chômage

Arizona Dream : un cauchemar pour les chômeurs

Le rêve préélectoral : 450 ou 500 euros en plus pour « ceux qui bossent ». La réalité gouvernementale : la destruction de l’assurance chômage et d’autres attaques, tous azimuts, contre le monde du travail.

Les dessinateurs de presse en Flandre ne sont pas dupes non plus de l’aspect communautaire du dossier. Traduction des textes du dessin : La N-VA veut économiser drastiquement dans la Sécurité sociale - Nous avons tout de même scindé le pays ? - Entre pauvres et riches hé !
Les dessinateurs de presse en Flandre ne sont pas dupes non plus de l’aspect communautaire du dossier. Traduction des textes du dessin : La N-VA veut économiser drastiquement dans la Sécurité sociale - Nous avons tout de même scindé le pays ? - Entre pauvres et riches hé !

L’accord de gouvernement fédéral conclu pendant les dernières heures de janvier prévoit de chambouler complètement la logique et la réglementation de l’assurance chômage en Belgique. Certes, les réformes voulues par ce gouvernement dirigé par la droite extrême se situent pour partie dans la continuité du tout à l’activation qui caractérise l’évolution des politiques sociales depuis un quart de siècle déjà. Le très mal nommé État social actif a ainsi de plus en plus déplacé la responsabilité collective et sociétale du chômage sur chaque sans-emploi individuellement. L’assurance chômage étant d’abord un socle de défense des conditions de travail et des salaires, cette dynamique de sape du système est favorable aux patrons, en fragilisant la position des travailleurs avec et sans emploi. Dans ce contexte, c’est principalement l’emploi précaire, mal payé et destructeur, qui est promu. (Lire ici)

« 500 euros en plus » ?

Lors de la campagne électorale, le MR avait mis en avant l’idée que le travail devait « mieux payer » et qu’il fallait assurer le fait que le travail ramène au minimum 500 euros par mois de plus que les allocations sociales, alors qu’en fait, pour un temps plein, c’était déjà presque toujours le cas et c’était même souvent plus. (1) De leur côté, Les Engagés avaient promis l’instauration d’un « bonus bosseur » afin de « garantir un écart salarial d’au moins 450 euros nets par mois par rapport au chômage ». La réalité de l’accord de gouvernement dément ces promesses et les espoirs des travailleurs à bas salaires qui espéraient un « bonus bosseur ». Ce qui est au programme de l’Arizona, c’est la liquidation de l’assurance chômage, la mise en concurrence des travailleurs avec une armée de chômeurs non indemnisés, prêts à travailler à n’importe quelles conditions, dans le cadre d’une nouvelle vague de précarisation des conditions de travail (travail de nuit, flexi-jobs, travail étudiant, etc.), organisée parallèlement. De même, la promesse électorale des Engagés d’offrir, après deux ans de chômage, « un droit à l’emploi » sous la forme d’une proposition de « travail d’utilité publique dans le secteur public ou associatif » n’a trouvé aucune place dans l’accord de gouvernement et s’est révélée, tout comme les « basisbanen » de Vooruit, un simple attrape-voix préélectoral, dissimulant leur ralliement au projet de limitation dans le temps des allocations de chômage. 

Une aridité accrue

Les réformes de l’assurance chômage prévues dans l’accord de gouvernement ne réorganisent pas celle-ci selon un paradigme totalement neuf. Mais elles franchissent un point de basculement qui achève la destruction du système d’indemnisation large mis en place après la Seconde Guerre mondiale. L’assèchement progressif des droits à l’assurance chômage, poursuivi depuis plus de vingt ans, prend ainsi avec l’Arizona une ampleur inédite, qui ferait de l’assurance chômage un véritable désert. Trois armes sont principalement prévues à cet effet par la nouvelle coalition : des règles d’accès au droit profondément modifiées, sans compenser la limitation dans le temps par un accès véritablement fluide et simple à l’allocation (Lire ici), la limitation (drastique) des indemnités dans le temps (Lire ici) et la pression à la baisse sur les montants octroyés (Lire ici). Désormais, le marché de l’emploi, toujours plus allégé au niveau des réglementations protectrices, serait censé mettre chacun à l’emploi et définir son accès à un revenu. L’absence involontaire d’emploi n’est plus conçue comme un risque social inhérent au salariat, assuré et couvert collectivement à travers la socialisation d’une partie du salaire. L’absence de revenu liée à la perte d’emploi est désormais présentée comme une responsabilité individuelle et sa prise en charge collective ne pourrait dès lors plus être que résiduaire, essentiellement à travers des dispositifs d’indemnisation fondés sur l’état de besoin ou sur l’état de santé, eux-mêmes voués à être appliqués d’une façon plus restrictive (l’accord de gouvernement remet aussi radicalement en cause l’aide sociale, nous y reviendrons dans notre prochain numéro).

