plus difficile pour les commandes. Il y en a beaucoup car il y a plus d’étrangers qui ont besoin de travail, des sans-papiers… Quand on est sans-papier en Belgique, les livraisons c’est le truc le plus facile à obtenir, pour commencer à travailler. Enfin, ce n’est pas un boulot facile, et on gagne peu, mais c’est le boulot que l’on obtient le plus facilement, grâce à ce système des faux comptes.

Pour terminer, pourriez-vous nous raconter une histoire étonnante de ce métier, ou la journée la plus difficile… ?

La plus difficile, en fait, c’était ma première journée ! J’ai démarré près du Cimetière d’Ixelles, ce jour-là mon meilleur ami m’avait passé son compte, qu’il avait loué chez le gars de l’ULB. Juste pour que j’essaie, il m’avait donné les coordonnées, je me suis connecté sur l’application, et très vite j’ai reçu une commande… Je devais livrer du Cimetière d’Ixelles au rond-point Montgomery. J’avais ce jour-là un petit vélo pliable, et avec le sac Deliveroo, c’était un peu la galère pour rouler. À Montgomery, il y a une petite entrée sur le rond-point, avec un feu rouge, que je n’ai pas vu, un petit feu rouge caché derrière un arbre. Il n’y avait personne et je me suis avancé mais, malheureusement, de loin deux policiers m’ont vu et appelé. J’étais là, devant eux, sans papiers et en train de travailler au noir… Je ne voulais absolument pas être arrêté, j’avais déjà eu une arrestation auparavant et j’avais passé toute la nuit au commissariat, puis reçu un ordre de quitter le territoire, donc je redoutais. J’étais très stressé…

Ils me demandent : « Monsieur vous savez ce que vous avez fait ? » J’ai dit non. « Tu as brûlé le feu rouge, tu as une amende, donne-moi ta carte d’identité ! » J’ai essayé d’expliquer que je n’avais pas vu le feu rouge, car c’est vrai, on ne le voit pas bien. J’étais stressé, et peur de revivre le traumatisme de la première fois… Je n’avais pas de carte d’identité, j’allais donner ma carte de bus, et là j’ai fait un truc, j’ai fait tomber la carte, exprès. Le policier s’est penché pour la ramasser, et là j’ai vite pris mon vélo et je suis parti. Avec la peur, je n’ai pas vraiment réfléchi à ce que je faisais, je suis parti, avec mon sac derrière… J’ai commencé à entendre des voitures de police, la première, la deuxième, la troisième… J’étais simplement avec mon petit vélo, et finalement il y avait quatre voitures derrière moi ! Je roulais, je roulais, j’avais juste envie qu’ils ne me voient pas et de rentrer à la maison.

Je suis rentré dans un parc, j’ai jeté le sac de Deliveroo, j’ai plié le vélo, puis je suis sorti du parc par un autre côté, et là : une voiture de police juste devant moi. Ils m’ont reconnu directement. Il y avait une dame et un autre policier avec des chiens. En voyant les chiens, je tremblais. La première chose que la dame de la police me dit, c’est « Elle est où la drogue que tu caches ? » Je lui ai expliqué que je n’avais pas de drogue : « J’ai juste un sac de livraison, j’étais en train de travailler. J’ai eu peur, car j’ai déjà eu une arrestation et passé une nuit au commissariat. » Elle me dit « Non, je ne te crois pas, donne-moi la drogue, tu es un dealer, c’est pour ça que tu as fait tout ce film-là, tu caches quelque chose ». Je lui ai dit qu’avec les deux chiens, elle n’a qu’à chercher dans le parc. Les chiens, ils ont juste trouvé le sac de Deliveroo.

Et après ils m’ont encore retenu toute la nuit au commissariat, où la plupart des policiers étaient racistes : ils ne m’ont pas du tout bien traité. J’étais là, à l’intérieur, ils m’ont pris les empreintes, les photos… Tout ça était déjà fait, car la première arrestation avait déjà eu lieu dans le même commissariat, je leur ai dit, mais ils voulaient tout de même refaire tout ça. Il y avait surtout deux policiers très désagréables, un homme et une femme. L’homme me regardait, prêt à m’insulter, il avait vraiment la haine et me disait « Toi, pourquoi t’es ici ? » Puis, il me dit « Dis que t’es un rebeu ! » (8) Je demande pourquoi, surtout qu’à ce moment-là je ne connaissais pas ce mot, je ne savais pas ce que c’était « rebeu ». Donc j’ai répondu « Non, vous n’allez pas m’obliger à dire quelque chose que je ne connais pas. » Il n’arrêtait pas de me demander de dire ça… Il voulait aussi le code de mon téléphone, j’ai dit non, qu’il n’avait pas le droit de regarder sur mon téléphone. Il a essayé en le branchant sur un ordinateur, mais il n’a rien pu voir.