Le texte de l’accord est peu précis et se contente de donner les grandes lignes des réformes, avec peu de détails techniques, alors que ceux-ci ont beaucoup d’importance dans les matières de Sécurité sociale. Le gouvernement promet de simplifier les processus, ce dont les techniciens du secteur doutent déjà, rien qu’au vu des éléments connus. Il est toutefois évident qu’il ne sera pas possible de décortiquer en détail les choses tant que les projets d’arrêtés royaux ne seront pas connus. Il est pourtant possible de déjà donner un éclairage global sur la base du texte connu. La « mesure phare » annoncée, c’est la limitation dans le temps des allocations de chômage. Le texte stipule que la durée des allocations de chômage, octroyées sur la base du travail, sera limitée à un maximum de deux ans (Lire ici), alors qu’elles sont actuellement, en principe (c’est-à-dire sauf sanctions ou exclusion), accordées de façon illimitée, mais devenant forfaitaires en fin de dégressivité, soit après une période allant actuellement de 16 à 48 mois (Lire ici).

Une attaque ciblée contre les Bruxellois et les Wallons

Dans nos dossiers précédents (2), nous avions publié des cartes montrant l’impact d’une limitation à deux ans du droit au chômage des chômeurs complets indemnisés demandeurs d’emploi (CCI DE). L’image était frappante, les francophones étaient les premiers concernés, en particulier Bruxelles et les grandes villes wallonnes. Nous avions aussi montré que si on prenait l’ensemble des bénéficiaires d’allocations de l’ONEm, la répartition était beaucoup moins contrastée et que si l’on faisait le focus sur les aménagements de carrière, là c’était la Flandre qui était principalement concernée. Le fait de viser les CCI DE est donc clairement une attaque ciblée contre les Bruxellois et les Wallons, qui n’ont manifestement pas été défendus par le MR et Les Engagés. C’est aussi ce qui explique que Vooruit, qui n’a par ailleurs jamais hésité à frapper les chômeurs (les précédentes grandes mesures d’exclusion du chômage en 2004 et 2012 avaient été pilotées par un.e ministre socialiste flamand.e), ne se soit guère ému de cette question. Elle ne concerne que peu la Flandre. En 2024 (3), les CCI DE dans leur ensemble étaient pour 42,38 % en Wallonie et 21,24 % à Bruxelles (soit ensemble près des deux tiers) et pour 36,38% en Flandre. Si l’on prend ceux qui sont CCI DE depuis deux ans ou plus, c’est encore plus marquant : 43,39 % en Wallonie et 26,98 % à Bruxelles (soit ensemble 70 %) et 29,63 % en Flandre. (Lire le tableau ci-dessous.)

Ensemble des CCI DE par région (moyenne 2024) Source : ONEm, statistiques interactives.
Ensemble des CCI DE par région (moyenne 2024) Source : ONEm, statistiques interactives.

Selon l’accord de gouvernement, nous savons que le droit aux allocations d’insertion (chômage sur la base des études) serait carrément limité à un an seulement. Le déséquilibre régional est encore plus fort dans cette catégorie de chômeurs : la Wallonie et Bruxelles comptent 80 % de ces bénéficiaires et même près de 83 % de ceux qui le sont depuis au moins un an. (Lire le tableau ci-dessous.)

CCI DE sur la base des études par région (moyenne 2024) Source : ONEm, statistiques interactives.
CCI DE sur la base des études par région (moyenne 2024) Source : ONEm, statistiques interactives.

Une communautarisation assumée

Le laisser-faire des partis francophones de la coalition Arizona est d’autant moins excusable que l’objectif communautaire du formateur était explicite. Bart De Wever l’a indiqué sans ambages (il est vrai surtout dans les médias néerlandophones), en partie sans doute pour contrer les critiques (notamment du Vlaams Belang) pointant l’absence de réforme de l’État. Tout d’abord, le président de la N-VA répète depuis longtemps qu’un gouvernement sans le PS est une réforme de l’État en soi, mais il s’agissait, pensait-on, surtout de pouvoir/vouloir mener grâce à cette absence des politiques de droite dure. Ensuite, le fait que ces dernières soient pour certaines très linguistiquement ciblées est particulièrement clair cette fois. Dès le lendemain de l’accord, le 1er février, De Wever a ainsi déclaré, pour ne choisir qu’un exemple, à la VRT (télévision publique flamande) : « Limiter le chômage dans le temps est la réforme la plus communautaire que l’on puisse réaliser. C’est révolutionnaire en Wallonie, moins en Flandre. Dans ce qu’il reste encore de fédéral, il est prévu dans l’accord d’œuvrer de façon asymétrique et d’introduire une responsabilisation. ».

Décharger l’ONEm, organisme fédéral, de l’indemnisation de la majorité des sans-emploi pour les renvoyer vers la solidarité familiale ou vers l’aide des CPAS, elle-même en partie à charge des communes, c’est en effet une régionalisation de fait d’un des pans de la Sécurité sociale. La présentation de l’accord sur le site du parti nationaliste insiste : « Comme les coalitions sont les mêmes aux niveaux flamand, wallon et fédéral, nous pouvons et nous allons œuvrer de façon asymétrique et réformer plus fortement en fonction des entités fédérées ». De façon asymétrique, cela signifie que des politiques fédérales pourront être menées avec des accents différents dans chacune des régions. Ce qui est évidemment une façon très dangereuse de faire un pas en avant supplémentaire dans le détricotage de la solidarité fédérale. Il s’agit par exemple de définir des règles différentes en matière d’emploi convenable ou de contrôle. Sans attendre, la ministre flamande de l’Emploi, Zuhal Demir (N-VA), a fait approuver ce 14 février un plan visant à activer plus rapidement les chômeurs. Notons encore que, comme à son habitude, la N-VA parle de la Wallonie uniquement et ne cite jamais Bruxelles comme région à part entière. Il ne faut pour autant pas croire que rendre une série de politiques, dont celles de l’emploi et du chômage, encore plus asymétriques suffise à apaiser la soif nationaliste. Tout au contraire, la même présentation de l’accord sur le site de la N-VA précise que « Le Premier ministre De Wever va préparer une grande réforme de l’État structurelle. Il obtient pour ce faire le temps, les moyens et les ressources humaines, avec une cellule stratégique propre et un budget spécifique. Et il ne sera pas limité dans son action. » Autrement dit, sacrifier les chômeurs ne suffira pas à satisfaire l’appétit du lion flamand dont la peluche trône déjà sur le divan du bureau du 16 rue de la Loi, tout près de la statue de l’empereur Auguste et d’autres symboles de la Rome antique que l’historien de formation affectionne…

Casser le chômage pour casser les travailleurs

Le rêve du gouvernement De Wever d’atteindre les 80 % de taux d’emploi semble se fonder essentiellement sur l’idée qu’en privant de droits les allocataires sociaux, ceux-ci retrouveront « magiquement » un emploi. On ne le répétera jamais assez, c’est un leurre : s’attaquer au chômage et aux chômeurs, ce n’est pas créer de l’emploi, c’est s’en prendre aux salariés avec et sans emploi, à leurs conditions de travail et à leurs salaires. La pression déjà croissante ne va faire qu’augmenter, les situations de précarité se multiplier et les chômeurs exclus seront encore plus qu’aujourd’hui forcés d’accepter pour survivre n’importe quel boulot, n’importe quel statut, n’importe quel salaire.

Car à la chasse aux « chômeurs profiteurs » répondent non seulement, dans le programme de l’Arizona, les chasses aux « malades profiteurs », aux « prépensionnés profiteurs », aux « pensionnés profiteurs », aux « bénéficiaires d’aide sociale profiteurs », aux « migrants profiteurs », mais aussi la chasse aux… « travailleurs profiteurs ». Coupables de travailler dans un statut « privilégié » de fonctionnaire, de bénéficier d’une indexation automatique des salaires ou encore d’un droit du travail trop protecteur. L’accord de gouvernement annonce ainsi qu’il « demandera aux partenaires sociaux de préparer un avis sur la réforme de la loi sur les salaires et du système d’indexation automatique pour le 31/12/2026 ». Gageons que ce rendez-vous fixé pour une réforme ne va pas dans le sens d’une meilleure protection du pouvoir d’achat des travailleurs. Au-delà de cette offensive directe sur les salaires, toute une série d’autres mesures sont annoncées par l’Arizona pour précariser les conditions de travail : fin de l’interdiction du travail de nuit, heures supplémentaires bon marché, annualisation du temps de travail, suppression de la durée minimale de travail hebdomadaire pour les contrats à temps partiel (aujourd’hui au moins 1/3 d’un horaire à temps plein), généralisation des flexi-jobs, extension du travail étudiant, etc.

(1) Lire Yves Martens, « Mieux au CPAS ? », Ensemble ! n° 114, novembre 2024, p.14.

(2) Lire Ensemble ! n° 110, juillet 2023 et n° 114, novembre 2024.

(3) Tous les chiffres, sauf avis contraire, viennent de l’outil de statistiques interactives disponible sur le site de l’ONEm. Pour cet article, nous prenons la moyenne des chômeurs de l’année 2024, ce qui évite les effets saisonniers. Pour l’article sur la limitation dans le temps des allocations, p. 12, nous prendrons les chiffres de novembre 2024, les derniers complets.

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