Puis la femme m’a dit : « Tu viens de Tanger, pourquoi tu viens ici ? Vous avez la mer, là-bas, une belle météo, pourquoi t’es là ? » J’ai répondu « Madame, c’est ma vie, je fais ce que je veux de ma vie, ce sont mes choix ». Elle a commencé à me poser plein de questions et j’ai dit que désolé, je ne voulais plus parler avec eux. « S’il y a une personne ici qui gère le commissariat, je veux bien parler avec lui mais je ne parle plus avec vous, vous pouvez appeler mon avocate ». Une avocate était intervenue quand je m’étais fait arrêter la première fois, je ne sais pas si c’est ça, mais quand ils ont entendu le mot « avocate », ils ont arrêté de parler… Puis le chef est venu, il m’a demandé si je savais ce que j’avais fait, j’ai dit que « oui, j’ai brûlé le feu sans faire assez attention », puis il m’a dit que j’avais déconné avec les policiers de Montgomery, qu’il ne faut pas faire ça, et il m’a envoyé dans le cachot, pour attendre la décision de l’Office des étrangers. Comme la première fois.

J’ai passé la nuit au cachot. Le matin, ils m’ont donné pour la deuxième fois l’ordre de quitter le territoire avec, cette fois-ci, un deuxième papier : l’interdiction pour cinq ans de rentrer sur le territoire de l’espace Schengen. Je dois normalement partir tout de suite au Maroc, et ne pas revenir ici pendant cinq ans. Je suis sorti du commissariat avec mon sac, normalement quand il y a un problème avec une commande, on doit appeler « Support Deliveroo » pour expliquer le problème, mais je n’ai pas appelé, j’avais juste très faim… Je suis sorti et… j’ai mangé la commande.

Ensuite, c’est ce jour-là que j’ai trouvé le compte, acheté à cet étudiant de l’ULB. Enfin… loué ! Ça avait été très dur mais je n’avais pas le choix, je devais continuer de travailler pour manger, payer le loyer… Je me suis douché et voilà : mon deuxième jour pour Deliveroo commençait.

(1) Lire « Ubérisation : au tour du vélo ! » et « L’exploitation dans la bonne humeur ! », Ensemble 93, Avril 2017, pp.32-36.

(2) Lire à ce sujet le récit de Douglas Sepulchre, en postface du livre de Martin Willems, « Le piège Deliveroo. Consommer les travailleurs », Ed. Investig’action, 2021. Le livreur y évoque notamment les réunions d’accueil au sein de Take Eat Easy, mais surtout détaille la création et le développement d’un nouveau mouvement syndical. (Lire également la présentation de l’ouvrage)

(3) L’année 2015, celle de notre entretien avec le livreur, 29.021 chômeurs s’étaient vu signifier par l’Office national de l’emploi (ONEm) une suppression de leurs moyens de subsistance. « Les mesures Di Rupo font 29.000 exclus du chômage », Dominique Liesse, L’Echo, 21 juin 2016.

(4) « Ubérisation : au tour du vélo ! », Ensemble ! n°93, page 33. Depuis, quelques travailleurs ont témoigné au sein de cette rubrique (voir l’encadré), d’autres sont à venir..

(5) Le plafond de revenu autorisé dans le régime dit de l’économie collaborative est plus élevé que 2.000 euros. Pour l’année de revenus 2024 (exercice d’imposition 2025, un montant indexé chaque année), il était de 7.460 € sur l’année. Si notre témoin évoque 2.000 euros, deux explications nous semblent possible pour cette – grosse – différence : soit le « loueur » du compte livre au sans-papier une somme beaucoup plus basse, pour éviter tout risque de dépassement l’entraînant dans une taxation comme indépendant, soit – beaucoup plus probablement ! – le loueur du compte réalise l’arnaque plusieurs fois sur l’année, avec différentes personnes sans papiers successives pour un seul compte.

(6) Aujourd’hui, il semble qu’il ne soit plus plus possible d’agir de cette manière, le titulaire du compte Deliveroo doit correspondre au nom du titulaire du compte Uber. Nous rejoignons donc le système observé en France (notamment décrit dans le film récent L’histoire de Souleymane) où le travailleur sans-papier doit tous les mois aller trouver le véritable titulaire du compte pour récupérer son salaire, sur lequel ledit titulaire se sert allègrement, ce qui peut amener en outre des situations très tendues, voire violentes…

(7) Il s’agit du call-center de Deliveroo, à appeler en cas d’accident ou de tout autre problème, un service aujourd’hui délocalisé à Madagascar. Un problème dans les rues de Liège ? Vous pourrez signaler vos blessures à une personne située à presque… 9.000 kilomètres de là !

(8) Rebeu : mot d’argot pour désigner les Arabes, venant du verlan, la prononciation à l’envers de « beur », lui-même venant du mot « arabe ».

Partager cet article

Facebook
Twitter